L'ouvrage coup de cœur d'avril : Petit dictionnaire des Sales Boulots par Nicolas Méra

Le Moyen Âge était-il une période si sombre ?

Clichés, idées reçues... le Moyen Âge est encore très peu reconnu à sa juste valeur. Et pourtant, cette période n'a rien à envier aux autres !
Enluminure représentant une saignée dans le Régime du corps d'Aldebrandin de Sienne, XIIIe siècle I Domaine public
Enluminure représentant une saignée dans le Régime du corps d’Aldebrandin de Sienne, XIIIe siècle I Domaine public

« Moyenâgeux », l’adjectif parle de lui-même. Il est utilisé pour évoquer l’ancien, l’archaïque, le mal-vieilli ou encore le retard. C’est un mot à connotation négative, et est bien plus péjoratif que le mot « médiéval », qui désigne pourtant la même période, tout comme les autres termes « Dark Ages », « Âges obscurs »…

Le Moyen Âge commence de façon traditionnelle en 476, année de la chute de l’Empire romain d’Occident avec la déposition de l’Empereur Romulus Augustule (ou 20 ans plus tard, en 496 avec le baptême de Clovis) et dure jusqu’en 1453, année où la plupart des historiens font terminer la guerre de Cent Ans et où les Ottomans prennent la ville de Constantinople, ancienne capitale de l’Empire romain d’Orient. C’est aussi à cette période que l’imprimerie de Gutenberg révolutionne le monde savant et la transmission des idées à l’échelle européenne. 

Un âge méconnu et peu mis en valeur

Cette période de mille ans est extrêmement riche et diversifiée. Il n’est pas sensé de penser que dix siècles forment ensemble une période sombre et austère, le Ve siècle étant fort différent du XVe, sachant que les médiévistes eux-mêmes présentent cette époque de façon ternaire : le Haut Moyen Âge (jusqu’à l’an mil), le Moyen Âge central et le Moyen Âge tardif (à partir du XIVème siècle).

En réalité, c’est d’abord la Renaissance puis plus tard la période des Lumières (XVIIIème siècle) qui ont introduit cette idée que le Moyen Âge est une période obscure et morose, et ce pour mettre en valeur leurs sociétés respectives. En effet, dès la Renaissance, la société occidentale cherche à s’illustrer en héritière de la société gréco-romaine, tout en pensant qu’il faut revenir à cet âge de la grandeur de l’empire romain d’Occident. La religion, qui a dominé pendant des siècles au Moyen Âge, paraît avoir été la cause de la régression intellectuelle, du recul artisanal ; et ce selon des hommes lettrés avançant le fait que tout ce qui est dirigé par Dieu et se rapproche de la religion n’est pas rationnel. 

Cette façon de voir le Moyen Âge nous est parvenue, et n’a pas vraiment changé. Beaucoup de croyances populaires circulent à l’encontre de ces siècles, associées à de nombreuses idées reçues et surtout, des clichés malheureusement bien ancrés.

Le plus répandu : il n’est pas bon d’être une femme au Moyen Âge 

Contrairement aux croyances populaires, le Moyen Âge n’est pas la période où la femme a le moins de droit et de reconnaissance.

Tout d’abord, il est cliché de penser que la femme (ou plutôt jeune fille) se marie à l’enfance ou l’adolescence. Ces cas représentent essentiellement des exceptions, ou encore sont propres à l’aristocratie et la noblesse pour assurer des alliances avec d’autres maisons ou royaumes. Pour le reste de la population, le premier mariage se situe plutôt aux alentours de 26 ans, autant pour les hommes que pour les femmes, et est surtout une histoire de famille plus qu’une histoire d’amour. Les deux partis doivent être consentants pour se marier. Aussi, la polygamie (et plus précisément polygynie), courante dans l’Antiquité est strictement bannie dans les sociétés chrétiennes du Moyen Âge. L’homme, autant que la femme, n’est censé avoir qu’une partenaire, et ce dans le serment du mariage.

Finalement, le Moyen Âge paraît plus en faveur des femmes que le XIXe siècle (appelé le siècle le moins féministe…). De nombreuses saintes font l’objet d’un culte (Marie, Geneviève, Marguerite…), et plusieurs femmes ont inscrit leur nom durablement dans l’histoire par le pouvoir qu’elles ont exercé : Aliénor d’Aquitaine, Mathilde, la reine Urraque, la vicomtesse de Narbonne Ermengarde… sans oublier les guerrières vikings, Jeanne d’Arc ou encore la femme de lettres Christine de Pisan. 

Contrairement à la croyance populaire, la femme n’était pas cantonnée à la maison ou dans des monastères : près de la moitié des maîtres-artisans travaillent en famille, avec leur épouse/mère/fille. Aussi, de nombreuses femmes travaillaient dans l’industrie du textile, la 2ème plus grosse industrie après l’agriculture. 

