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La déclaration d’Arbroath, ou l’héritage indépendantiste écossais

L’année 1320 signe la naissance de ce qui deviendra le symbole de l’indépendantisme écossais : la déclaration d’Arbroath.
Copie de la déclaration d'Arbroath exposée à l'abbaye d'Arbroath - Mike Pennington | Creative Commons BY-SA 2.0 DEED
Copie de la déclaration d’Arbroath exposée à l’abbaye d’Arbroath – Mike Pennington | Creative Commons BY-SA 2.0 DEED

L’année 1320 sera marquante pour l’Écosse du XIXe-XXe siècle, car c’est cette année que la déclaration d’Arbroath voit le jour. La déclaration d’Arbroath, lettre adressée au pape concernant les prétentions externes aux terres écossaises et plaidant pour son indépendance, n’a pourtant obtenu qu’un résultat mitigé à son époque.

Cependant, c’est le symbole qu’elle représente qui a participé à sa future postérité. Elle déclare l’indépendance immémoriale et immuable de l’Écosse et nomme le roi d’Écosse comme défenseur de cette indépendance. Il n’est alors pas étonnant qu’elle soit ressortie de l’ombre lorsque l’Écosse s’est retrouvée sous la bannière du Royaume-Uni et donc sujette au Parlement anglais.

L’origine de la déclaration d’Arbroath

Les conflits entre l’Écosse et l’Angleterre au XIVe siècle

La première guerre d’indépendance écossaise résulte du mariage de Marguerite de Norvège, petite-fille d’Alexandre III d’Écosse et seule héritière du trône d’Écosse, au fils d’Édouard Ier, roi d’Angleterre. Ce mariage ne fut accepté qu’à la condition que soit signé le traité de Birgham négociant l’indépendance de l’Écosse et donc sa séparation irrévocable de l’Angleterre après la mort d’Alexandre III. Malheureusement, Marguerite mourra lors de son voyage vers l’Angleterre, annulant l’accord entre les deux pays. Édouard Ier d’Angleterre revendiqua alors l’Écosse comme étant sienne. Ce à quoi les Écossais ont répondu par une résistance farouche.

Cette première guerre d’indépendance écossaise a commencé en 1296 et s’est terminée en 1328. L’un de ses moments les plus mémorables est la bataille de Bannockburn en 1314. Durant cette bataille, un des prétendants au trône d’Écosse, Robert de Bruce, a remporté une victoire décisive, consolidant ainsi la résistance écossaise.

Robert de Bruce, futur roi d’Écosse et ancêtre de Marie Stuart, a en effet joué un rôle essentiel dans la lutte pour l’indépendance écossaise.

Il a tout d’abord été couronné roi en 1306 après avoir tué son rival, John Comyn, meurtre pour lequel il fut excommunié par le pape. Cette excommunication entrave alors la revendication de l’indépendance écossaise.

Néanmoins, Robert de Bruce continua à défendre l’indépendance de son pays et cette détermination s’est cristallisée lors de la bataille de Bannockburn.

Sa victoire lors de cette bataille a d’ailleurs conduit à une période relative de stabilité, bien que les hostilités entre l’Écosse et l’Angleterre aient persisté.

Buste de Robert de Bruce exposé au musée William Wallace à Stirling en Écosse - Otter | Creative Commons BY-SA 3.0 DEED
Buste de Robert de Bruce exposé au musée William Wallace à Stirling en Écosse – Otter | Creative Commons BY-SA 3.0 DEED

La déclaration d’Arbroath et ses revendications

En 1320, la Déclaration d’Arbroath a été rédigée par plusieurs nobles écossais, y compris le roi Robert Ier, et consignée sur parchemin par Bernard de Kilwinning. Elle constitue une réponse directe à la pression internationale exigeant que l’Écosse reconnaisse la souveraineté anglaise. Elle était adressée au pape Jean XXII et affirmait la légitimité de Robert Ier en tant que roi d’Écosse, tout en proclamant le droit de l’Écosse à l’indépendance.

