L'ouvrage coup de cœur d'avril : Petit dictionnaire des Sales Boulots par Nicolas Méra

L’expédition française en Égypte (1798-1801)

En 1798, Napoléon mène une campagne en Égypte. Malgré une conquête éclair et des découvertes majeures, l'expédition échoue...
Bonaparte devant le Sphinx, 1886 - Jean-Léon Gérôme I Domaine Public
Bonaparte devant le Sphinx, 1886 – Jean-Léon Gérôme I Domaine Public

Après son retour triomphant de la Campagne d’Italie (1796-1797) quelques mois plus tôt, Napoléon Bonaparte soumet au Directoire un projet de conquête de l’Égypte. Malgré une conquête rapide du pays et des découvertes scientifiques majeures, l’expédition est mise à mal par la Marine anglaise qui précipite la chute des Français en Orient. De plus, l’incompétence du Directoire à gérer la situation intérieure force le retour de Bonaparte à Paris qui devient Premier consul le 9 novembre 1799.

Un projet de conquête de l’Égypte prémédité

En décembre 1797, le Directoire, alors régime de la République française, nomme Napoléon à la tête de l’Armée d’Angleterre en vue de préparer l’invasion du pays. En effet, à la suite de la campagne d’Italie, la dénommée « Perfide Albion » reste la seule nation en guerre avec la France. Bonaparte esquisse à ce moment-là quelques plans, effectue des déplacements dans différents ports et garnisons françaises.

Mais le général se rend alors vite compte de l’impossibilité d’une telle expédition compte tenu de l’état de la flotte française, bien inférieure à son équivalente britannique. La Marine française est en effet en déclin depuis la chute de la monarchie avec notamment la perte d’une partie de sa flotte lors du siège de Toulon en 1793.

Napoléon souhaite ainsi abandonner le projet d’invasion de l’Angleterre et en fait part aux membres du Directoire début janvier 1798. Cependant, le stratège sait qu’il peut menacer l’Angleterre autrement que frontalement, en s’attaquant notamment à son commerce.

Napoléon échange souvent avec Talleyrand, alors ministre des Relations extérieures, qui soumet un projet d’occupation de l’Égypte au Directoire à la mi-février 1798.

L’Égypte positionnée sur la route des Indes constitue une voie majeure du commerce britannique. Elle est également une possession historique de l’Empire Ottoman qui est en déclin depuis plusieurs années. Ainsi une telle conquête permettrait à la France une colonie stratégique et commerciale majeure pour contrer l’influence anglaise en Méditerranée.

Il y a également des raisons plus philosophiques. Napoléon rêve de marcher dans les pas de l’empereur Alexandre le Grand, de rapporter des trouvailles archéologiques de la terre des pharaons . Enfin le général aspire à apporter au « berceau de l’Humanité » les idées des Lumières.

Début mars 1798, Napoléon rencontre les cinq directeurs et leur présente longuement un rapport détaillé sur l’ensemble des moyens nécessaires. Il réclame notamment 25 000 soldats d’infanterie et 3 000 cavaliers. Enfin, il demande une autorité sans limite sur les décisions stratégique à prendre.

Le Directoire est impressionné par la minutie du rapport et voit dans cette expédition l’occasion d’éloigner le général de Paris. Ainsi quelques semaines plus tard à la fin du mois d’avril, l’expédition lui est confiée.  

Le 6 mai 1798, Napoléon part de Paris accompagné de ses fidèles dont Junot, Marmont, Bourrienne et Desaix. Il arrive le 10 à Toulon où se concentre une importante partie de l’armée dont des hommes qu’il a commandés lors de la Campagne d’Italie l’année précédente.

Une expédition menacée par les Anglais

Le 19 mai 1798, l’expédition française de 36 000 hommes prend le départ de ports français et italiens vers l’Égypte. Napoléon s’entoure d’une batterie de scientifiques et de savants qu’il estime essentiels à l’installation d’un gouvernement en Orient (architectes, ingénieurs, archéologues, économistes, botanistes..).

La flotte française est impressionnante car composée d’environ 300 navires commandés par le vaisseau amiral de 120 canons « L’Orient », sous les ordres de l’Amiral Brueys. On compte également 3 vaisseaux de 80 canons et 9 de 74 canons, capables de tenir une véritable bataille en mer. De nombreux autres navires prennent part au convoi pour le transport des 36 000 hommes.

Arrivée en France de Bonaparte au retour d’Egypte le 9 octobre 1799, Louis-Meijer I Domaine-Public

Mais l’expédition française dépasse à peine la Corse au bout de quelques jours, qu’une escadre anglaise est aperçue. La flotte de l’Amiral Nelson est à la poursuite du convoi français dont elle veut empêcher l’intervention en Orient. Toutefois, les Anglais ne connaissent pas sa véritable destination car Napoléon a pris soin de garder l’information confidentielle.

