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Sitt al-Mulk : la princesse fatimide

Sitt al-Mulk est une figure emblématique de la dynastie fatimide. Cette princesse-tante, à la fois femme influente et régente habile !
[Image d'illustration] Départ de la famille de Boabdil de l'Alhambra. L'œuvre représente le moment où Boadbil (1459-1533), le dernier roi musulman de Grenade, a quitté le palais de l'Alhambra avec sa famille après la prise de Grenade par les Rois Catholiques en 1492 - Manuel Gómez-Moreno González | Domaine public
[Image d’illustration] Départ de la famille de Boabdil de l’Alhambra. L’œuvre représente le moment où Boadbil (1459-1533), le dernier roi musulman de Grenade, a quitté le palais de l’Alhambra avec sa famille après la prise de Grenade par les Rois Catholiques en 1492 – Manuel Gómez-Moreno González | Domaine public

Sitt al-Mulk est une figure emblématique de la dynastie fatimide. Cette princesse-tante, à la fois femme influente et régente habile, a su braver les normes de son époque pour s’affirmer sur la scène politique.

Par son courage et sa perspicacité, elle a joué un rôle crucial dans le maintien du pouvoir du califat face à l’ambition des administrateurs. Elle a également marqué l’histoire par sa politique audacieuse, prenant le contre-pied de celle de son demi-frère, pour redresser un empire en pleine crise.

Découvrez cette femme de pouvoir qui a su, contre vents et marées, faire preuve d’une incroyable résilience.

Sitt al-Mulk fille du calife fatimide al-‘Azîz

Sitt al-Mulk voit le jour en septembre 970 dans la ville d’al-Mansuriyya, située non loin de Kairouan, en Tunisie. Elle est le fruit de l’union d’une esclave et de Abu Mansur Nizar al-Aziz Billah, fils du quatrième calife fatimide, Al-Muʿizz li-Dīn Allāh.

À l’époque de sa naissance, sous l’impulsion de son grand-père, le califat fatimide est en pleine expansion. Il étend son emprise jusqu’en Égypte, où il fonde la ville d’al-Qâhira, mieux connue aujourd’hui sous le nom du Caire. C’est également là que le califat fatimide décide de transférer sa capitale.

Sitt al-Mulk n’a que trois ans et demi quand elle s’installe au Caire. La mort de son grand-père, al-Muizz, survient en 975. Suite à cet événement, son père, le prince Nizâr, accède au califat sous le nom d’Abu Mansur Nizar al-Aziz Billah.

La jeune Sitt al-Mulk est souvent décrite comme une femme belle et dotée d’une grande intelligence. Durant son enfance, elle bénéficie d’un environnement particulièrement bienveillant et privilégié. Son père, qui l’aime énormément, veille à ce qu’elle soit protégée en lui attribuant une garde rapprochée. Il fait également construire un palais pour elle et porte une grande attention à ses opinions.

Mosquée d'al-Hâkim (en) au Caire - Michel Benoist Mbenoist | Creative Commons BY 2.5
Mosquée d’al-Hâkim (en) au Caire – Michel Benoist Mbenoist | Creative Commons BY 2.5

Habituellement, les princesses fatimides sont tenues à distance du pouvoir. Elles se consacrent principalement à des œuvres de charité et à l’édification de bâtiments publics ou religieux. Sitt al-Mulk, cependant, ne se contente pas de ce rôle conventionnel.

Elle est intégrée aux cercles politiques du palais et a une influence notable sur les décisions de son père. L’année 989 en est un parfait exemple. Elle joue un rôle majeur pour aider le vizir Ibn Nastûrus à se réconcilier avec son père et à revenir dans ses bonnes grâces. L’histoire de Sitt al-Mulk est donc une illustration du pouvoir d’une femme dans le monde politique de cette époque.

