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L’Histoire regorge de récits improbables, mais aussi de périodes complexes qui méritent d’être explorées. Plongez, à travers les séries de Revue Histoire, dans un fragment de notre histoire mondiale.
Sur Revue Histoire, l’équipe de rédaction est composée de passionnés d’Histoire, allant d’étudiants, à de jeunes professionnels, qui souhaitent partager leurs connaissances historiques.
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L’histoire de l’avortement n’est pas celle d’un progrès linéaire, mais d’un va-et-vient permanent entre répression, tolérance, clandestinité et reconnaissance. Loin d’être un sujet exclusivement contemporain, l’avortement traverse les siècles, sous des formes, des mots et des enjeux différents. Il ne concerne pas seulement le corps des femmes : il touche à la morale, à la médecine, au droit, à la souveraineté politique. Ce que chaque époque en dit — ou se refuse à dire — révèle bien plus qu’un débat sanitaire. Cela éclaire le pouvoir exercé sur les corps, les peurs collectives, et les compromis idéologiques.
Dans la Grèce antique, l’avortement n’est pas interdit. Il est même mentionné dans plusieurs traités médicaux, notamment chez Hippocrate. Certains auteurs le tolèrent, d’autres l’encadrent. Ce qui compte, c’est le statut du fœtus, mais aussi l’accord du mari. L’enfant appartient à la maison, pas à la femme seule.
Chez les Romains, la question est plus juridique. Tant que l’enfant n’est pas né, il n’est pas sujet de droit. Mais dans certaines classes sociales, avorter sans l’accord du père est mal vu, surtout si cela prive l’héritier d’un futur patrimoine. L’avortement est donc permis, parfois même recommandé, mais il demeure un acte contrôlé par l’ordre patriarcal.
L’Église médiévale n’adopte pas tout de suite une position uniforme. Jusqu’au XIIIe siècle, le péché d’avortement est graduel. On distingue l’avortement « avant animation » (avant que l’âme n’entre dans le corps) et « après animation ». Le moment où l’âme arrive dans le fœtus est laissé à l’interprétation : pour certains, c’est au 40e jour pour les garçons, au 80e pour les filles. Cette précision étrange fonde pourtant toute une théologie morale.
Peu à peu, l’avortement devient un péché grave, mais il n’est pas toujours puni par le droit séculier. Il faut attendre l’époque moderne pour que les États s’en mêlent. Ce sont alors les sages-femmes, les guérisseuses, les « faiseuses d’anges » qui en font les frais. Elles deviennent suspectes, voire accusées de sorcellerie. L’avortement sort de la sphère privée pour devenir un enjeu judiciaire.
En France, le Code pénal de 1810 inscrit l’avortement comme un crime, puni de la réclusion. Toute tentative est passible de prison, qu’elle aboutisse ou non. Les femmes, les praticiennes, les complices : toutes peuvent être poursuivies. Cette sévérité est justifiée par l’ordre moral, mais aussi par des préoccupations natalistes. La France, traumatisée par les guerres, surveille sa démographie.
Dans la réalité, les avortements clandestins continuent. À l’aide d’aiguilles, de plantes, de lavements, parfois dans des conditions effroyables. Les hôpitaux voient affluer des femmes mourantes, mais le silence est la règle. L’avortement devient une souffrance muette, transmise entre générations de femmes, rarement écrite, jamais racontée publiquement.
Les procès sont rares, mais retentissants. Celui de Marie-Louise Giraud, guillotinée en 1943 sous Vichy pour avoir pratiqué des avortements, révèle la cruauté d’un système qui punit sans offrir d’alternative. Le régime de Pétain glorifie la maternité et criminalise toute forme d’autonomie reproductive. Le corps des femmes devient territoire d’État.
La loi du 31 juillet 1920 interdit non seulement l’avortement, mais aussi la simple information sur la contraception. L’objectif est clair : relancer la natalité après la saignée de la Première Guerre mondiale. Toute propagande anticonceptionnelle devient un délit. Les sages-femmes, les médecins, les pharmaciens sont surveillés.
Cette loi reste en vigueur jusqu’aux années 1960. Dans les faits, les femmes riches partent à l’étranger. Les femmes pauvres risquent leur vie dans les arrière-cuisines. Les statistiques sont imprécises, mais on estime à plusieurs centaines le nombre de décès annuels liés à des avortements clandestins.
Dans ce silence étouffant, quelques voix se lèvent. En 1956, le docteur Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé crée la Maternité heureuse, futur Mouvement français pour le planning familial. Les mentalités commencent à bouger, lentement.
C’est un texte court, mais son onde de choc est immense. Publié dans Le Nouvel Observateur, le Manifeste des 343 femmes qui déclarent avoir avorté brise l’omerta. Parmi elles, des anonymes et des célébrités : Simone de Beauvoir, Gisèle Halimi, Catherine Deneuve, Jeanne Moreau. Elles s’exposent à des poursuites. Elles provoquent le débat.
L’année suivante, le procès de Bobigny amplifie le mouvement. Une jeune fille de 16 ans, violée, est poursuivie pour avoir avorté. Gisèle Halimi, avocate, transforme l’audience en tribune politique. Les médias relaient. L’opinion bascule.
Simone Veil, ministre de la Santé, défend devant un hémicycle majoritairement masculin la loi qui dépénalise l’interruption volontaire de grossesse. Le débat est violent, les insultes nombreuses. Mais la loi passe, d’abord à titre provisoire, puis confirmée en 1979.
La France rejoint alors d’autres pays européens qui ont légalisé l’avortement dans les années 1970. Ce n’est pas un droit absolu, mais un compromis : l’IVG est possible dans un délai de 10 semaines (puis 12, et aujourd’hui 14), sous certaines conditions. Mais pour la première fois, la parole des femmes devient centrale.
La légalisation ne signifie pas la fin des obstacles. L’accès à l’IVG reste inégal selon les régions, les moyens, les origines sociales. Certains médecins font jouer la clause de conscience. Des services ferment. Des femmes doivent encore parcourir des centaines de kilomètres pour avorter.
Au début des années 2000, des collectifs féministes relancent le débat. Ils dénoncent les pressions, les délais, les stigmatisations persistantes. Les mouvements réactionnaires s’organisent aussi, souvent liés à des groupes religieux, pour tenter d’inverser le cours de l’histoire.
Aujourd’hui, l’avortement est redevenu un marqueur politique. Dans plusieurs pays, il est menacé, restreint, voire interdit. La France, elle, vient de l’inscrire dans sa Constitution en 2024. Ce geste, symbolique mais fort, montre que le droit des femmes à disposer de leur corps n’est jamais définitivement acquis.
Les points sont positionnés dans une zone proche (pays, villes, etc.) du thème de l’article sur la carte interactive.
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