L'ouvrage coup de cœur d'avril : Petit dictionnaire des Sales Boulots par Nicolas Méra

Quartier de la Boca à Buenos Aires

Quartier populaire et bohème, la Boca est emblématique de la participation de l’immigration européenne à la construction argentine.
El Caminito à Buenos Aires - Stefano Vigorelli [pseudo Wikipédia] | Creatives Commons BY-SA 4.0 Deed
El Caminito à Buenos Aires

Quartier populaire et bohème de Buenos Aires, la Boca est emblématique de la participation de l’immigration européenne à la construction argentine. Située au sud-est de la ville, au sud du quartier San Telmo, la Boca (la bouche en français) tire son nom de l’embouchure du fleuve Riachuelo qui se jette dans le Rio de la Plata. Lieu de construction du premier port de Buenos Aires, le quartier incarne parfaitement le cosmopolitisme structurel de la ville.

Aux origines de la Boca

L’origine de ce quartier remonte aux débuts de la ville. En effet, il est reconnu que c’est à cet emplacement que fut fondée la ville pour la première fois en 1536 par le conquistador espagnol Pedro Mendoza. Elle restera le centre névralgique de la ville jusqu’à sa destruction en 1541 par des pillages d’Indiens, puis sa reconstruction en 1580 plus au nord.

Port historique de Buenos Aires, c’est là que se sont concentrés les arrivants des grandes vagues migratoires européennes des années 1860 et de la période 1880 à 1914 (plus de 4 200 000 arrivants européens sur la période). Une grande majorité d’entre eux étaient italiens, plus particulièrement génois (l’Italie ayant achevé son unification en 1871). Attirés par une vie meilleure et plus d’opportunités, nombre d’entre eux travaillèrent à la maintenance des bateaux, comme boulangers ou dans l’industrie bouchère.

La Boca étant construite sur de vastes prairies marécageuses, régulièrement inondées, les premières maisons n’étaient que de modestes constructions sur pilotis. Jusqu’à la fin des années 1860, ce quartier n’était qu’un petit faubourg relié à Buenos Aires par une unique route, l’ancêtre de l’actuelle avenida Brown.

C’est en 1866 que fut installée la première ligne de train reliant Buenos Aires à Quilmes et passant par la Boca. Cette installation contribue à l’essor de la ville et bénéficier directement aux habitants, avec l’implantation d’un nombre croissant d’usines. Cette urbanisation et le développement d’activités économiques virent leur pic dans les années 1890.

Quartier de la Boca en 1890 - Samuel Rimath [pseudo Wikipédia] | Domaine public
Quartier de la Boca en 1890 – Samuel Rimath [pseudo Wikipédia] | Domaine public

Vers un déclin certain ?

Alors à son apogée sur la période 1890-1914, le quartier de la Boca rentre malheureusement en déclin par une suite d’événements difficiles.

Tout d’abord, l’ouverture en 1898 du port de Puerto Madero. Ce dernier, plus grand, plus moderne et mieux desservi entraînera la baisse des activités économiques de la Boca. Délaissé progressivement, l’inauguration du pont Avellaneda en 1937, reliant la Boca au port de la ville d’Avellaneda, marque l’abandon complet du port historique de la ville.

À peine trois ans plus tard, en 1940, les derniers gros employeurs du quartier mettent la clef sous la porte et délocalisent. Privé de source de revenu, les habitants, à leur tour, décidèrent de déménager et le quartier perdît peu à peu la quasi-totalité de ses commerces.

Le constat est funeste, les rues, les maisons et les commerces sont laissés à l’abandon, le chômage explose, la population baisse drastiquement. Alors qu’en 1914 la Boca recensait 76 000 habitants, en 1991 il ne comptait plus que 46 000 habitants, soit une baisse de près de 40%.

Malheureusement la situation ne s’est que peu améliorée aujourd’hui. Sans programme de réhabilitation de la part du gouvernement ou de la municipalité, le quartier reste voué à l’abandon. La prolifération de bâtiments vides a contribué à l’émergence de squats, et avec eux, d’une recrudescence de la criminalité.

Hormis son centre touristique, la Boca ne dispose pas des moyens ou d’opportunités et reste l’un des quartiers les plus pauvres de la ville de Buenos Aires. L’insécurité y est une réalité, il n’est vraiment pas recommandé d’y aller le soir après 18h ou les jours de match du club local, Boca Juniors.

Un haut lieu de culture populaire

Bien que mal famé, la Boca reste tout de même emblématique d’une facette plutôt populaire de l’histoire de Buenos Aires. Son histoire est marquée par un syndicalisme fort ayant mené à de très fortes grèves ou manifestations.

