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Rêves de licornes, entre mythes et réalités historiques

Omniprésente depuis plusieurs années dans l’univers jeunesse, la licorne est un animal exceptionnel à bien des égards...
La jeune fille à la licorne, 1604 - Le Dominiquin | Domaine public
La jeune fille à la licorne, 1604 – Le Dominiquin | Domaine public

Omniprésente depuis plusieurs années dans l’univers de la jeunesse, la licorne est un animal exceptionnel à bien des égards, dont l’origine remonte probablement à quelques siècles avant notre ère, et dont les métamorphoses permanentes sont autant de marqueurs de l’évolution des croyances et des aspirations spirituelles.

Faite de paradoxes, réelle et imaginaire, masculine et féminine, sauvage et divine, féroce et pure, la licorne a vécu bien des transformations avant de nous parvenir comme une créature mythologique, équine et blanche. Si elle semble aujourd’hui réduite à une simple manne marketing auprès du jeune public, elle recèle pourtant bien des surprises, et ce n’est sans doute pas un hasard si son succès perdure à travers les siècles et réapparaît régulièrement, comme la marée, surgissant dans des domaines parfois inattendus. Grande est la puissance symbolique de la licorne, être merveilleux par excellence.

Le monocéros, la naissance d’un mythe

Déterminer l’apparition, dans les textes ou les représentations, de la première licorne telle que nous la connaissons, jument blanche avec une corne spiralée, s’avère impossible, dans la mesure où cette créature-là n’est inventée qu’au Moyen-Âge par des savants s’inspirant de descriptions et de représentations antiques.

La première description d’un animal unicorne apparaît sous la plume du médecin et voyageur grec Ctésias de Cnide au IVe siècle avant notre ère. Ctésias mentionne un âne des Indes, au corps blanc et à la tête pourpre, arborant une corne unique au milieu du front, longue « d’une coudée et demi, dont la base est blanche, la pointe pourpre, et la partie médiane complètement noire ».

L’âne indien est également cité par Aristote ou Pline ; selon ce dernier, cet animal possède un corps de cheval, une tête de cerf, un pied d’éléphant, une queue de sanglier, et « une corne noire, saillant au milieu du front, de deux coudées de long », c’est-à-dire d’un mètre.

Pour ces auteurs, ce monocéros, qui habite dans un Orient lointain et mystérieux, désigne un animal réel, bien qu’ils ne l’aient le plus souvent pas observé de leurs propres yeux : c’est, plus ou moins déformé, un rhinocéros qui est dépeint. Un rhinocéros doté de pouvoirs spécifiques.

L’âne des Indes est un animal très rapide, et sa corne, utilisée comme gobelet, possède des propriétés purifiantes et protectrices contre les poisons et les maladies. Ces propriétés peuvent sembler magiques aujourd’hui, mais cette croyance en des vertus thérapeutiques fait sens dans le contexte de la pharmacopée de l’époque (et même de la superstition autour des cornes ou de l’ivoire animal, et de leur trafic, aujourd’hui).

Ces deux attributs, la vélocité de l’animal, qui le rend impossible à capturer, et le caractère magique de sa corne, constituent des invariants au fil de l’évolution de la licorne. L’historien Plutarque effectue une rupture primordiale, en distinguant le rhinocéros du monocéros, sorte de synthèse entre l’antilope, l’onagre et le rhinocéros. Ce monocéros possède alors une existence tout aussi réelle que le rhinocéros, sa seule particularité résidant dans sa rareté. Cette « pré-licorne », dont l’existence est attestée dans des textes fondateurs de la culture, se voit ainsi inscrite dans le patrimoine animal, au même titre que les autres animaux non-fantastiques.

Licornes : Celles qui existent et celles qui n'existent pas

L’histoire fabuleuse des Licornes

Personnage de jeu vidéo, motif de pyjama, créature de Harry Potter ou support de « tutos beauté » : la licorne, icône de la pop culture, est aujourd’hui partout.

Sait-on que cet animal mythique trouve ses origines dans l’Antiquité grecque et l’Ancien Testament ?

Un ouvrage à découvrir et à lire en complément de cet article.

La licorne par le prisme de la littérature biblique

Un premier déplacement de ce monocéros « réel » vers une licorne chargée de symbolique s’opère dans la Bible, au gré des traductions. Les versets de l’Ancien Testament mentionnent un re’em, qui, en hébreu, désigne un auroch. Les traducteurs grecs de la Septante* opèrent un rapprochement entre ce re’em et le monocéros des naturalistes, que le traducteur Saint Jérôme, au IVe siècle de notre ère, traduit en latin unicornis.

