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L’Université d’Angers : héritage du XIe siècle

L'Université d'Angers, trône comme fondatrice, auprès de l'université de Paris, Orléans, Toulouse et Montpellier.
Carte postale du Château d'Angers avec une vue du XIIIe siècle - Archive départementale du Maine-et-Loire | Licence Ouverte Version 2.0
Carte postale du Château d’Angers avec une vue du XIIIe siècle – Archive départementale du Maine-et-Loire | Licence Ouverte Version 2.0

Le Moyen Âge a été une période innovante pour la pensée. Cette époque marque notamment le développement des universités dans l’ensemble de l’Europe. Nous évoquions dernièrement cette nouvelle perspective de l’histoire du Moyen Âge qui s’oppose à la vision déformée que nous en avons encore. En effet, cette période, qui s’étend sur plus de 1000 ans, a été une période de réflexion, de développement, et d’innovation pour les civilisations européennes.

Ainsi, Angers, dotée depuis le XIe siècle d’une « étude », renommée université en 1337, a connu une ascension rapide grâce à Charles V, qui a créé l’université « Droit, médecine et théologie » en 1364.

La naissance de l’Université d’Angers

La création de l’université d’Angers remonte à une période où elles étaient peu nombreuses et éparpillées dans l’ensemble de l’Europe. Elle fut l’une des premières en France, marquant ainsi l’importance de la ville.

En effet, Angers était située à la jonction des territoires anglais pendant la Guerre de Cent Ans. Elle devint le siège des Plantagenets et se trouvait au carrefour du Loir, de la Sarthe, de la Mayenne, et de la Loire. La cité était aussi importante sur le plan économique que stratégique. Par conséquent, la posséder, lui conférer du prestige, et créer une élite était essentiel pour affirmer son pouvoir sur cette région.

Sous la tutelle ecclésiastique

Ainsi, l’Université d’Angers trône comme fondatrice, aux côtés des universités de Paris, Orléans, Toulouse et Montpellier. La naissance d’une université angevine prend ses racines dans une importante communauté ecclésiastique à Angers, notamment avec une école cathédrale attestée dès le Xe siècle. Cette école est la résurgence des prescriptions des capitulaires (documents législatifs) carolingiens.

À la fin du XIe siècle, l’école d’Angers a acquis une certaine réputation, encore renforcée sous Ulger, maître-école vers 1107, avant d’être élevé à la dignité épiscopale en 1125. Les clercs formés à Angers sont promis à une brillante carrière ecclésiastique : Geoffroi Babion (maître-école vers 1103-1106) est devenu archevêque de Bordeaux ; Baudri, abbé de Bourgueil, puis évêque de Dol-de-Bretagne ; Renaud de Martigné, évêque d’Angers, puis archevêque de Reims. Robert d’Arbrissel ; Abélard ; Aubin, écolâtre de Lincoln ; de nombreux clercs anglais ; Matthieu, conseiller du pape Alexandre III, puis cardinal, ont fréquenté l’école d’Angers.

Sylvain Bertoldi, Conservateur en chef des Archives d’Angers, LA PREMIÈRE UNIVERSITÉ, Archives Angers

Cette importante source d’enseignement a conduit à l’établissement de diverses écoles à Angers et dans ses environs, notamment des écoles liées au droit canonique et au droit civil. Une élite religieuse s’est donc durablement installée dans la cité.

La structure de ces écoles était placée sous la protection du pape, afin de se soustraire à toutes les prérogatives civiles imposées dans la société médiévale. Leur fonctionnement reposait sur ce qui était la norme à l’époque, avec des maîtres et des étudiants.

L’implication monarchique à l’université

La mainmise de l’Église sur le fonctionnement des universités a longtemps été totale. En 1231, les maîtres et étudiants de la ville de Paris obtiennent la protection du pape Grégoire IX dans une bulle pontificale.

L’affirmation de la monarchie dans les royaumes européens pousse les souverains à affirmer leur autorité sur l’ensemble des structures de la société, notamment les universités. En ce sens, comme nous l’avons évoqué précédemment, Charles V accorde à l’Université d’Angers un certain nombre de privilèges. Ces privilèges sont réformés le 7 juillet 1373, notamment pour encadrer l’accession aux chaires, les examens, l’organisation des études et les fonctions administratives.

Une carte de la ville d'Angers - Archive départementale du Maine-et-Loire | Licence Ouverte Version 2.0
Une carte de la ville d’Angers – Archive départementale du Maine-et-Loire | Licence Ouverte Version 2.0

La présence de membres de l’Université d’Angers, Guillaume Maugendre et Nicolas de Mellay, au concile de Pise (1409) – qui avait pour objectif de statuer définitivement sur le Grand Schisme d’Occident – témoigne de l’importance de l’université, tant par les hommes qui composent le corps des maîtres et étudiants que par son ancienneté par rapport à d’autres. Cette présence est réaffirmée lors du concile de Constance (1414 – 1418), où un conseiller des ducs d’Anjou participe au nom de l’Université d’Angers.

