L'ouvrage coup de cœur d'avril : Petit dictionnaire des Sales Boulots par Nicolas Méra

La rivalité de 2 papes : le Grand Schisme d’Occident

Par définition, le pape est forcément le seul à porter ce titre. Mais la fonction a parfois été revendiquée... par deux ou trois personnes !
Les évêques débattant avec le pape de Pise Jean XXIII lors du concile de Constance, chronique des années 1460 I Domaine public
Les évêques débattant avec le pape de Pise Jean XXIII lors du concile de Constance, chronique des années 1460 I Domaine public

L’histoire du Grand Schisme d’Occident de l’Église catholique au XIVe siècle, est un récit fascinant de division, de rivalité et de conflit au sein de la papauté. Durant cette période troublée, l’Église catholique a été confrontée à une situation sans précédent : deux papes rivaux revendiquant tous deux l’autorité suprême sur les fidèles.

Cette division a eu des répercussions durables sur la foi, la politique et la société de l’époque. Dans cet article, nous explorerons en détail les causes, les événements et les conséquences du Grand Schisme d’Occident, et nous plongerons dans les profondeurs de cette période tumultueuse de l’histoire de l’Église catholique.

L’évêque de Rome en Avignon 

En 1305, les cardinaux élisent à la tête de l’Église le français Clément V, alors que les États de l’Église traversent une grave crise politique. Il se fait couronner à Lyon, à l’époque territoire du Saint Empire Romain Germanique, puis pour éviter les conflits qui ont lieu en Italie, s’installe en Avignon.

Avignon est un choix propice pour s’installer de façon provisoire puisque c’est une terre appartenant à Charles II d’Anjou, roi de Naples et de Sicile, alors vassal du pape. C’est un territoire proche de Rome et aux frontières du royaume de France, dirigé par le roi capétien Philippe le Bel. Ce dernier cherche d’ailleurs depuis plusieurs années à renforcer son pouvoir sur celui de la papauté, en ayant par exemple levé un impôt spécial sur le clergé en 1295, la décime, et en ayant mis fin à l’ordre des Templiers en 1307, ces moines chevaliers trop influents à son goût, depuis les croisades en Terre Sainte.

Au fil des années, ce qui était une installation provisoire devient un lieu de résidence permanent. Pendant 70 ans, les six successeurs de Clément V, tous français comme lui, habitent Avignon et font de cette ville une réelle cité pontificale, comme en témoigne encore aujourd’hui le très célèbre Palais des Papes, patrimoine architectural et culturel indémodable de la ville. 

Photographie d’une fresque située dans la rue Dorée d’Avignon, représentant les neufs papes qui ont résidé dans la ville au XIVème siècle, A. VETELE, 15/05/2023

La tentative d’un retour des papes à Rome

En 1377, le pape Grégoire XI tente de regagner Rome pour répondre aux nombreuses sollicitations des fonctionnaires pontificaux – le pape est en premier lieu l’évêque de la Ville Éternelle -, qui font face à une agitation endémique dans les États de l’Église. Mais Grégoire XI meurt un an plus tard, sans que toute la cour pontificale n’ait eu le temps de le suivre. 

Sa mort laisse place naturellement à l’élection d’un nouveau pape par les cardinaux, qui élisent cette fois-ci un pape italien, l’archevêque de Bari, qui devient Urbain VI. Le problème qui émerge est qu’il est très peu diplomate, et que ses agissements ne conviennent pas à tous les cardinaux. Très critiqué, les dignitaires ecclésiastiques déclarent en août 1378 qu’en vertu du droit canon, puisque son élection a été précipitée et réalisée dans la peur, elle ne vaut rien, et qu’Urbain VI n’a pas les capacités pour gouverner l’Église.

C’est là la seule façon pour les cardinaux de tenter d’éliminer ce pape, puisque s’ils ont les pouvoirs de l’élire, ils ne peuvent pas le déposer eux-mêmes. Les cardinaux élisent un nouveau pape, Clément VII, qui retourne en terre d’Avignon. 

Un pape et un antipape ? 

Urbain VI n’ayant pas abdiqué, deux papes cohabitent désormais : l’un à Rome, capitale spirituelle et temporelle de la chrétienté, capitale des États de l’Église ; et l’autre pape en Avignon, carrefour terrestre de la chrétienté occidentale qui a fait la puissance de la papauté tout au long du XIVème siècle. Les deux papes, Urbain VI de Rome et Clément VII d’Avignon, s’excommunient mutuellement et cherchent à se légitimer auprès du plus grand nombre.

En pleine guerre de Cent Ans (1337-1453), l’Europe est déjà divisée entre alliés du royaume de France et partisans de la cause anglaise : ainsi, le royaume d’Angleterre, la Scandinavie ou encore la Pologne offrent leur soutien au pape de Rome, tandis que le royaume de France, allié de l’Écosse et l’Espagne se rapproche du pape d’Avignon. Ainsi, puisque les fidèles et le clergé suivent les décisions de leur prince, la vie religieuse quotidienne n’est pas réellement modifiée dans la plupart des royaumes, mais il existe quelques zones frontalières où le jeu politique est complexe : par exemple, deux dynasties se disputent la souveraineté du royaume de Naples, et se battent idéologiquement aussi sur le plan religieux en choisissant de se ranger du côté du pape romain pour l’une, et du côté du pape d’Avignon pour l’autre. Des confusions peuvent par exemple naître quant au choix différent des papes sur l’élection d’un évêque.  

