L'ouvrage coup de cœur d'avril : Petit dictionnaire des Sales Boulots par Nicolas Méra

Missak Manouchian, un résistant au Panthéon

Missak Manouchian était résistant d'origine arménienne mort pour la France fusillé au Mont Valérien le 21 février 1944.
Photographie d'identité judiciaire prise le 18 novembre 1943, deux jours après son arrestation - Photographe inconnu | Domaine public
Photographie d’identité judiciaire prise le 18 novembre 1943, deux jours après son arrestation – Photographe inconnu | Domaine public

Missak Manouchian était résistant d’origine arménienne mort pour la France fusillé au Mont Valérien le 21 février 1944. Le 18 juin 2023, le président de la République Emmanuel Macron a pris la décision d’inhumer Missak Manouchian au Panthéon à l’occasion des 80 ans de son exécution.

Missak Manouchian, visage de la résistance étrangère active en France était le leader d’un groupe de résistants étrangers connu sous le nom du « groupe Manouchian ».

Du génocide arménien à la France

Missak Manouchian est né le 1er septembre 1906 dans une famille d’Adiyaman dans l’Empire Ottoman.

Missak Manouchian, alors dans l'armée française, lors d'une permission en 1940. Mélinée Manouchian, Manouchian, 1974 - Les Éditeurs français réunis | Domaine public
Missak Manouchian, alors dans l’armée française, lors d’une permission en 1940. Mélinée Manouchian, Manouchian, 1974 – Les Éditeurs français réunis | Domaine public

En 1915, le pouvoir ottoman met en place l’extermination des arméniens chrétiens et l’enfant de 9 ans échappe au génocide.

Il devient réfugié avec son frère Garabed dans un orphelinat mis en place par la Sauvergarde du Proche-Orient, qui est un organisme humanitaire dans la région de Jounieh, au Liban actuel, alors sous mandat français, depuis 1918.

Il est formé à la menuiserie et développe une passion pour les Lettres. Il rédige de nombreux poèmes et textes.

Avec son frère, ils arrivent en France par Marseille en 1924 et il exerce son métier de menuisier. Ils partent pour Paris par la suite, il est alors employé dans une usine Citroën. Son frère décède malheureusement des suites d’une maladie en 1927.

La crise économique de 1929 fait perdre son emploi au jeune homme. Sa passion pour la littérature est alors ravivée et il arpente les bibliothèques parisiennes et fréquent le milieu de la littérature et de l’art en général.

Il fonde la revue Ջանք (Tchank, « effort ») avec son ami Kégham Atmadjian. Ils publient des articles sur la littérature française et arménienne. Il fait une première demande de naturalisation en 1933, qui est rejetée.

Quand j’erre dans les rues d’une métropole,
Toutes les misères, tous les dénuements,
Lamentation et révolte l’une à l’autre,
Mes yeux les rassemblent, mon âme les loge.
Je les mêle ainsi à ma souffrance intime,
Préparant avec les poisons de la haine
Un âcre sérum – cet autre sang qui coule

Par tous les vaisseaux de ma chair, de mon âme.
Cet élixir vous semblerait-il étrange ?
Il me rend du moins la conscience du tigre,
Lorsque dents et poings serrés, tout de violence,

Je passe par les rues d’une métropole.
Et qu’on dise de moi : il est fou d’ivresse,
Flux et reflux d’une vision

Ne cessent d’investir mes propres pensées,
Et je me hâte, assuré de la victoire.

M. Manouchian, « Privation » – Rouben Melik, La Poésie arménienne : Anthologie des origines à nos jours, Paris, Les Editeurs français réunis, 1973

Manouchian résistant

Suite à la manifestation antiparlementaire du 6 février 1934, menée par les Ligues d’extrême droite, Missak Manouchian rejoint le Parti communiste et y adhère. Il devient également membre de la section française du Comité de secours de l’Arménie, une organisation affiliée à l’Internationale communiste visant à mobiliser la diaspora arménienne en faveur de la République soviétique d’Arménie.

Sa présence dans la diaspora arménienne en France s’accroît progressivement, et c’est là qu’il rencontre Mélinée Soukémian, devenue Assadourian lors de son arrivée en France. Tous deux sont issus de familles ayant été victimes du génocide arménien. Ils se marient en 1936, mais demeurent apatrides.