Le 9 juin 1798, les Français débarquent à Malte et prennent possession de l’île, point stratégique de la Mer Méditerranée. L’annexion de ce territoire permet d’offrir une base arrière à la République et d’expérimenter à une échelle plus petite les mesures d’administration qui doivent être appliquées en Égypte.

Un gouvernement est ainsi formé, et des mesures sont prises en faveur de la population comme la proclamation de tous les habitants comme citoyens et la libération de 800 esclaves turques du bagne. Mais d’autres actions sont impopulaires comme la fonte d’un certain nombre de reliques pour l’armement et la brutalité de certains soldats français.

Le 18 juin, la flotte française quitte Malte et se dirige vers l’Égypte. Mais la flotte britannique de l’amiral Nelson, se doute de l’invasion de l’Égypte et se rapproche d’Alexandrie avant les Français fin juin. Toutefois, les Anglais ne trouvant pas les Français repartent vers le nord.

Une conquête à l’initiative pacifique

Lorsque les Français débarquent à Alexandrie le 1er juillet 1798, la résistance est faible et la ville tombe en quelques heures. Napoléon, qui veut conquérir pacifiquement le territoire, ordonne à ses hommes de respecter la culture et les mœurs islamiques des populations. Aucune faute envers la population n’est tolérée sous peine d’exécution des coupables.

Le gros de l’armée française, environ 20 000 hommes, marche le long du Nil en direction du Caire tandis qu’une autre partie commandée par Desaix doit conquérir le nord. Les soldats ont peu d’eau et de nourriture en plein désert, ainsi certains meurent d’épuisement quand d’autres malades sont achevés par les ennemis ottomans qui poursuivent l’armée française.

La légendaire bataille des Pyramides a lieu le 23 juillet et oppose 20 000 soldats français contre des forces ottomanes environ deux fois supérieures en nombre. Face à une forte cavalerie mamelouke, Napoléon ordonne à ses 5 divisions de se former en carrés militaires. La tactique est brillante et les cavaliers mamelouks viennent s’écraser sur les carrés. Les Français attaquent ensuite le reste des forces ottomanes retranchées près du Nil qui sont contraintes de s’enfuir à la nage. Fin juillet, l’armée française s’empare ainsi de l’Égypte.

Mais la flotte anglaise de Nelson veut empêcher à tout prix la conquête du territoire et détruit la flotte française de l’amiral Brueyes, qui périt lui-même, le 1er août en rade d’Aboukir. Les Français se retrouvent prisonniers en Égypte car sans soutien possible depuis la métropole.

De la fin de l’année 1798 à mars 1799, Napoléon opère néanmoins la pacification de l’Égypte.

Napoleon et ses généraux en Egypte, Jean-Léon Gérôme-1867 I Domaine-Public

Le général comprend que la victoire française passe par l’adaptation de ses troupes au climat désertique et une administration du pays en coopération avec les populations locales.

Il opte rapidement pour la création d’un régiment de dromadaires à partir de janvier 1799 et fait faire des uniformes plus légers pour ses soldats. Il forme également des légions grecques et coptes, naturellement acclimatées au territoire.

Bonaparte commence également l’administration du pays en s’appuyant sur la hiérarchie déjà existante. Il crée des diwans qui confient localement l’administration des territoires sous les règles des cheiks. Le général français délègue la levée des impôts aux Coptes et utilise des milices ottomanes comme unités de police. Il dirige aussi la célébration des fêtes religieuses comme la fête du Nil et la fête du Prophète. L’accueil de la population devint ainsi plus favorable qu’au départ.

Mais les Français imposent de plus en plus de règles, des règles d’hygiène pour empêcher les épidémies, ou administratives comme l’inventaire des immeubles. Ceci déclenche lentement une inimitié des populations locales qui entraîne une révolte au Caire le 21 octobre où la présence française est menacée. Près de 300 morts français sont dénombrés.

Bonaparte fait encercler la ville pour la couper de tout soutien et réprime durement les soulèvements, n’hésitant pas à exécuter les révoltés et incendier les villages. Plusieurs milliers d’insurgés périssent.

Après ces incidents, la présence française est mal perçue et seule une minorité d’Égyptiens y reste ainsi favorable.

La création de l’Institut d’Égypte par Napoléon

Napoléon initie le progrès et la propagation des idées des Lumières dans le nouveau territoire avec la création de l’Institut d’Égypte le 22 août 1798 dans un ancien palais ottoman au Caire.

Les 200 savants ayant pris part à l’expédition dont des jeunes sortant de la récente l’École polytechnique (1794) deviennent correspondants de l’Institut quand certains sont nommés dans les commissions.

L’institut est en effet composé de 4 commissions : mathématiques, physique, économie politique, littérature et arts qui doivent se réunir régulièrement et travailler sous les ordres et les questions récurrentes de Napoléon (comment améliorer les fours pour cuire le pain, comment se procurer de la poudre, quel est l’état de la législation en Égypte).