L’entente entre le pouvoir royal, le pouvoir local et l’Église se reflète donc pleinement dans le fonctionnement des universités. Le début du XVe siècle est faste pour l’Université d’Angers, comme nous venons de le voir. Cependant, une période plus sombre s’amorce. La fondation d’universités dans les villes de Poitiers (1431), Caen (1432) et Nantes (1460) disperse le savoir et fragilise le monopole angevin. L’insécurité aux frontières du royaume, ainsi que plusieurs épidémies de peste, contribuent à la fragilisation du corps savant d’Angers. Le prestige de la ville, et donc du pouvoir local, diminue dans un territoire en proie à la dispute continue entre Français et Anglais.

La diversité des enseignements à l’Université d’Angers

Nous l’avons mentionné précédemment, dans un premier temps, l’Université d’Angers se limitait principalement à l’enseignement religieux, étant étroitement liée au monde ecclésiastique, ce qui était en accord avec sa fondation. Avec la consécration par Charles V, l’université a progressivement intégré des enseignements liés au droit et à la médecine, et le cursus théologique a été remanié.

Statuts de la faculté de médecine, manuscrit du doyen, 1484 | Archives départementales de Maine-et-Loire.
Statuts de la faculté de médecine, manuscrit du doyen, 1484 | Archives départementales de Maine-et-Loire.

Le 3 octobre 1432, une bulle pontificale d’Eugène IV a intégré une faculté des arts libéraux (grammaire, dialectique, rhétorique, arithmétique, musique, géométrie et astronomie) à l’Université d’Angers, ainsi qu’une faculté de médecine, élevant ainsi l’université au rang de studium generale, en complément des enseignements initiaux, notamment théologiques. Pendant cette période, environ 700 étudiants ont suivi les enseignements dans les facultés d’Angers.

Cette expansion du cursus à Angers a été motivée par deux raisons principales. La première était l’insécurité qui régnait dans le royaume de France, ce qui empêchait les étudiants de poursuivre leurs études dans d’autres universités, notamment à Paris. La seconde raison était plus officieuse et reflétait le lien entre le monde ecclésiastique et monarchique.

En effet, l’octroi de cette triple fondation à l’université répondait à la demande de Yolande d’Aragon et de son fils Louis III, duc d’Anjou. C’était un moyen efficace d’obtenir leur soutien pour le concile de Bâle.

Cette triple fondation a été confirmée par le pouvoir royal en mai 1433, sous le règne de Charles VII, permettant ainsi à l’Université d’Angers d’obtenir une reconnaissance de l’ensemble de ses privilèges anciens et nouveaux à l’échelle du royaume, initialement limitée à la province ecclésiastique de Tours.

L’université à Angers, un outil de pouvoir

La présence d’une université dans une ville est le symbole du pouvoir et de la prospérité. Angers occupe une place historique dans l’histoire des universités, et de nombreux acteurs ont cherché à exercer leur influence sur elle, comme nous l’avons mentionné précédemment. L’Église en a été le précurseur, tandis que le pouvoir monarchique a renforcé son statut. Cependant, ces deux acteurs ont coexisté dans le développement de cette institution.

Vers une laïcisation de l’université

Un autre acteur dont la présence a été évoquée à plusieurs reprises est le pouvoir local. En lien avec l’ouvrage Histoire de l’université d’Angers. Du Moyen Âge à nos jours, l’université d’Angers a été au centre des tensions entre ces trois pouvoirs.

En 1700, la ville d’Angers était la quinzième plus peuplée du royaume de France, avec 27 000 habitants. L’université jouissait d’une grande renommée tant en France qu’à l’international. Cette notoriété a automatiquement entraîné des conflits d’intérêts entre le roi Louis XIV, le duc d’Anjou qui est devenu Philippe V roi d’Espagne à cette époque (petit-fils de Louis XIV, soit dit en passant), et le pape Clément XI. Chacun cherchait à tirer le meilleur parti de la renommée de l’université, ce qui rendait difficile la préservation de ses franchises (son statut privilégié).

Initialement très liée à l’Église, l’université a progressivement été utilisée par le pouvoir local comme un moyen de former sa propre élite. Ce personnel est devenu de plus en plus laïc, ce qui a permis au pouvoir local, ainsi qu’au pouvoir royal, de se libérer de l’influence religieuse. À Angers, la faculté de droit a été l’une des premières à laïciser son personnel, favorisant ainsi la formation d’une élite administrative et régionale puissante, au service du pouvoir local.