L’intervention de Sitt al-Mulk à la mort de son père

Sitt al-Mulk, comme toutes les autres princesses issues de la lignée des imams-califes fatimides, ne connaîtra jamais les liens du mariage. D’après l’historien Heinz Halm, cette situation découle d’une stratégie délibérée visant à prévenir l’apparition de prétendants multiples au trône.

Les princesses fatimides jouaient un rôle social spécifique dans le cadre de la politique de l’empire. Éloignées de la scène politique, ces femmes, issues de la royauté fatimide, disposaient d’une fortune considérable grâce à une multitude de cadeaux et de rentes. À leur mort, en l’absence d’héritiers, cette richesse revenait à l’État.

Durant leur vie, ces femmes de la famille royale fatimide se consacraient à la mise en place de fondations caritatives et à la construction de bâtiments publics, qu’ils soient de nature religieuse ou non. Elles menaient une politique d’évergétisme. Sitt al-Mulk, par exemple, a financé la construction de puits, de citernes, de bains et bien d’autres infrastructures.

Sitt al-Mulk, particulièrement privilégiée par son père, a transcendé le rôle traditionnel des princesses fatimides. Elle est entrée dans le cercle politique du palais, influençant même les décisions de son père. De plus, sa propre famille jouissait d’un statut important à la cour fatimide, ce qui renforçait son influence politique. Par exemple, l’oncle de Sitt al-Mulk a été nommé patriarche de Jérusalem par le calife vers 985.

À la mort subite du calife al-Azîz le 13 octobre 996, alors que Sitt al-Mulk était âgée de vingt-six ans, elle a tenté une prise de pouvoir. Accompagnée de courtisans et de la garde du palais, elle s’est précipitée à al-Qâhira pour s’emparer du palais du calife. Selon certaines sources, elle aurait voulu placer sur le trône un cousin dont elle serait tombée amoureuse. Toutefois, cette version reste incertaine.

Ce qui est sûr, c’est que Sitt al-Mulk a tenté de s’emparer du palais califal et d’intervenir dans les affaires de l’État. Malgré cela, sa tentative a échoué et elle a été arrêtée par l’eunuque du palais, Bardjawân. Ce dernier a alors proclamé calife le jeune prince al-Mansûr (al-Hâkim), demi-frère de Sitt al-Mulk, qui n’avait alors que onze ans. Le jeune calife a été placé sous la tutelle des puissants de la cour fatimide, avant de prendre véritablement le pouvoir vers 1000.

Un règne de terreur sous Al-Hakim bi-Amr Allah

Le début du règne du très jeune calife se fait sous une tutelle stricte, et Sitt al-Mulk réussit à se faire une place dans ses faveurs. Selon certaines sources, elle le comble de présents nombreux et variés, ce qui lui permet d’exercer une influence conséquente sur lui, à l’instar de ce qu’elle avait pu faire auparavant avec son père. En l’an 1000, l’eunuque Bardjawân est assassiné, et al-Hakim commence à affirmer son indépendance. La même année, il accorde à sa demi-sœur des domaines en Égypte et en Syrie, ainsi que des concessions générant des revenus considérables, qu’elle administre grâce à sa propre équipe de gestion.

Cependant, la bonne entente entre le calife et sa demi-sœur ne perdure pas. Progressivement, le calife instaure des lois strictes, en particulier envers les dhimmis, les citoyens non musulmans. Les assassinats de membres de l’élite, de vizirs, de fonctionnaires, mais aussi de simples citoyens se multiplient. Tandis que la méfiance entre Sitt al-Mulk et son demi-frère s’intensifie, ce dernier fait également exécuter certains de ses partisans. Entre tortures, meurtres et répressions de révoltes, le règne du sixième calife devient un règne de terreur.