Les chevaleresses : la chevalerie féminine

Ce terme, peu connu, ne désigne pas la femme du chevalier (appelée chevalière) mais bien la femme qui monte à cheval et qui défend ses biens. On pense à tort que la femme n’a jamais eu aucun rôle à jouer dans la guerre. Or, il a été démontré qu’en cas de guerre de siège ou d’attaque, quand les hommes sont absents ou que la main d’œuvre manque, les femmes sont mobilisées pour apporter les ravitaillements, repérer l’ennemi aux alentours de la ville, réparer les remparts…

Aussi, quelques femmes exceptionnelles ont pris part directement aux combats et sont allées sur les champs de bataille, pour mener les armées ou accompagner leur mari.

C’est le cas par exemple d’Isabel de Conches (XIe) qui a revêtu la tenue de chevalier lors d’un conflit armé, de Black Agnès (XIVe siècle) qui a défendu son château lors d’un siège de l’armée anglaise ou encore de Mathilde de Toscane (XI-XIIe siècles) qui a reçu les louanges du pape lui-même. L’image des Neuf Preuses a aussi existé au Moyen Âge, mais ce thème iconographique a été oublié lors de la Renaissance.

Une chevaleresse, femme s'entraînant à l'épée, Tower manuscript ( manuel de combat ), auteur inconnu XIIIe siècle
Une chevaleresse, femme s’entraînant à l’épée, Tower manuscript ( manuel de combat ), auteur inconnu, XIIIe siècle

Enfin, les violences conjugales envers les femmes, bien qu’elles parussent « normales », avaient quand même une limite : il est possible de réaliser la séparation de biens et de corps. Ce n’est pas un divorce puisque la femme reste l’épouse de son mari, mais elle peut ne plus vivre avec lui si les violences sont graves et répétées (mise en péril de sa vie). Bien que la pratique soit peu pratiquée car longue et coûteuse, elle existe bel et bien. 

Le Moyen Âge est inculte : les connaissances étaient limitées

Le Terre est plate, personne ne va à l’école, aucune invention de taille ne date du Moyen Âge… 

Ce sont encore des croyances populaires et fausses, dues à notre propre méconnaissance de cette période et à la vision péjorative que les Lumières ont donnée à cette époque. 

En réalité, cette croyance de la Terre plate a été assimilée au Moyen Âge à partir du XIXe siècle, personne ne disait cela pendant le millénaire médiéval. La rotondité de la Terre est connue depuis l’Antiquité, et personne n’a réellement semblé remettre en question cette affirmation. En effet, dans L’Image du monde, de Gautier de Metz, on peut apercevoir une illustration représentant la Terre de forme sphérique, alors que ce poème lorrain date du XIIIe siècle !

« il n’y avait pas un seul érudit chrétien au Moyen Âge qui doutait de la sphéricité [de la Terre] et ne connaissait pas sa circonférence approximative »

David C. Lindberg,  » Beyond War and Peace : A Reappraisal of the Encounter between Christianity and Science « , Church History, vol.55, n°3, 1986

À propos de l’apport intellectuel et technologique du Moyen Âge, on peut affirmer aujourd’hui qu’il n’est pas négligeable, tout en étant aussi très différent. La population médiévale n’était pas plus « bête » que la nôtre, seulement nous avons tendance à trop confondre les termes d’érudition et d’intelligence.

Cachet de l'université de Bologne, avec son année de création
Cachet de l’université de Bologne, avec son année de création I Domaine public

L’érudition, autrement dit l’accumulation de connaissances, est plus compliquée à cette époque car l’éducation et la scolarité est difficile d’accès et réservée à l’élite, en plus d’être plus fortement axée sur la religion et les savoirs théologiques. L’éducation coûte cher, et n’est accessible qu’aux plus aisés. 

A noter que la création de l’université date de 1088, avec l’université de Boulogne qui n’est pas soumise à l’autorité biblique. Dans cette université, et celles qui suivront, l’éducation s’éloignera des savoirs religieux. 

L’intelligence est quelque chose de très différent. C’est un terme difficile à définir et assez « parapluie » : ce mot regroupe l’intelligence émotionnelle, l’intelligence sociale, la logique, le raisonnement, la mémoire, la créativité… 

Au Moyen Âge, ce qui importait le plus était la mémoire : en effet, nous qui avons Internet pouvons nous permettre « d’oublier » nos connaissances pour aller les rechercher en un clic sur la toile. Mais à cette époque, pas de technologie informatique, et des livres rares car chers. Il faut se souvenir de comment cultiver quelle graine, comment cuisiner tel animal, reconnaître telle maladie, apprendre quelle est cette plante qui soigne… La mémoire est essentielle pour vivre et transmettre, c’est donc cette compétence qui est la plus valorisée

La médecine était certes peu avancée, mais elle découlait d’une certaine logique : si les saignées étaient pratiquées, c’est parce que l’on pensait, depuis les recherches du médecin grec Hippocrate (V-IVe siècles avant JC) que le corps humain était une combinaison de 4 humeurs (le sang, la bile noire, la bile jaune et la lymphe) qu’il fallait équilibrer. Ils n’avaient pas les connaissances de la médecine actuelle, celles-ci provenaient de leurs propres avancées et de ce qu’ils avaient hérité de l’Antiquité.