Par la puissance qui lui est attribuée, l’unicorne se voit associé à Dieu, et sa corne se trouve interprétée comme un symbole de l’unité et de l’unicité de Dieu. Néanmoins, cette première licorne comporte une ambivalence : dans ces textes, le re’em/unicorne, par sa férocité, désigne parfois le Diable.

Véronique Decaix, historienne de la philosophie médiévale, souligne que les Pères de l’Église opèrent dans leurs exégèses un déplacement décisif à la fin de l’Antiquité : la licorne, précisément parce qu’elle est exotique et mystérieuse, en vient à être dans la doctrine chrétienne définitivement associée à Jésus. Ainsi,

Il ne s’agit plus de comparer Dieu à des animaux vivants dans les mêmes régions que les croyants. La licorne devient le Christ […]. Les mobiles de cette assimilation sont clairs : il s’agit d’adapter un motif païen à succès en lui donnant une forme acceptable aux yeux des chrétiens lettrés. La licorne vient conforter la religion chrétienne, encore jeune, dans sa visée apologétique. Nul lieu de s’étonner de ce portrait du Christ en licorne, lui qui est dit « agneau de Dieu ».

Véronique Decaix, « Pourquoi y croire ? » in Licornes. Celles qui existent et celles qui n’existent pas, p. 187.

*La Septante désigne l’ensemble des plus anciennes traductions de l’intégralité de la Bible hébraïque en grec, aux 3e et 2e siècles avant notre ère.

Une créature des Bestiaires

C’est un texte grec mêlant traditions grecque, égyptienne et orientale, le Physiologos, écrit à Alexandrie au IIe siècle de notre ère, qui marque la véritable naissance de cette interprétation biblique.

Au gré des multiples versions latines de ce texte, pénétré de théologie chrétienne, le Christ devient l’unicorne spirituel, dont la corne symbolise à la fois l’unicité de Dieu et son unité dans la Trinité. La corne représente également la toute-puissance invincible. L’unicorne à ce moment-là est toujours conçu comme un animal composite, ce qui correspond à la nature duelle du Christ, à la fois Dieu et homme.

Dans une visée théologique, l’unicorne change aussi de dimensions : il passe du gabarit du bœuf ou du cheval à celui de la chèvre, ce qui permet de lui conférer une autre qualité essentielle : l’humilité, celle nécessaire à celui qui vient se soumettre à la condition humaine.

Le Physiologos est un traité sur les créatures de toutes sortes, il décrit aussi bien des animaux réels que des créatures imaginaires. Il ne s’agit pas d’un ouvrage naturaliste au sens actuel, car en ces temps chrétiens, la Nature n’est autre que la Création, lieu où s’exprime le Verbe de Dieu, que les croyants doivent mettre à jour et déchiffrer.

Dans cette perspective, toute créature porte en elle un symbole, et toute situation où elle est mise en scène, une morale propre à édifier le lecteur vers la conscience de la Divinité. L’unicorne se trouve pour sa part au centre d’une allégorie dont les détails et l’interprétation prennent des visages variés tout au long du Moyen-Âge.

Dans le Physiologos, l’unicorne est décrit comme un chevreau à corne unique, paisible mais impossible à capturer. Alors les chasseurs placent sur son chemin une vierge : « L’animal vient se lover dans le giron de la vierge. Elle allaite l’animal et l’emporte dans le palais du roi ». La licorne est clairement associée au Christ.

L’unicorne s’applique donc au Sauveur. « Car dans la maison de David notre père a fait se dresser une corne de salut ». Les puissances angéliques n’ont pas pu le maîtriser et il s’est installé dans le ventre de Marie, celle qui est véritablement toujours vierge, « et le verbe s’est fait chair, et il s’est installé parmi nous ». Cité par Rémy Cordonnier, « Une créature du Bestiaire » in Licornes. Celles qui existent et celles qui n’existent pas, p. 81.

L’allégorie de la licorne représente ainsi, à ses origines, l’Incarnation : ce moment où Dieu se fait homme pour le salut de l’humanité pécheresse. Mais à quoi ressemble cet unicorne ?

La robe de la licorne

Le Physiologos original est modifié et complété au long de ses différentes traductions latines, et les variantes sont accompagnées d’enluminures, qui mettent en image la capture de la licorne : on y voit une jeune fille assise, sur laquelle repose un unicorne, tandis que des chasseurs se lancent à l’assaut de l’animal.

