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Le Tour de France, régulation et performance

Le Tour est une compétition sportive élitiste depuis sa création. Les règles n’ont pas énormément changé entre 1903 et 1925.
Tour de France 1930 - Agence Rol | Domaine public
Tour de France 1930 – Agence Rol | Domaine public

Le Tour est une compétition sportive élitiste depuis sa création. Les règles n’ont pas énormément changé entre 1903 et 1925. Les coureurs font partie d’une équipe, mais l’entraide est interdite, le nombre d’étapes a augmenté de deux et les distances sont toujours plus importantes…

En effet, en 1924, le Tour comporte 15 étapes pour une distance totale de 5 425 kilomètres soit environ 361 kilomètres de moyenne par étape, pour un mois de compétition.

Une compétition longue et éprouvante

À la ligne 32 l’un des frères Pélissier évoque la dureté de la course avec ces mots : « courir comme des brutes », propos qui se constatent par les chiffres précédents. Ce rythme frénétique n’a qu’un seul objectif : tester la résistance des bicyclettes car, en effet, l’événement est sponsorisé par les fabricants de cycles. L’homme est secondaire, ce qui importe c’est l’arrivée de la bicyclette après avoir subi les âpres conditions de l’étape.

Ainsi, elles étaient longues, tellement longues que les coureurs les terminaient de nuit. En 1906, le Tour de France se déroule sur 13 étapes avec un total de 4 595 kilomètres, la moyenne étant de 349 kilomètres par étape. Ainsi celle de Brest-Caen nécessite 18 h 25 de vélo pour être terminée par le vainqueur de l’étape Georges Passerieu.

Les coureurs roulaient dans ces conditions pendant treize étapes, avec une à deux journées de repos entre chaque course. La grande différence de l’édition de 1924, avec celle de 1906, c’est que les nouvelles règles interdisent de rouler la nuit, pour diminuer la triche, ainsi les courses commencent aux aurores. Les propos de Ville à la ligne 45 et 46 : « ils m’ont trouvé en détresse sur la route. J’ai « les rotules en os de mort » » n’étonnent pas, tant par la longueur et les contraintes de l’étape mais aussi parce que les abandons sont nombreux.

En effet, cette édition compte 157 coureurs au départ pour 60 coureurs à l’arrivée. La difficulté physique de la compétition est donc réelle, mais s’ajoute à celle-ci des contraintes matérielles.

Des règles strictes et absurdes

Les coureurs appartiennent à des maisons de cycles qui sponsorisent les coureurs. Il a été demandé lors de cette édition que les coureurs conservent tout l’outillage fournit par ces dites maisons et qu’ils ne les jettent pas au cours de l’étape.

Cette demande est légitime étant donné que cette même règle est présente dans le règlement officiel du Tour de l’époque. Cette règle arrive aux oreilles du gagnant du Tour de France de l’année passée, Henri Pélissier au départ de la course, ligne 25 à 28 : « Ce matin à Cherbourg, un commissaire s’approche de moi et, sans me dire, relève mon maillot. Il s’assurait que je n’avais pas deux maillots. Que diriez-vous, si je soulevais votre veste pour voir si vous avez une chemise blanche ? Je n’aime pas ces manières, voilà tout. ». Cette règle stipule donc que le coureur doit commencer et terminer la course avec le même nombre de vêtement.

Cette règle pousse le coureur à parler à l’organisateur Henri Desgrange. Le conflit est alors ouvert et dès lors l’abandon futur du coureur est évoqué ligne 38 : « À Brest, ce sera tout arrangé, parce que je passerai la main avant… ». Entre la ligne 73 et 78 de nombreuses règles étranges sont critiquées par Francis. En effet les coureurs ne peuvent être ravitaillés que par les membres de l’organisation et ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour réparer leur bicyclette, le dérailleur est interdit.