Les travaux des Français sont multiples comme la cartographie de l’Égypte, des recherches sur le nivèlement du Nil mais aussi sur l’étude de la faune et de la flore.

Les scientifiques amènent également l‘imprimerie au sein de l’Institut et créent plusieurs journaux : le « Courrier de l’Égypte » en août 1798 et «  la Décade égyptienne » pour informer sur les victoires militaire françaises en Égypte et les avancées scientifiques.

Vue intérieure d’une grande salle de la maison de Hassan Kachef dédiées aux séances de l’Institut d’Egypte, Protain-1800-BNF I Domaine Public

Les découvertes des Français sont importantes comme la pierre de Rosette lors de la conquête de la Haute-Égypte début 1799 par le lieutenant Bouchard. Cette pierre permet 20 ans plus tard le déchiffrement des hiéroglyphes grâce à l’égyptologue Champollion.

Mais bientôt, la guerre reprend car les Anglais continuent d’harceler les Français en convainquant les Ottomans de combattre l’armée de Napoléon en Égypte.

Une situation qui bascule en Égypte

Napoléon quitte Le Caire début février 1799 et va à la rencontre d’une armée d’Ottomans venant de Palestine. Grâce à l’action du général Desaix, la conquête de la Haute-Égypte est rapide et les Français prennent Gaza le 25 février puis Jaffa début mars où des milliers de prisonniers sont massacrés. Napoléon traverse le berceau de la civilisation chrétienne à Nazareth et au Lac de Tibériade. Partout où l’armée française passe, les communautés chrétiennes, vivant sous le joug de l’oppresseur ottoman, accueillent avec soulagement leurs libérateurs.

La conquête continue et les Français font un siège infructueux devant Saint-Jean-D’Acre au mois de mai où l’artillerie manque pour entrer dans la ville. L’armée française épuisée et atteinte partiellement de la peste perd plus de 2 000 hommes, doit repartir vers l’Égypte où elle arrive au Caire mi-juin.

Napoléon bat de nouveau le 25 juillet 1799 à Aboukir les Turcs débarqués sur le delta du Nil par les Anglais, grâce à l’action des généraux Murat et Lannes. L’Égypte semble sécurisée mais en Europe la situation intérieure va mal.

Napoléon apprend que des révoltes éclatent partout en France, que les armées de la République ont reculé en Italie, en Allemagne et que le Directoire ne contrôle plus la situation. Il se décide donc à rentrer en France fin août. Son convoi échappe par chance à la flotte anglaise. Le 1er octobre 1799, il débarque sain et sauf à Ajaccio.

Le commandement est laissé à Kléber qui doit faire face à de nombreuses attaques de différents sultans ottomans. Le général est contraint de signer un accord préliminaire d’évacuation de l’Égypte face à l’envenimement de la situation en janvier 1800. Mais Kléber trahit l’accord en attaquant les Ottomans lors de la bataille d’Héliopolis le 20 mars près du Caire où il défait les 40 000 hommes du Grand Vizir avec seulement 10 000 soldats.

Néanmoins la situation se dégrade car Kléber est assassiné en juin 1800 et son successeur, le général Menou qui n’est pas un stratège doit capituler le 2 septembre 1801. L’Institut d’Égypte est fermé et l’armée française est rapatriée sur des vaisseaux anglais. De nombreuses découvertes, comme la pierre de Rosette, sont déclarées propriété de la Couronne britannique. Malte est reprise peu après et la présence de la France en Méditerranée touche à sa fin.

L’expédition d’Égypte a un bilan assez discutable : malgré des avancées scientifiques importantes, les pertes sont lourdes avec 9 000 soldats morts sur les 36 000 dont 1 700 de la peste, une flotte anéantie et une perte de position en Méditerranée. La présence française en Égypte s’élève à quelques expatriés dans les années suivantes. Toutefois, l’Institut d’Égypte rouvre 30 années plus tard et permet au long du XIX -ème siècle un lien privilégié entre les deux nations.

À la suite de son arrivée début octobre à Toulon, Napoléon est acclamé comme le «  sauveur de la patrie » sur le chemin du retour jusqu’à Paris qu’il atteint le 16 octobre. Bonaparte renverse le Directoire quand il devient Consul après le Coup d’Etat du 18 brumaire le 9 novembre 1799. Le futur empereur arrive enfin aux portes du pouvoir.

Quelques liens et sources utiles

Max Gallo, Le chant du départ : Napoléon, Editions Robert Laffont, 1997

Jacques Bainville, Napoléon , TALLANDIER, 2020

Thierry Lentz, Napoléon : Dictionnaire historique, PERRIN, 2020

Jean-Joël Brégeon, L’Égypte française au jour le jour 1798-1801, PERRIN, 1991

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