Dans le contexte de la première guerre d’indépendance écossaise, la déclaration d’Arbroath reflète la détermination des Écossais à préserver leur autonomie face aux revendications anglaises. Cependant, elle semble surtout avoir une dimension de propagande. En effet, en présentant son souverain comme un défenseur du royaume plutôt qu’un tyran, le peuple écossais lui est plus favorable. De même, cette lettre adressée directement au pape a principalement pour but d’améliorer l’opinion de la papauté envers les Écossais, jusqu’alors réticents aux négociations avec Rome.

Cette déclaration écossaise semble faire écho à la lettre envoyée par Edward Ier au pape en 1301, voire même y répondre. Ce qui est largement possible puisque le contenu de cette lettre anglaise avait été accessible aux représentants écossais présents à Rome lors de sa lecture au pape. De plus, les deux documents exposent leurs raisonnements et justifications historiques liés à leur implication dans la guerre d’indépendance. En réponse à cette lettre écossaise, le pape Jean XXII a assuré avoir plaidé la cause écossaise et exhorté Edward II à considérer la paix entre les deux pays. L’implication du pape dans les conflits d’états étrangers est d’ailleurs une notion ironique quand on sait qu’un siècle plus tard une rivalité entre deux papes pour être le seul et l’unique éclatera.

Finalement, ce ne sera que huit ans plus tard, avec le traité d’Édimbourg-Northampton en mars 1328, que l’indépendance de l’Écosse et le titre royal de Robert de Bruce seront officiellement reconnus, mettant ainsi un terme à une période tumultueuse marquée par cette guerre d’indépendance.

Importance symbolique de la déclaration en tant que premier acte d’indépendance écossaise

Symboliquement, cette déclaration est donc un premier pas diplomatique de la part de l’Écosse envers la papauté en leur montrant qu’ils ne sont plus aussi récalcitrants envers l’autorité papale. On y retrouve même une proposition d’aide à une future croisade si le pape les aide dans leur conflit d’indépendance. Cependant, les Écossais n’attendaient pas grand-chose de cette lettre, considérant la relation compliquée entre eux et la papauté. Ils furent alors réjouis d’obtenir une trêve de neuf mois à la pression exercée par le pape pour que l’Écosse accepte le joug britannique.

La déclaration d’Arbroath peut véritablement être considérée comme une déclaration d’indépendance, similaire à la déclaration d’indépendance américaine, en raison des points qu’elle soulève. En insistant sur le fait que le roi doit gouverner en accord avec le peuple, la déclaration met en lumière le rôle crucial du monarque dans la protection de l’Écosse contre toute tentative d’asservissement par l’Angleterre.

Elle soulève également d’autres points, tels que l’affirmation de l’indépendance de l’Écosse depuis toujours, la condamnation de l’injuste attaque d’Édouard Ier, et le salut à Robert de Bruce comme libérateur du joug anglais. Mais l’un des points majeurs de cette déclaration est celui qui dicte que l’indépendance écossaise relève de la prérogative du peuple, non du roi. C’est d’ailleurs pour cela que l’une des phrases les plus emblématiques de cette déclaration est la suivante :

« (…) car, aussi longtemps que ne serait-ce que cent d’entre nous serons vivants, jamais à aucune condition nous ne serons soumis à la domination anglaise. Ce n’est en vérité ni pour la gloire, ni pour la richesse, ni pour l’honneur que nous nous battons, mais pour la liberté ; pour elle seule, que nul honnête homme n’abandonne qu’avec la vie même. »

Extrait de la déclaration d’Arbroath traduit de l’anglais

Néanmoins, ce sentiment n’est pas apparu soudainement. Il résulte d’un conflit d’appartenance territorial qui date, au moment de l’écriture de cette lettre diplomatique, de plusieurs générations.

La déclaration d’Arbroath, chef-d’œuvre diplomatique, représente donc habilement ce sentiment et l’ancre dans l’histoire, mais elle ne fait que découler des précédents conflits entre l’Angleterre et l’Écosse. Grant G. Simpson fait d’ailleurs remarqué qu’elle est également inspirée d’autres lettres européennes. De fait, si maintenant la déclaration d’Arbroath est érigée comme un monument de l’indépendantisme écossais, cette lettre diplomate n’a jamais eu de vocation légale, mais semble plutôt avoir été un instrument de propagande soigneusement conçu.