L’unicorne, de la taille d’un chevreau, présente parfois des attributs de chèvre : barbiche ou sabots fendus. Enfin, quant à sa robe, elle ne correspond pas tant à la description colorée par Ctésias qu’aux descriptions faites par Pline dans son Histoire naturelle, dans laquelle les rhinocéros éthiopiens ont la couleur du buis. Cette couleur correspond au jaune pâle du bois de buis poli.

Néanmoins, dans les enluminures médiévales, la robe de la licorne varie du vermillon au blanc en passant par le beige, le gris, le bleu. Le blanc n’y est pas majoritaire.

En réalité, la licorne devient blanche sous l’influence de son interprétation allégorique, à savoir sa pureté. La propriété purificatrice de la corne est devenue la pureté de la licorne elle-même. À fortiori dans un contexte de culte à Marie grandissant : la licorne s’identifie progressivement à la Vierge elle-même, lui empruntant ses caractéristiques. Les étapes de la chasse à la licorne deviennent ainsi celles de la vie de Marie : l’Annonciation, dans laquelle le chasseur devient l’archange Gabriel, l’Immaculée Conception, qui s’incarne dans la licorne réfugiée sur ses genoux, et le voyage vers le château, l’Assomption de la Vierge au Ciel.

La chasse mystique de la licorne représentant l'Annonciation (1489) - Martin Schongauer | Domaine public
La chasse mystique de la licorne représentant l’Annonciation (1489) – Martin Schongauer | Domaine public

Du religieux au courtois, de l’unicorne à la licorne

Cette évolution de l’unicorne vers une créature dépourvue de qualités viriles transparaît dans les bestiaires français, à partir du XIIe siècle. Ces bestiaires poursuivent la mission d’exégèse biblique initiée par le Physiologos, s’en inspirant très largement.

Certains d’entre eux, comme le bestiaire de Guillaume le Clerc ou celui de Pierre de Beauvais, sont destinés aux laïcs, ce qui explique leur forte dimension de prêche. Dans ces textes, l’unicorne représente bien le Christ se sacrifiant pour le salut de l’humanité.

Un bestiaire vient à la fin du XIIIe siècle changer la donne, en revisitant la scène de la chasse à la licorne selon une esthétique courtoise, la faisant ainsi basculer de la doctrine chrétienne à la doctrine de l’amour courtois. Dans le Bestiaire d’Amour de Richard de Fournival, l’amant prend en effet la place de l’unicorne, la jeune femme aimée celle de la Vierge, et l’Amour celle du chasseur. L’amant, pris au piège de l’amour, est condamné à mourir. Pourtant, si l’unicorne apparaît ici indiscutablement un double masculin, il ne conserve pas ses propriétés viriles.

La corne peut appeler une interprétation sexuelle, évoquant un symbole phallique, mais c’est « un désir qui ne déflore pas, un désir qui n’aboutit qu’à la mort ». (Marcel Faure, cité par Sophie Albert et Jean-René Valette, « À la croisée des sens, des genres et des discours », in Licornes. Celles qui existent et celles qui n’existent pas, p. 141). Car ce qui caractérise l’amour courtois, c’est précisément « une spiritualisation de l’amour qui implique le non-accomplissement de l’union charnelle » (ibid., p. 146).

Le passage progressif, dans la langue, du mot latin neutre unicornis, traduit en français par « l’unicorne », masculin, au substantif féminin « licorne » achève la transformation de la créature belliqueuse en incarnation d’un idéal féminin de pureté.

Le premier texte à employer la licorne au féminin est la Dame à la Licorne et le Beau Chevalier, rédigé au XIVe siècle, dans lequel la licorne est explicitement associée à la Dame. Elle y apparaît blanche, par un effet d’assimilation à la pureté de la Dame, et d’allure chevaline : elle sert de monture à la Dame. Tandis que l’unicorne, créature indomptable qui se soumet à une vierge, est un être actif, la licorne se présente désormais comme le double animal d’une femme essentiellement caractérisée par sa pureté. C’est ainsi qu’elle apparaît dans les fameuses tapisseries de la Dame à la licorne, réalisées au XVe siècle.

L’existence de la licorne

Le motif de la licorne était effectivement omniprésent dans l’esthétique médiévale, tant dans l’art que dans la littérature. Cette créature, bien que rare et dotée de propriétés merveilleuses attribuées à sa corne, était largement acceptée comme une réalité à l’époque médiévale.

Lorsque les premiers narvals ont été découverts, plutôt que de remettre en cause l’existence des licornes terrestres, cela a renforcé la croyance en elles. Les narvals, en raison de leurs longues dents torsadées, pouvaient être considérés comme des preuves supplémentaires de l’existence des licornes.