Les règles officielles du Tour se mélangent avec des lobbyistes du monde du sport, qui sponsorisent les coureurs en argent et en équipement onéreux. En plus de ces règles, l’organisateur Henri Desgrange se montre sous un air autoritaire, ligne 35 : « Non, vous ne pouvez pas jeter le matériel de la maison […]. Je ne discute pas dans la rue… ». Ce cumule pousse les coureurs à s’exprimer.

À la ligne 48 Henri Pélissier dit : « Vous n’avez pas idée de ce qu’est le Tour de France […], c’est un calvaire. Et encore, le chemin de Croix n’avait que quatorze stations, tandis que le nôtre en compte quinze. Nous souffrons du départ à l’arrivée. ». Le coureur en vient à comparer un événement sportif à un acte religieux, le chemin de Croix. Cet événement marque les moments importants de la vie du Christ, et sont pour les fidèles un moyen de communier avec les souffrances de celui-ci. La fin de chaque étape est pour le coureur, l’un des tableaux, des statues, des crucifix qui servent à marquer les stations du chemin des Croix.

L’épreuve est telle que le corps nécessite deux jours de repos et des produits qui s’apparentent à des produits de dopages et des drogues pour nos conceptions réglementaires actuelles du sport. En effet, dans leur détresse et leur soif de complaintes les trois coureurs en viennent à évoquer l’inavouable, les produits qu’ils utilisent pour se maintenir en forme pendant la durée de la compétition.

La performance à tout prix

En conséquence, les coureurs, entre la ligne 54 et 58, montrent l’attirail de produits dopants et stupéfiants qu’ils possèdent au journaliste Albert Londres : « Ça c’est de la cocaïne pour les yeux, ça c’est du chloroforme pour les gencives […] ça […] c’est de la pommade pour me chauffer les genoux […] nous marchons à la « dynamite » ». Les produits dopants sont nombreux parce qu’ils n’offrent pas les mêmes atouts temporaires au corps.

En effet, l’utilisation de la cocaïne fait office d’antidouleur puissant et d’excitant. Les coureurs peuvent rouler des heures sans sentir la douleur, tout en restant lucides. Le chloroforme est souvent utilisé en duo avec la cocaïne et permet également de diminuer la douleur. En somme le dopage est une pratique courante dans le sport en cette période, ou de toute manière aucune instance de contrôle n’existe.

L’objectif est de faire le spectacle et de vendre des journaux traitants des courses et non pas de prendre soin des coureurs [1]. Les hommes ne peuvent pas supporter physiquement les épreuves du Tour, ils doivent irrémédiablement utiliser des produits de la sorte pour tenir l’ensemble de la compétition.

Rappelons auparavant qu’Henri, Francis et Maurice sont des coureurs talentueux aux palmarès déjà bien remplis. En effet, Henri est vainqueur du Tour de France l’année passée, Francis a terminé sixième au Paris-Roubaix de 1919, entre autres, et Maurice Ville, l’exception, est lui un jeune cycliste très prometteur. Ils ne sont pas des touristes-routiers – coureurs amateurs du Tour –, mais bien des professionnels entrainés à rouler.

Cette utilisation de produit dopant est le signe de conditions toujours plus dures, pour répondre à des étapes de plus en plus dures. Comme nous l’évoquions précédemment, les étapes sont extrêmement longues, mais les parcours définis sont également complexes. En effet, les étapes de montagnes font monter les coureurs sur les pentes du Galibier, Peyresourde, Tourmalet et d’autres, des cols difficiles tant physiquement que techniquement. Il est notable de rappeler que les bicyclettes de l’époque sont loin de répondre à des critères techniques poussés. Elles pèsent entre dix et quinze kilogrammes, ne possèdent pas de freins – rétropédalage pour freiner -, pas de dérailleur – donc pas de vitesse, tout en 52 x 20 -, pas de roue libre, etc.

La compétition est une épreuve que le corps subit. La photographie du document 2 permet de nous rendre compte de l’état de la route. Elle a été prise lors d’une étape de montagne lors du passage du col d’Aubisque dans les Pyrénées. Ce n’est pas le col le plus difficile de la compétition, il culmine à 1700 mètres pour seulement 7,2% de dénivelé moyen, mais il faut ajouter l’inexistence de revêtement. La route n’est pas bitumée et semble être chaotique, des conditions compliquées pour un coureur et un stress supplémentaire pour la descente qui devient une épreuve dans de telles conditions.