Durant une trentaine d’années, les deux camps élisent chacun leur propre pape, qui à leurs tours élisent chacun prêtres et curés : ainsi, on trouve des paroisses avec deux dignitaires de l’Église (deux curés, deux prêtres… au lieu d’un habituellement).

Ainsi, les critiques anticléricales augmentent, et avec les papes qui se succèdent, certains fidèles commencent à percevoir la gravité de la crise qui frappe l’Église chrétienne d’Occident.

Un schisme qui dure depuis trop longtemps

Les universitaires proposent trois solutions pour résoudre la crise, qui paraît de plus en plus scandaleuse : la voie de cession (via cessionis) qui implique que les deux papes abdiquent, la voie de négociation (via conventionis) encourageant le dialogue entre les deux partis, et la voie conciliaire (via conciliaris), qui consiste à réunir un concile. Dans les années 1390, on tente de faire en sorte que les deux papes déposent leur charge. Par le hasard, le pape d’Avignon Clément VII meurt en 1394 et on élit à sa suite le pape Benoît XIII, connu pour sa diplomatie. 

Mais les tensions montent entre Benoît XIII et la cour de France, qui, sous l’autorité du duc de Bourgogne (le roi Charles VI étant en incapacité de gouverner puisque fou), décide la soustraction d’obédience. Cela signifie que la France ne reconnaît plus l’autorité du pape d’Avignon, de façon à encourager sa démission. Mais Benoît XIII, de façon inattendue, ne semble pas vouloir déposer ses charges, et ne rencontre pas son adversaire. 

Le rôle des cardinaux dans la résolution du conflit 

La voie de cession et celle de négociation n’ayant pas fonctionné, les cardinaux des deux partis tentent la troisième solution : réunir un concile. En 1409, ceux-ci se réunissent à Pise avec d’autres dignitaires ecclésiastiques. En réalité, le concile de Pise n’en est pas vraiment un, puisque seul le pape a les pouvoirs de réunir un concile. Mais seul un concile peut déposer un pape : les cardinaux ont donc pris des risques pour organiser cette rencontre. Ils parviennent à déposer les deux papes, à ce moment Benoît XIII (Avignon) et Grégoire XII (Rome). Ensuite, un conclave est organisé, et un nouveau pape est élu : Alexandre V. 

Au lieu de régler la crise qui sépare l’Église depuis des décennies, le concile de Pise l’aggrave : certains pays continuent de soutenir l’ancien pape ou antipape. La chrétienté d’Occident est donc partagée entre 3 papes. 

La fin du schisme par un acteur jusqu’ici oublié

En 1413, le roi de Hongrie et des Romains, Sigismond de Luxembourg, parvient à convaincre le pape de Pise Jean XXIII (successeur d’Alexandre V) de réunir le concile de Constance. De 1414 à 1418, quarante-cinq sessions sont organisées pour amener les cardinaux à trouver un terrain d’entente. Une des décisions prises pendant ce concile est le décret Haec Sancta, qui proclame la supériorité du concile sur le pape en ce qui concerne la foi et la résolution du schisme. Après cela, le concile a les droits légitimes pour déposer Jean XXIII, puis Benoît XIII ; pendant que Grégoire XII abdique. Officiellement, le schisme est réglé le 11 novembre 1417 avec l’élection de Martin V, désormais seul pape et qui réunit toute la chrétienté.

Une crise qui a ébranlé tout l’Occident médiéval

Malgré la résolution du conflit et le nouveau pape qui unit tous les croyants, le schisme a profondément marqué les communautés chrétiennes.

Le théologien anglais John Wyclif donnant sa version de la Bible et de la foi aux Lollards, des membres d'un groupe religieux adhérant aux principes avancés par le savant ; par le peintre W-F. YEAMES (1835-1918 ) I Domaine public
Le théologien anglais John Wyclif donnant sa version de la Bible et de la foi aux Lollards, des membres d’un groupe religieux adhérant aux principes avancés par le savant ; par le peintre W-F. YEAMES (1835-1918 ) I Domaine public

Celles-ci commencent à remettre en cause l’autorité du pouvoir pontifical, puisque normalement seul une personne peut avoir ce statut. Aussi, des universitaires comme le théologien de l’université d’Oxford J.Wyclif remettent en question l’autorité de l’Église, en avançant le fait que toute personne instruite peut lire la Bible seule sans l’aide du clergé. On remarque que cette idée est reprise moins de deux siècles plus tard par la Réforme protestante : J.Wyclif se positionne en faveur de la réforme de l’Église, et comme un précurseur de Luther.

Quelques années plus tard, en 1438, le roi de France Charles VII déclare avec la Pragmatique sanction de Bourges que les conciles sont supérieurs aux papes et que les évêques du royaume de France ne seront plus nommés par le pape mais élus par des prêtres. Ce sont là les fondements de l’église gallicane, qui se développera plus généralement en France le siècle suivant. 

Quelques liens et sources utiles :

MILLET Hélène « Le Grand Schisme d’Occident (1378-1417) ». Cahiers de Fanjeaux, vol. 39, nᵒ 1, 2004, p. 21‑37

 Amand Rastoul, L’unité religieuse pendant le Grand Schisme d’Occident, 1378-1417, Hachette, 2018

« Palais des Papes – Avignon Tourisme ». Palais des Papes – Avignon Tourisme, https://palais-des-papes.com/. Consulté le 29 mai 2023

PAYAN Paul « Chapitre III. Le Grand Schisme ou la papauté en question (1378-1417) ». Structures et dynamiques religieuses dans les sociétés de l’Occident latin (1179-1449), édité par Jean-Michel Matz et Marie-Madeleine De Cevins, Presses universitaires de Rennes, 2019, p. 45‑54

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