Pendant la fin du XVIe siècle et le début du XVIIe siècle, de nombreux traités ont été publiés pour débattre de la nature de la corne de licorne et de l’existence même de la créature. Bien que certains érudits aient spéculé que les licornes pourraient vivre dans des régions lointaines comme l’Afrique, aucun n’a conclu de manière définitive à leur inexistence.

Ambroise Paré, dans son Discours de la licorne publié en 1582, a réfuté les propriétés curatives de la corne, mais en raison de sa mention dans la Bible, il n’a pas osé affirmer que les licornes n’existaient pas, de peur de s’attirer l’opposition de l’Église.

Ce n’est qu’au début du XVIIe siècle que des géographes comme Gérard Mercator et Job Hondius ont correctement identifié la corne de narval comme étant à l’origine de la croyance en la corne de licorne. Les révélations sur la véritable nature de la corne ont finalement sapé la croyance en l’existence des licornes terrestres.

Au XVIIIe siècle, la licorne est devenue un symbole de ce qui n’existe pas, et elle a été reléguée au rang des créatures chimériques par des philosophes des Lumières tels que Diderot et d’Alembert dans leur Encyclopédie. Pourtant, malgré cette réduction de statut, la licorne a connu un regain d’intérêt et est devenue un symbole puissant et omniprésent dans la culture populaire des siècles suivants, réapparaissant dans diverses formes de médias, de la littérature à l’art contemporain. Cela témoigne de la capacité des mythes et des légendes à perdurer et à évoluer à travers le temps.

Alors comment expliquer un tel retour en grâce, et même une omniprésence encore jamais atteinte, deux siècles plus tard ? 

*La corne est en effet une unique défense torsadée portée par les mâles, issue de la canine supérieure gauche, qui peut mesurer jusqu’à 3 mètres de long.

Le retour triomphal de la licorne

La licorne commence à refaire son apparition dans la peinture symbolique française de la fin du XIXe siècle, notamment chez Gustave Moreau, et chez certains auteurs romantiques.

Les Licornes, 1885 - Gustave Moreau | Domaine public
Les Licornes, 1885 – Gustave Moreau | Domaine public

Chez Moreau, la licorne apparaît dans des scènes orientalisantes, tandis que chez le peintre symboliste écossais John Duncan, la licorne rencontre pour la première fois la mythologie gaélique médiévale, revisitée.

Étant donné qu’il est désormais établi, par les géographes et les explorateurs, que la licorne n’existe dans aucun territoire lointain, elle trouve sa place dans l’imaginaire : une Europe médiévale fantasmée, un syncrétisme de cycle arthurien, de mythologies celtique et nordique, teintées de mysticisme.

La fantasy, littérature du surnaturel, naît à la fin du XIXe siècle en Angleterre, dans le contexte d’une industrialisation exponentielle, et en réaction au roman réaliste. Face à cette modernisation qui bouleverse la société, certains écrivains se tournent vers la recherche de racines, vers un passé fantasmé.

Déjà riche d’une littérature fantastique empreinte de gothique depuis la fin du XVIIIe siècle, l’Angleterre imagine désormais un Moyen-Âge teinté de folklore gaélique, entre contes et mythes.

Si elle est absente du Seigneur des anneaux, parce que Tolkien s’inspire des sagas celtes et nordiques, dans lesquelles les licornes ne sont pas présentes, elle devient une figure habituelle des récits fantastiques d’inspiration médiévale, littérature, cinéma, jeux vidéo. Loin des récits originels de sa capture, la licorne devient au contraire un animal symbolisant la liberté, et demeure une compagne de prédilection des femmes.

Un simple jouet de fillette ?

Sous la plume de Lewis Carroll, la licorne fait une apparition dans la suite des aventures d’Alice au pays des merveilles, De l’autre côté du miroir, en 1871. Elle se généralise dans les contes pour enfants au début du XXe siècle, devient parfois ailée, fusionnant ainsi avec les pégases. Sa présence monte crescendo dans la littérature jeunesse et dans les dessins animés. Avec Fantasia (1940), Disney entérine l’entrée de la licorne au cinéma, et la première peluche licorne sort en 1983 des usines de l’entreprise allemande Steiff, inventrice du Teddy Bear.

Dans le merchandising actuel, la licorne vole sur des arcs-en-ciel et scintille de milliers de paillettes, et la série animée My Little Pony: Friendship is magic (2010-2019), successeur des Petits Poneys, jouets fabriqués par Hasbro, y est sans nul doute pour quelque chose.

