L'ouvrage coup de cœur d'avril : Petit dictionnaire des Sales Boulots par Nicolas Méra

Le corps à l’épreuve des courses cyclistes en France

Le Tour de France est aujourd’hui la course cycliste la plus prestigieuse du monde. Elle mêle force physique, endurance et persévérance.
Jacques Anquetil, Italo Zilioli et Vittorio Adorni en plein effort lors du Giro 1964. Le Normand va remporter son second Tour d'Italie - Auteur inconnu | Domaine public
Jacques Anquetil, Italo Zilioli et Vittorio Adorni en plein effort lors du Giro 1964. Le Normand va remporter son second Tour d’Italie – Auteur inconnu | Domaine public

Le Tour de France est aujourd’hui la course cycliste la plus prestigieuse du monde. Elle mêle force physique, endurance et persévérance, et malgré les récentes et moins récentes histoires de dopages, cette course reste une épreuve terriblement ardue pour les sportifs qui y participent.

Cet élitisme était déjà la marque de fabrique du Tour lors de sa création, d’autant plus que les épreuves étaient plus longues et les conditions plus précaires.

Les Forçats de la route au Tour de France

Notre premier document est de surcroît un article qui évoque la plainte de deux coureurs français de 1924.

Il est intitulé « Les Forçats de la route »[1] et est rédigé par le journaliste Albert Londres pour le journal Le Petit Parisien le 27 juin 1924. Le journaliste couvre l’événement et profite d’un abandon somme toute anecdotique, de trois coureurs. Nuls autres qu’Henri et Francis Pélissier et Maurice Ville, des cyclistes connus pour leurs capacités. Ils ont abandonné à cause des règles abusives, et dès lors, ils en profitent pour railler l’épreuve.

Henri Pélissier en 1919 - Auteur inconnu | Domaine public
Henri Pélissier en 1919 – Auteur inconnu | Domaine public

L’article permet de soulever les conditions extrêmes que doivent supporter les coureurs et surtout les produits qu’ils doivent utiliser pour se maintenir pendant les trois semaines du Tour.

L’article d’Albert Londres est également une manière de décrédibiliser ses concurrents. En effet, Le Petit Parisien est un concurrent du journal L’Auto.

Cette période est marquée par une toute-puissance de la presse, chaque article qui permet une augmentation des tirages quotidiens est le bienvenu. Le Petit Parisien, à la sortie de la Grande guerre, était tiré à 3 millions d’exemplaires par jour.

Le second document est une photographie réalisée lors de la dix-neuvième édition du Tour de France, dans une étape de montagne au col d’Aubisque le 1er juillet 1925. L’Agence Rol est l’investigatrice de cette photographie. En effet, l’agence avait pour objectif de vendre la photographie ou bien de l’utiliser dans un de leurs reportages.

L’Agence Rol est une agence de reporter photographique créée en 1904 par Marcel Rol. Il est à l’initiative de cette agence indépendante, entre 1904 et 1937, qui est dès lors rachetée et fusionnée avec deux autres agences. La Bibliothèque nationale de France (BnF) conserve aujourd’hui la majorité des photographies, qu’elle numérise.

Tour de France au col d'Aubisque 1er Juillet 1925 - Agence Rol | Domaine public
Tour de France au col d’Aubisque 1er Juillet 1925 – Agence Rol | Domaine public

Naissance du Tour de France

Le Tour de France est une création du journal l’Auto en 1903. Le journal a peur de perdre ses lecteurs sportifs après la perte de la mention « vélo » dans le titre du journal, initialement L’Auto-Vélo. Le journal Le Vélo a porté plainte pour usurpation de titre contre L’Auto-Vélo et a gagné son procès.

Henri Desgrange, le propriétaire du journal, souhaite alors mettre en place une course cycliste qui dépasserait en renommée celle organisée par le journal Le Vélo tout en permettant d’augmenter considérablement les ventes de son journal. Le 19 janvier 1903, L’Auto annonce dans sa une la création du Tour de France.

La première édition du Tour a lieu le 1er juillet 1903 au départ de Montgeron en Essonne. C’est un succès sportif, mais également un succès marketing pour le journal qui voit ses ventes augmenter considérablement. L’année suivante l’expérience est renouvelée. La course connaît un tel succès que de nombreux débordements ont lieu, poussant alors les organisateurs à mettre en place un règlement strict pour encadrer l’événement. Le Tour de France devient plus qu’un simple événement sportif, il devient le symbole de cette France industrialisée, moderne, jeune et dynamique.