La descente aux enfers après 1789 de l’Université d’Angers

La Révolution française de 1789 a marqué la fin de l’Ancien Régime et, surtout, le lent déclin de l’influence catholique au sein de la société française. Les biens de l’Église ont été confisqués et vendus, entraînant ainsi la caducité des privilèges accordés sous l’Ancien Régime.

Les universités d’Angers ont été fermées à partir du 15 septembre 1793. Malgré quelques projets éphémères les années suivantes, elles n’ont pas retrouvé leur ancienne puissance. Les réformes napoléoniennes n’ont pas permis à Angers de rouvrir des universités. En effet, la ville n’a pas été incluse dans la liste des villes disposant d’une faculté de droit ou de médecine. De plus, les installations initiales sont tombées en décrépitude. L’instabilité du XIXe siècle n’a pas non plus favorisé l’établissement durable d’une université, car chaque régime a supprimé et créé de nouvelles institutions par rapport au précédent. Ainsi, les réformes napoléoniennes, notamment l’ouverture de facultés des lettres et des sciences, ont été méthodiquement supprimées lors de la Restauration.

Angers a été délaissée au profit de sa rivale, Rennes. À Angers, seules des écoles préparatoires ont été installées, grâce aux décrets du 22 août 1854, qui ont permis la création d’écoles préparatoires à l’enseignement supérieur des lettres et des sciences, mais qui dépendaient de l’Université de Rennes.

Par chance, grâce à la loi Laboulaye du 12 juillet 1875 sur l’enseignement supérieur libre, une université catholique a ouvert ses portes le 1er octobre 1875, sous l’impulsion de Charles-Émile Freppel, alors évêque d’Angers. Il s’agit de l’actuelle Université Catholique de l’Ouest.

Ainsi, à la fin du XIXe siècle, Angers n’abritait qu’une école de médecine et de pharmacie, ainsi que les facultés catholiques. Pour les étudiants désireux d’étudier le droit, les lettres et les sciences, il était nécessaire de se rendre ailleurs.

Les universités modernes d’Angers

Grâce au militantisme organisé par les élites municipales, notamment le maire d’Angers de 1963 à 1977, Jean Turc, les préfets Jean Morin et Foyer, Angers est redevenue un lieu de savoir universitaire public, avec le retour de certaines branches, initialement rattachées à l’Université de Rennes.

Dans un premier temps, un collège scientifique universitaire attaché à l’Université de Rennes s’installe en 1957. Ensuite, l’école de médecine et de pharmacie devient une faculté associée à Nantes en 1965. Un IUT (Institut Universitaire de Technologie d’Angers-Cholet), toujours présent aujourd’hui et l’un des premiers de France, s’installe en 1966 dans le quartier Belle-Beille, qui devient par la force des choses le Campus Belle-Beille.

Courrier du Président de l’université d’Angers au Ministre de l’Éducation Nationale (2ETP1/203) (recto) | Archives départementales de Maine-et-Loire
Courrier du Président de l’université d’Angers au Ministre de l’Éducation Nationale (2ETP1/203) (recto) | Archives départementales de Maine-et-Loire
Courrier du Président de l’université d’Angers au Ministre de l’Éducation Nationale (2ETP1/203) (verso) | Archives départementales de Maine-et-Loire
Courrier du Président de l’université d’Angers au Ministre de l’Éducation Nationale (2ETP1/203) (verso) | Archives départementales de Maine-et-Loire

Ce n’est qu’avec un décret ministériel daté du 27 octobre 1971 qu’une université s’installe définitivement à Angers, à la fois dans le quartier Belle-Beille et Saint-Serge. Cependant, cette réinstallation n’a pas été rapide. Il a fallu attendre 1992 pour que les installations à Belle-Beille soient définitives et pérennes. La faculté de droit, économie et gestion dans le quartier Saint-Serge n’a été intégrée qu’en 1990.

L’université, qui ne comptait que 2 950 étudiants du public et 2 160 du privé en 1969, comptabilise 26 674 étudiants en 2020. Il s’agit donc d’un retour en force de l’enseignement supérieur à Angers, qui est aujourd’hui un symbole de cette ville, devenue définitivement très étudiante.

Quelques liens et sources utiles

Jean-François Condette, « Histoire de l’Université d’Angers du Moyen Âge à nos jours », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 2012

Matz Jean-Michel, Denéchère Yves, Histoire de l’université d’Angers. Du Moyen Âge à nos jours, PUR, 2012

Sylvain Bertoldi, Conservateur en chef des Archives d’Angers, LA PREMIÈRE UNIVERSITÉ, Archives Angers, 2018

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