Rien n’a été inventé pendant le Moyen Âge

Le Moyen Âge est également une période où s’est produit un réel essor économique et le développement de la technologie. En effet, littéralement, le mot technologie désigne la technique et son étude. Ce mot est utilisable lorsqu’on parle d’artisanat, d’outils. Et à l’époque médiévale, l’artisanat est très avancé : la charrue se développe, l’outillage agricole, le moulin apparaît (ainsi que son ingénierie complexe utilisant la force hydraulique ou éolienne), ainsi que l’horloge au XIIIe siècle, les boutons, les échecs, la boussole en Orient.

Le Moyen Âge est loin d’être une époque archaïque. En plus de ça, des objets de notre quotidien ont été créés également à cette période : lunettes, papier, poudre à canon, le forgeron apparaît comme un personnage vital et central de la population, et le chevalier se bat à partir du XIVe siècle avec des couleuvrines (ancêtre du fusil) ; sans oublier les progrès architecturaux monumentaux et l’art : certes, on laisse place au symbolisme religieux plutôt qu’au réalisme antique, mais l’art est un concept évolutif et sa beauté est relative. 

Une période archaïque et violente

Enfin, le Moyen Âge s’illustre au XXIe siècle comme étant une période de guerres, de violences et d’inégalités. Or, il faut savoir que l’esclavage n’était pas très développé au temps médiéval en Occident, contrairement à l’Antiquité ou à l’époque moderne (commerce triangulaire…).

En effet, les paysans travaillaient sur les terres des seigneurs en tant que serfs, ce qui est bien loin de l’esclavage tel qu’on le pense. De plus, les guerres privées ont été peu à peu interdites, pour que le droit à la guerre devienne un droit réservé au seigneur et au roi. Aussi, de quel droit l’homme contemporain peut-il penser que le Moyen Âge est barbare et violent, alors que l’on étudie en parallèle les guerres mondiales du XXe siècle et l’esclavage moderne dans certains pays sud-asiatiques ?

Aussi, les femmes brûlées sur le bûcher pour sorcellerie l’ont été au XVIIe siècle, autant en Amérique qu’en Europe, soit à l’époque moderne. Mises en parallèles, aucune époque ne semble être « meilleure » moralement parlant qu’une autre. 

Les médiévaux étaient sales et mourraient de faim

Contrairement à l’idée reçue, les gens au Moyen Âge avaient une certaine routine en termes d’hygiène. En effet, le lien entre l’hygiène et la santé est bel est bien établi : on sait qu’un corps sain est un corps au minimum propre. En plus, il existe des préceptes d’hygiène comme le Régime du corps (1257) du médecin italien Aldebrandin de Sienne, qui explique quelles techniques sont utilisables et fonctionnelles pour laver le corps : jus de betterave pour gel douche, diverses matières pour le dentifrice ou encore la pratique des bains (ou des thermes pour les moins fortunés, à l’image des sociétés antiques).

Volaille cuite à la broche et préparation de sauces dans le Décaméron ( 1349-1353 ) de Boccace I Domaine public
Volaille cuite à la broche et préparation de sauces dans le Décaméron ( 1349-1353 ) de Boccace I Domaine public

Du côté de l’alimentation, mis à part les famines, la grande majorité des paysans mange à sa faim, de manière plus diversifiée que ce que notre imaginaire collectif n’imagine : légumineuses, légumes, pain et soupes sont présents lors des repas (bien que les fruits et la viande soient plus réservés à la noblesse).

Nous confondons largement la famine avec la disette, qui se définit par une privation relative et donc supportable, alors que la famine tue réellement. 

En réagissant à chaque idée reçue une par une, on se rend finalement compte que l’idée que nous nous faisons du Moyen Âge est largement faussée, autant par l’héritage laissé par les intellectuels des siècles passés que par ce que nous transmet [par exemple] aujourd’hui l’industrie cinématographique.

Alors, devant une série où l’histoire se déroule au Moyen Âge présentant des barbares sales et grossiers qui avancent que la Terre est plate, tout n’est pas à prendre au sérieux !

Quelques liens et sources utiles :

AURELL Martin, Dix idées reçues sur le Moyen Âge. Première édition, JC Lattès, 2023

BRILLAUD Benjamin, La place des femmes au Moyen Âge – Entretien avec Michelle Bubenicek, 19 avril 2022

DANGER Charlie, 4 idées complètement fausses sur notre passé, 31 janvier 2021

DANGER Charlie, Les gens du passé étaient-ils bêtes ?, 9 juillet 2023

MOURGUES Elsa « Les chevaleresses, de la gloire à l’oubli » France Culture, 7 septembre 2021

PERROT Michelle, DUBY Georges Histoire des femmes en Occident, tome 2, sous la direction de KLAPISCH-ZUBER Christiane, Perrin, 2002

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