Maisons typiques quartier de la Boca - Luis Argerich [pseudo Wikipédia] | Creatives Commons BY 2.0 Deed
Maisons typiques quartier de la Boca – Luis Argerich [pseudo Wikipédia] | Creatives Commons BY 2.0 Deed

En 1935, par exemple, ses habitants ont élu le premier député socialiste du Congrès argentin, un certain Alfredo Palacio. Bastion ancestral des idées politiques de gauche, c’est aussi le lieu de naissance du Lunfardo. Cet argot, mélange d’italien et d’espagnol, est un dialecte populaire caractéristique des classes ouvrières de Buenos Aires et qui deviendra plus tard la langue du Tango.  

Loin des galeries du centre de Buenos Aires, l’art dans son ensemble y est aussi distinct. Le tango y est très présent, communément dansé directement dans la rue ou sur les places du quartier.

Toutefois le plus remarquable reste la couleur des façades des maisons et le street art, véritables particularités du quartier. Initialement peintes avec les restes de peinture de bateaux ramenées par les marins, c’est le peintre local Benito Quinquela qui décida de renouer avec cette tradition dans les années 1950. Cette impulsion donna au quartier un caractère unique et contribua à y maintenir un semblant d’activité économique par le tourisme.

La Bombonera - Matibro [pseudo Wikipédia] | Creatives Commons BY-SA 4.0 Deed
La Bombonera – Matibro [pseudo Wikipédia] | Creatives Commons BY-SA 4.0 Deed

Enfin, pour tous les amoureux du sport au ballon rond, la Boca est l’adresse à ne pas manquer. On y retrouve le mythique stade de la Bombonera, créé en 1905, où a joué Diego Maradona lorsqu’il jouait à Boca Juniors. On y retrouve aussi toute la ferveur d’un quartier supportant avec fanatisme et dévotion leur club local. Expérience recommandée mais forte en émotions.

Lieux et adresses à ne pas manquer

L’immanquable du quartier est définitivement el Caminito. Cette ancienne voie ferrée abandonnée en 1928 a été reconvertie en 1958 en une promenade. On y retrouve les façades colorées mentionnées précédemment, de nombreuses milongas ainsi que des artistes de tout genre exposant en plein air. 

Pour les adeptes de musées, à quelques pâtés de maison vous retrouverez le très agréable Museo de Bellas Artes Quinquela. Ancienne propriété de l’artiste du même nom, le terrain fut cédé au conseil de l’éducation national pour y fonder une école en contrepartie d’y installer une école de peinture. On y retrouve aujourd’hui les plus belles peintures des artistes célèbres du quartier.

Non loin de là, on peut aussi retrouver la Fundacion ProA, un musée d’art contemporain avec des expositions temporaires créé en 1994, ou le centre culturel Usina del Arte, ancienne usine électrique remplacée par des concerts ou des expositions. C’est à l’Usina del Arte que chaque année se déroule le mondial du Tango.

La Boca, un quartier à part

Ancien centre historique de la ville, le quartier de la Boca s’est transformé petit à petit au cours des décennies. Point d’ancrage de millions d’européens venus à la fin du XIXe siècle en quête d’une vie meilleure, le district n’a pas réussi à résister à la concurrence et à l’avènement des nouvelles infrastructures du milieu du XXe siècle.

Petit à petit abandonné, il peine aujourd’hui à retrouver son éclat d’antan malgré un tourisme persistant. Il est amusant de savoir que le quartier de la Boca a déjà été indépendant. En effet, en 1882, après des semaines de grève généralisée, des ouvriers fomentèrent une rébellion et proclamèrent la sécession de l’Argentine. Le drapeau génois fut hissé sur un bâtiment officiel et une lettre fut même envoyée au roi d’Italie pour demander le rattachement de la “République de la Boca” à l’Italie.

Avant que ce courrier n’arrive, la révolte fut sévèrement réprimée, le mythe allant jusqu’à dire que c’est le président argentin Julio Roca qui enlèva le drapeau génois de ses propres mains pour y restituer le drapeau argentin.

Graffiti "République de la Boca" - Boris Kasimov [pseudo Wikipédia] | Creatives Commons BY 2.0 Deed
Graffiti « République de la Boca » – Boris Kasimov [pseudo Wikipédia] | Creatives Commons BY 2.0 Deed

Quelques sources et liens utiles

Filipuzzi, Santiago. El día en que La Boca se declaró una república. La Nacion. 18 novembre 2022

Le Petit Hergé. Quartier de La Boca. Le Petit Hergé. 20 septembre 2021

Droznes, Alejandro. Primera fundación de Buenos Aires, un viaje a la historia por las calles de la Boca. El diario AR. 2 février 2023

Bénard, Claire. L’immigration européenne en Argentine, un phénomène controversé. SciencesPo.

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