Lorsque la guerre éclate en 1939, Missak Manouchian est arrêté et emprisonné en raison de son statut d’apatride et de son affiliation au Parti communiste, qui est dissous quelques semaines après le début du conflit.

Le gouvernement en place considère les étrangers apatrides comme « indésirables » et envisage de les interner. Pour être libéré, Manouchian s’engage dans l’armée française, mais ses activités militantes prennent fin.

Affecté dans le Morbihan, il refait une demande de naturalisation qui est à nouveau rejetée. Capturé par les Allemands en 1941, il est interné au camp de Royallieu à Compiègne. Libéré par la suite, il reprend son engagement militant et intègre la Main d’Œuvre Immigrée (MOI), créée par le Parti communiste à la fin de la Première Guerre mondiale pour les immigrants. Il devient le chef politique de la section arménienne de la MOI jusqu’en 1942, placé sous la responsabilité du « triangle » de la direction de la MOI, composé de Louis Gronowski, Simon Cukier et Jacques Duclos. Sa première action à Levallois, avec le Polonais Marcel Rajman, aboutit à la formation du groupe « Manouchian-Boczov-Rayman », qui devient plus tard le « Groupe Manouchian ».

En 1943, Manouchian rejoint le groupe des Francs-tireurs et partisans-Main-d’Œuvre Immigrée (FTP-MOI) de Paris, créé en 1942 sous la direction de Boris Holban. Actif à Paris, Lyon, Grenoble et dans d’autres villes françaises, il devient commissaire technique des FTP-MOI de Paris. En août de la même année, il est nommé commissaire militaire de la région parisienne, en remplacement de Boris Holban, destitué de ses fonctions pour raisons disciplinaires. Manouchian et son équipe de cinquante militants mènent près de trente opérations à Paris, de août à la mi-novembre 1943.

L’Affiche Rouge

Les activités de résistance menées par les groupes Manouchian infligent des dommages significatifs aux rangs allemands déployés à Paris, ce qui en fait une priorité pour les autorités allemandes. Une action de la Brigade spéciale n°2 des Renseignements généraux conduit à l’arrestation de 68 résistants et au démantèlement des FTP-MOI. Parmi les prisonniers se trouve Missak Manouchian, arrêté le 16 novembre 1943 en gare d’Evry Petit-Bourg.

Pendant ce temps, sa femme Mélinée est cachée par la famille Aznavourian.

Manouchian est soumis à la torture et est livré aux Allemands avec 23 autres camarades résistants. Ils sont utilisés comme outils de propagande, et 10 des 23 sont sélectionnés pour composer « l’Affiche rouge« , un document de propagande à la fois xénophobe et antisémite visant à discréditer la résistance étrangère.

L’exécution de ces résistants pour leur engagement dans la libération de la France suscite une réaction publique de soutien et d’émotion envers leur cause.

La panthéonisation des Manouchian

La mémoire de Missak Manouchian est honorée par sa femme Mélinée ainsi que par d’anciens résistants et intellectuels.

En 1950, Paul Eluard publie le poème « Légion », un hommage poignant aux résistants étrangers en France. Louis Aragon, quant à lui, écrit « Strophes pour souvenir » en 1955, inspiré de la dernière lettre de Missak Manouchian à sa femme.

En reconnaissance de leur sacrifice, des rues sont renommées « Rue Missak Manouchian », et en 1961, Léo Ferré compose « L’Affiche Rouge », une chanson dédiée à leur mémoire.

Mélinée Manouchian élève à l'école Tebrotzassère en 1928-1929 - Archives de l'école Tebrotzassère | Domaine public
Mélinée Manouchian élève à l’école Tebrotzassère en 1928-1929 – Archives de l’école Tebrotzassère | Domaine public

La panthéonisation du couple Manouchian permet de mettre en lumière l’histoire des résistants étrangers en France. Ils deviennent ainsi le quatrième couple à être honoré au Panthéon, rejoignant ainsi le rang prestigieux des couples tels que Marcellin et Sophie Berthelot (1907), Pierre et Marie Curie (1995), et Simone et Antoine Veil (2018).

Quelques liens et sources utiles

Didier DAENINCKX, Missak Manouchian, une vie héroïque, Les arènes BD, 2024

Missak Manouchian, portrait par Denis Peschanski, Ministère des Armées, 2024

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