Les étapes suivent un chemin de ronde délimitant le territoire français, passant par des zones industrielles symboles de cette France qui bouge. Le passage du Tour en Alsace-Lorraine entre 1907 et 1910 est un moyen pour les autorités d’appeler les populations françaises, sous la domination de l’Empire allemand depuis 1871, à manifester leur amour patriotique pour la France.

Le Tour de France devient également une fête estivale, un prolongement du 14 Juillet, mais surtout un moyen pour l’État de partager les valeurs républicaines.

Dans ce but le gouvernement instaure une circulaire ministérielle, qui est publiée en 1912 invitant les maires à ne pas entraver la course car elle « [est] une mise en valeur de la jeunesse française, pour le plus grand profit de l’Armée et du Pays »[2].

À partir de 1910, la course est marquée par une complexité accrue des étapes de montagnes, avec des cols toujours plus durs (Galibier, Tourmalet etc.). Les coureurs sont héroïsés, à la manière d’héros mythologiques, ils gravissent des montagnes à la force de leurs jambes sur des bicyclettes.

Le Tour de France en pause

Le Tour de France s’arrête entre 1915 et 1918 à cause de la Première Guerre mondiale, puis à cause du manque de matériel nécessaire à une telle compétition, les équipes se regroupent. L’édition post guerre est notable par l’apparition du maillot jaune – à la couleur des pages du journal – qui a pour but d’indiquer le coureur en tête de la course.

À partir de 1920 le Tour perd de sa superbe, en effet, aucun coureur charismatique n’apparaît, la présence d’ententes entre les coureurs déplaît aux spectateurs et l’organisateur Henri Desgrange dérange tant pour sa personnalité que pour ses règles excessivement strictes. Nous arrivons à notre édition de 1924 qui voit l’abandon et la complainte des frères Pélissier et du coureur Ville, qui se confient par la suite au journaliste Albert Londres sur les conditions toujours plus difficiles et contraignantes du Tour. En effet, le Tour met à mal les corps et pousse les coureurs à user de techniques malicieuses pour augmenter temporairement leur capacité.

C’est également une épreuve difficile pour le corps qui doit supporter des heures de contrainte. Nous pourrions nous demander alors, si le Tour de France est une compétition ayant pour but de stimuler la vision du corps sportif dans la société d’entre-deux-guerres ?

Ainsi, nous allons dans un premier temps étudier la portée du Tour de France dans la population française puis traiter de l’encadrement sportif de cette compétition et enfin nous rendre compte de l’aspect commercial derrière cette épreuve sportive.

Quelques liens et sources utiles

Sandrine Viollet, Le Tour de France cycliste : 1903-2005, L’Harmattan, 2007, p60-61

Mignot, Jean-François. « I. L’histoire du Tour de France, reflet de l’émergence d’une culture de masse », Jean-François Mignot éd., Histoire du Tour de France. La Découverte, 2014, pp. 7-26. 

Mignot Jean-François, « IV. Le spectacle du Tour de France », dans : Jean-François Mignot éd., Histoire du Tour de France. Paris, La Découverte, « Repères », 2014, p. 71-100

Chapel, Louise. « La fabrication du Tour de France : un réseau en action. (Enquête) », Terrains & travaux, vol. 12, no. 1, 2007, pp. 96-117. 

Fumey, Gilles. « Le Tour de France ou le vélo géographique. », Annales de Géographie, t. 115, n°650, 2006. pp. 388-408.

Perera, Éric, et Jacques Gleyse. « Le dopage dans quatre grands périodiques sportifs français de 1903 aux années soixante. Le secret, le pur et l’impur », Staps, vol. no 70, no. 4, 2005, pp. 89-107. 

Gaboriau, Philippe. « Les trois âges du vélo en France. », Vingtième Siècle, revue d’histoire, n°29, janvier-mars 1991. pp. 17-34.

[1] Nous souhaitons évoquer le point du vu de l’auteur et journaliste Jean-Louis Ezine, qui considère dans son ouvrage Un Ténébreux, Le Seuil, 2003, que le titre « Forçat de la route » n’est pas à attribuer à Albert Londres, mais Henri Decoin. En effet ce titre n’est pas donné dans le journal et l’auteur ne l’utilise pas non plus. C’est un titre a posteriori.

[2] Sandrine Viollet, Le Tour de France cycliste : 1903-2005, L’Harmattan, 2007, p60-61.

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