L’héritage indépendantiste de cette déclaration

Un regain d’intérêt universitaire quant à la déclaration d’Arbroath

À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, cette déclaration a suscité des discussions ferventes, devenant un sujet central de recherche et d’analyse universitaire. Désormais, on semble être capable de représenter la scène de l’assemblée de la déclaration d’Arbroath ainsi que les raisonnements politiques derrière celle-ci.

Et c’est d’ailleurs grâce à l’apport universitaire de chercheurs tels que James Ferguson et A. A. Duncan, guidés par l’élan de recherche initié par Lord Cooper en 1949. Ces recherches ont été essentielles pour éclaircir les questions entourant la déclaration d’Arbroath. Leurs travaux ont jeté une lumière nouvelle sur ce document historique qui a longtemps été oublié, n’ayant eu que peu de retombées politiques à son époque.

Enjeux contemporains de l’indépendance et écologie écossaise

Les enjeux contemporains liés à la quête d’indépendance de l’Écosse sont multiples, comme la gestion des écosystèmes spécifiques à l’Écosse. On peut prendre en exemple le « machair », un bord de mer fertile que l’on retrouve en Écosse et en Irlande. Dans son article, Jean Berton démontre que la gestion britannique de ces terres a entraîné des problèmes écologiques, car elle n’a pas pris en compte l’avis des Écossais qui connaissent cet écosystème. En effet, les politiques d’urbanisation de ces bords de mer ont déstabilisé l’écosystème qui n’arrive donc plus à s’autogérer comme il le faisait avant.

Ces problèmes de gestion du territoire sont le résultat de plus de trois siècles durant lesquels l’Écosse fut sous la bannière du Royaume-Uni, soumise aux affaires légales du Parlement britannique à Westminster, un quartier de Londres. En conséquence, la mémoire écossaise se tourne vers la déclaration d’Arbroath, un symbole d’une période où l’indépendance était fortement défendue. Il est intéressant de noter que cette situation écossaise trouve des similitudes avec celle du Maroc sous le Protectorat français.

La déclaration d’Arbroath et le sentiment indépendantiste écossais

La déclaration d’Arbroath a joué un rôle essentiel dans la promotion du sentiment indépendantiste écossais au fil des siècles.

Statue de Bernard de Kilwinning et Robert Ier tenant la déclaration d’Arbroath située devant l’infirmerie d’Arbroath - Karen Vernon | Creative Commons BY-SA 2.0
Statue de Bernard de Kilwinning et Robert Ier tenant la déclaration d’Arbroath située devant l’infirmerie d’Arbroath – Karen Vernon | Creative Commons BY-SA 2.0

Ses répercussions sur la conscience nationale écossaise ont été significatives, en particulier à partir du XIXe siècle. Et cela se remarque par des monuments ou des événements tels que la création d’une statue en l’honneur de la déclaration à Arbroath ou encore l’instauration du National Tartan Day en 1998.

Ce dernier événement résulte d’une déclaration du Sénat américain affirmant que leur propre déclaration aurait été modelée d’après celle d’Arbroath.

De plus, la déclaration d’Arbroath a été inscrite au registre britannique de la mémoire du monde, faisant partie du programme mémoire du monde de l’UNESCO, en 2016.

Finalement, un festival était prévu pour ses 700 ans en 2020, ainsi qu’une exposition au musée national d’Écosse ouverte au public. Et même si ces événements ont été annulés en raison de la pandémie de Covid, ils ont tout de même attiré l’attention sur la pertinence continue de cette déclaration dans le contexte contemporain de l’Écosse. En effet, la flamme de l’indépendance semble avoir toujours brûlé chez les Écossais, et elle ne semble pas prête de s’attiser.

Quelques sources et liens utiles :

Berton, Jean, “Le « machair », symbole de la résistance victorieuse à la colonisation de l’Ecosse septentrionale.” Caliban, No. 61, 2019, pp. 315-327.

Cowan, Edward J., ““For Freedom Alone”: The Declaration of Arbroath, 1320.” Edinbourg, Birlinn, 2008.

Simpson, Grant G., “The Declaration of Arbroath Revitalized.” The Scottish Historical Review, Vol. 56, No. 161, 1977, pp. 11-33.

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