La peluche licorne est un jouet très genré. S’il est plutôt proposé aux garçons des dinosaures, les filles sont noyées sous les licornes de toutes sortes. Est-ce que la féminisation de la licorne au Moyen-Âge a laissé des traces, ce qui justifierait que tout le merchandising « licornesque » soit aussi genré, et vise les petites filles ? Sa puissance concomitante à sa douceur constitue-t-elle une consolation pour une petite fille, davantage que pour un petit garçon ?

Mais déjà, ne représente-t-elle que l’appel d’un merveilleux qui console d’un terne quotidien ou possède-t-elle d’autres dimensions ? Car la licorne séduit d’autres publics. Tout comme la fantasy avait ouvert un sillon intergénérationnel, la licorne, toujours duelle, touche à la fois le très jeune public et un public de jeunes adultes. L’ambivalence de la licorne, à la fois pure et érotique, est exploitée par une Miley Cyrus qui affiche dans les années 2010 à la fois sa part d’enfance et une hypersexualisation.

William Tung from USA, WonderCon 2015 - My Little Pony Cosplay | Creative Commons BY-SA 2.0.
William Tung from USA, WonderCon 2015 – My Little Pony Cosplay | Creative Commons BY-SA 2.0.

Bien qu’elle survole un monde rose bonbon saturé d’arcs-en-ciel et de paillettes, la licorne n’a pas tout perdu de son ambivalence de genre : comme l’arc-en-ciel augmenté d’une huitième couleur, le rose, est devenu en 1978 le symbole de la communauté LGBTQA+, la licorne ne renvoie pas nécessairement à un univers féminin.

En effet, derrière les fans de My Little Pony, il y a aussi bien des jeunes adultes, femmes et hommes, ce qui témoigne, selon la spécialiste des littératures de l’imaginaire Anne Besson, « de la construction d’une nouvelle masculinité transgressive, prenant le risque d’aller à l’encontre des codes de genre traditionnel. » (Anne Besson, « Une icône de la pop culture », in Licornes. Celles qui existent et celles qui n’existent pas, p. 239.)

Dans la nouvelle version de She-Ra (série de 1986 originellement pensée par Mattel pour attirer les petites filles), sa monture, la licorne ailée, à la voix masculine, n’est plus cet étalon très viril du dessin animé original, mais une licorne plus féminine d’apparence, et souvent, avec humour, peu fidèle à l’archétype du vaillant destrier.

Continuer à croire aux licornes

Si la licorne a aujourd’hui perdu toute aura chrétienne, elle demeure un symbole, quelque chose qui continue d’exercer une fascination. Par l’association des contraires qu’elle incarne, bestiale et pure, homme et femme, la licorne touche à un universel et autorise un éternel remaniement de ses usages symboliques.

En témoignent les applications très variées du terme « licorne » à des véhicules, objets, lieux, personnes qui lui empruntent l’une ou l’autre de ses caractéristiques. Navires, automobiles, fléchettes lui empruntent sa rapidité, les pharmacies allemandes les pouvoirs de guérison de sa corne, les papeteries la blancheur de sa robe. Elle peut aussi surgir de nulle part, exprimant son côté rare et merveilleux : la licorne désigne la personne qui se joint à un couple déjà constitué, ou encore une start-up aux mirobolantes promesses.

Pour Anne Besson, la licorne incarne une pierre de touche de l’état de nos croyances : elle représente une fuite vers la pureté originelle de l’enfance, qui seule autoriserait l’espoir. La licorne contemporaine semble avoir gardé de son origine christique cette qualité fondamentale de tendre vers l’humilité, et d’inciter à un dépassement de soi-même, en ouvrant le champ des possibles.

La plupart du temps, la licorne arc-en-ciel conserve suffisamment d’ironie pour que personne ne soit dupe de cette « illusion without delusion » (expression de Michael Saler citée par Anne Besson et traduite comme une « illusion sans tromperie », dans « Une icône de la pop culture », art.cit., p.243), comme un amour au second degré, avec d’un côté, une adhésion à son charme et à ses aspirations humanistes, et de l’autre, la distance critique qui garantit de lui conserver son essentielle ambivalence, et par là, sa puissance symbolique.

Quelques liens et sources utiles

Jocelyn Benoist et Véronique Decaix, Licornes. Celles qui existent et celles qui n’existent pas, éditions Vendémiaire, 2021. 

Bruno Faidutti, Licornes. Métamorphoses d’une créature millénaire, Yannis Editions, 2022. 

Emile Littré, Dictionnaire de la langue française, Hachette, 1883.

Eloïse Mozzani, Le livre des superstitions. Mythes, croyances et légendes, Robert Laffont, 1995.

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