La montagne a, dès le début, été intégrée à la course. Les cols ne figuraient pas véritablement comme des épreuves, le tracé se limitait à de la moyenne montagne. L’organisateur du Tour, Henri Desgrange ne souhaitait pas intégrer de haute montagne. Ce n’est que sous la pression du public qui se lasse depuis plusieurs éditions de la platitude des étapes et du manque de compétition entre les coureurs qui décident enfin d’en intégrer.

À partir de 1910, le Tour passe par les Pyrénées et le « hard labour » (ligne 70) commence pour les coureurs. En effet, cette chaîne de montagne est plus sauvage que les Alpes, les pourcentages sont élevés et la route très mal entretenue. Chaque édition est une surenchère de difficulté pour les coureurs, avec l’ajout de cols toujours plus difficiles. L’ajout du maillot jaune en 1919 et l’incorporation de bonifications pour les victoires d’étapes poussent les coureurs à attaquer et à performer durant toute la durée de l’édition. Ce challenge permet de mettre en avant les coureurs et leur bicyclette et d’augmenter les tirages quotidiens des journaux qui couvrent l’événement.

À notre grand étonnement, lors de nos recherches, nous n’avons pas relevé beaucoup d’accidents graves lors de cette période (1903-1925), alors que les conditions s’y prêtent ; sécurité minimale, équipement inadapté, suivi des sportifs inexistants etc. Ainsi, nous pouvons évoquer des accidents non mortels comme celui d’Eugène Christophe en 1913, qui chute lors de la descente du Tourmalet. Il doit alors forger sa fourche cassée chez un forgeron, tout seul (règlement oblige).

Eugène Christophe en 1913 - Jean Durry | Domaine public
Eugène Christophe en 1913 – Jean Durry | Domaine public

Les blessures physiques et morales que provoquent cette recherche inexorable de performance sont par contre documentées, a contrario des morts et des accidents graves. Ainsi à la ligne 59 : « la diarrhée nous vide, on tourne de l’œil […] et la viande de nos corps […] ne tient plus à notre squelette […] et les ongles de pieds […] j’en perds six sur dix, ils meurent petit à petit à chaque étape ». Le corps est poussé par de là ses limites, le sportif devient une machine.

Quelques liens et sources utiles

Sandrine Viollet, Le Tour de France cycliste : 1903-2005, L’Harmattan, 2007, p60-61

Mignot, Jean-François. « I. L’histoire du Tour de France, reflet de l’émergence d’une culture de masse », Jean-François Mignot éd., Histoire du Tour de France. La Découverte, 2014, pp. 7-26. 

Mignot Jean-François, « IV. Le spectacle du Tour de France », dans : Jean-François Mignot éd., Histoire du Tour de France. Paris, La Découverte, « Repères », 2014, p. 71-100

Chapel, Louise. « La fabrication du Tour de France : un réseau en action. (Enquête) », Terrains & travaux, vol. 12, no. 1, 2007, pp. 96-117. 

Fumey, Gilles. « Le Tour de France ou le vélo géographique. », Annales de Géographie, t. 115, n°650, 2006. pp. 388-408.

Perera, Éric, et Jacques Gleyse. « Le dopage dans quatre grands périodiques sportifs français de 1903 aux années soixante. Le secret, le pur et l’impur », Staps, vol. no 70, no. 4, 2005, pp. 89-107. 

Gaboriau, Philippe. « Les trois âges du vélo en France. », Vingtième Siècle, revue d’histoire, n°29, janvier-mars 1991. pp. 17-34.

[1] Le dopage est déjà connu pour le mal qu’il peut provoquer au corps. En 1896, un premier cycliste mourrait à cause du dopage sur le Paris-Bordeaux.

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