Cette terreur s’infiltre également dans la vie personnelle d’al-Hakim. En 1013, les témoignages rapportent qu’il fait preuve d’une grande brutalité envers les femmes de son harem. C’est à tel point que Sitt al-Mulk décide d’intervenir pour mettre sous sa protection la umm al-walad (une esclave qui a donné un fils à son maître) Rukayya et son fils Abû ‘l-Hasan. Elle prendra en charge elle-même l’éducation de son neveu. En guise de réplique, al-Hakim désigne comme successeur son cousin ‘Abd al-Rahîm ibn Ilyâs, gouverneur de Damas, au lieu de son propre fils.

La régence de Sitt al-Mulk sur l’Empire fatimide

En février 1021, al-Hakim disparaît au cours d’une promenade nocturne ; cinq jours plus tard, ses vêtements sont retrouvés, percés de coups de poignards. Certains écrits médiévaux accusent Sitt al-Mulk d’avoir commandité ce meurtre, mais cette hypothèse, provenant d’un chroniqueur hostile aux Fatimides, est aujourd’hui largement contestée. Les autres sources contemporaines ne tiennent pas la princesse pour responsable de la disparition de son demi-frère.

Sitt al-Mulk souhaite installer sur le trône son neveu et protégé, Abû ‘l-Hasan. Pour éliminer l’héritier désigné par le défunt calife, le gouverneur de Damas, elle l’invite à revenir en Égypte où elle le fait emprisonner ; il finira par mourir en prison. Par la suite, elle s’assure que son neveu devienne le septième calife fatimide, sous le nom d’al-Zâhir. La “princesse-tante” (al-Sayyida al-‘amma), comme l’appellent les sources, assume la régence.

Califat islamique fatimide - Yenemus | Domaine public
Califat islamique fatimide à son apogée – Yenemus | Domaine public

Une fois régente, Sitt al-Mulk s’efforce de redresser l’empire fatimide, après le chaos du règne de terreur de son demi-frère, bien qu’elle emploie elle-même parfois des moyens violents, y compris des assassinats politiques. Elle remet de l’ordre dans les finances de l’empire en annulant les multiples largesses accordées à ses soutiens par al-Hakim, et en rétablissant des taxes qu’il avait supprimées.

En tous points, Sitt al-Mulk prend le contre-pied de la politique de son demi-frère. Elle restaure les droits et les libertés qu’il avait restreints, en particulier pour les femmes et les dhimmis. Elle rétablit la tolérance religieuse, permettant à ceux qui ont été forcés à se convertir de revenir à leur première religion, ainsi que la liberté pour les femmes de sortir de leur maison.

Sitt al-Mulk meurt de dysenterie en février 1023. Après sa mort, pour diverses raisons, l’empire fatimide entre en crise.

Durant toute sa régence, Sitt al-Mulk cherche à protéger le pouvoir du jeune calife al-Zâhir contre les ambitions grandissantes des administrateurs qui gagnent en influence. Cependant, après sa mort, le pouvoir politique est accaparé par l’administration. Si Sitt al-Mulk parvient à exercer réellement le pouvoir pendant les deux années qui suivent la mort d’al-Hakim, c’est en grande partie grâce à la politique de terreur instaurée par celui-ci. En effet, son règne de terreur, ainsi que l’élimination des membres de l’élite, ont laissé la place à une nouvelle figure politique prête à prendre le contre-pied d’une politique largement contestée et désireuse de renforcer le pouvoir du califat fatimide.

De plus, sa position privilégiée en tant que femme de la dynastie fatimide lui a permis d’acquérir une influence économique et sociale croissante, de se familiariser avec les problèmes politiques tout en se démarquant des actions d’al-Hakim, et d’avoir des contacts avec les administrateurs. Cela explique pourquoi elle n’a pas rencontré d’opposition de la part de l’élite dirigeante.

Quelques liens et sources utiles

Heinz Halm, « Sitt al-Mulk », Encyclopédie de l’Islam. Brill Online, 2015

Yaacov Lev, « The Fāṭimid Princess Sitt al-Mulk », Journal of Semitic Studies, XXXII, 1987

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