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Les Swing Riots, entre lutte de classe et technocritique

En 1830, le Sud de l'Angleterre voit ses zones rurales s'embraser dans un mouvement social visant à détruire les machines : les Swing Riots.
Batteuse à traction animale – Auteur inconnu | Domaine public
Batteuse à traction animale – Unknown author | Domaine public

Dans la nuit du 28 juin 1830, un violent conflit social éclate en Angleterre, et plus précisément dans le comté de Kent : les Swing Riots. C’est un conflit de classe qui dure jusqu’à l’année suivante. Il oppose les travailleurs agricoles pauvres du sud du Pays aux propriétaires terriens, à l’Église ou encore à l’État. Le mode d’action des travailleurs est la destruction de biens, en particulier d’un symbole : la batteuse. Vingt ans après le Luddisme, l’Angleterre se retrouve une nouvelle fois plongée dans une crise en lien à son modèle de développement technique. Cet article retrace l’histoire des Swing Riots, entre lutte des classes, technophobie et paradigme révolutionnaire.

Les raisons des Swing Riots

Ce qui mène aux Swing Riots, c’est la situation des zones rurales anglaises du début du XIXème siècle. Depuis 1770 et jusqu’au milieu du siècle suivant, près de 2,5 millions d’hectares de terres ont subi les Inclosures Acts, des lois visant à transformer des terres communales en des terrains privés. Ces terrains étaient utilisés par l’ensemble des agriculteurs pour faire paître les animaux de manière gratuite. Ce changement modifie totalement la structuration de la société rurale anglaise. L’économie agricole comprend dorénavant quatre groupes sociaux.

Un petit groupe de grands propriétaires terriens se trouve au sommet de la pyramide sociale. Ils louent des terres relativement vastes à 300 000 métayers sur la base de contrats à long terme qui, à leur tour, emploient environ 1,5 million d’ouvriers agricoles sur la base de contrats ponctuels. Le dernier groupe est composé de métiers annexes à l’agriculture (artisans, commerçants…). Ce sont les groupes les plus pauvres qui ont été acteurs des Swing Riots.

Par ailleurs, les ouvriers agricoles voient leurs situations devenir de plus en plus précaires. Au départ, les contrats de travail agricole ont une durée d’environ un an, permettant d’assurer une certaine sécurité aux ouvriers. Plus le temps passe, plus les contrats deviennent courts, pour devenir bien souvent hebdomadaires peu avant les années 1830.

De plus, la Grande-Bretagne a été en guerre avec la France de 1803 à 1815. La main-d’œuvre se faisait rare et les prix du maïs étaient élevés. Les travailleurs ont pu gagner correctement leur vie. Lorsque la paix est venue, la main d’œuvre est devenue très importante (les troupes militaires ont été dissoutes dans les ports du sud). Il n’y avait tout simplement pas assez d’emplois pour tout le monde, l’offre excédentaire de main-d’œuvre a fait chuter les salaires et le chômage n’a cessé d’augmenter. Dans le même temps, les prix des céréales, qui s’étaient maintenus, ont commencé à s’effondrer.

Batteuse à traction animale – Auteur inconnu | Domaine public
Batteuse à traction animale – Auteur inconnu | Domaine public

D’autres facteurs sont avancés par les historiens pour expliquer les Swing Riots, comme l’immigration irlandaise, un système de protection sociale inefficace (les Poor Laws), ou encore l’augmentation des prélèvements de l’Église (la dîme). Ainsi, les causes sont cumulatives mais la genèse de ce conflit tient sûrement à l’arrivée des batteuses dans les champs. En 1800, les travaux de battage sont presque intégralement réalisés manuellement et occupent les travailleurs tout l’hiver. Lorsque les batteuses à blé arrivent et se diffusent au début du XIXème siècle, augmentant la productivité de 5 à 10 fois, les difficultés pour les travailleurs s’accroissent. Et le coupable est tout trouvé : la machine.

Captain Swing : détruire les machines

L’Angleterre est une terre qui a été sujette à de nombreuses émeutes en lien à ses choix techniques de développement. Avec l’industrialisation rapide du pays, les machines remplacent rapidement les ouvriers. C’est ainsi qu’en 1811 naît le luddisme. Ce mouvement dure jusqu’en 1812 et a pris place principalement dans les villes manufacturières, où les métiers à tisser remplacent les travailleurs. Les Swing Riots s’inscrivent ainsi dans la lignée du luddisme, les ouvriers détruisent le symbole de leur pauvreté selon eux : le métier à tisser pour le luddisme, et les batteuses pour le cas qui nous intéresse.

La destruction de machines par les Luddites en 1812 – Chris Sunde | Domaine public
La destruction de machines par les Luddites en 1812 – Chris Sunde | Domaine public

Au total, près de 3 000 émeutes ont eu lieu. Après avoir débuté dans le Kent, elles ont pris de l’ampleur en août 1830 et ont atteint leur apogée en novembre de la même année. En mars 1831, le phénomène s’était déjà grandement étouffé. Les émeutes se sont concentrées dans les régions céréalières du sud-est, des Midlands et de l’East Anglia, tandis que les régions laitières de Cornouailles, du Pays de Galles et du nord de l’Angleterre ont été moins touchées. Les revendications des émeutiers de Swing étaient de nature économique : des salaires plus élevés, la séparation des subventions de la loi sur les pauvres du paiement des salaires et plus de travail.

Les émeutes ont pris différentes formes : incendies de granges, destruction de batteuses, vols et prélèvements d’argent, agressions contre des fonctionnaires… D’après Holland, ce sont plus de 1 300 incendies, 600 destructions de machines, 250 vols, 350 émeutes, une centaine d’évasions de prisonniers ou encore une centaine de destructions de cultures ou de mutilations d’animaux d’élevage qui se sont produits durant les Swing Riots.

Les autorités ont réagi aux émeutes par une combinaison de concessions locales et de répression. Le caractère local des revendications des ouvriers agricoles a permis de trouver des solutions locales dans de nombreux cas. La responsabilité première de l’ordre public incombait à la noblesse terrienne ou aux pasteurs de l’Église d’Angleterre qui exerçaient leurs fonctions au sein de l’administration. Ils étaient chargés de faire respecter la loi et l’ordre, de contenir et d’arrêter les émeutiers de Swing.

Cependant, ils ne disposaient que de très peu de moyens et s’appuyaient sur des volontaires recrutés parmi les métayers locaux et autres propriétaires terriens de la région, dont beaucoup étaient réticents à sévir, se sentant parfois proches des revendications des Swing Riots. En conséquence, les magistrats ont réagi de manière très différente, allant de la répression violente dans le Hampshire et le Wiltshire à une forme de solution apaisée dans le Norfolk. Au total, il y eut plusieurs milliers d’arrestations, et 252 émeutiers furent condamnés à mort. 19 ont été effectivement pendus, et de nombreux autres déportés en Australie.

Portrait du Capitaine Swing – Unknown author | Domaine public
Portrait du Capitaine Swing – Auteur inconnu | Domaine public

Afin d’illustrer au mieux la réalité de ces émeutes, nous pouvons nous référer aux événements de novembre dans le Hampshire. Ainsi, à Andover, les émeutes durent plusieurs jours et le 20 novembre 1830, une foule s’abat sur l’usine sidérurgique de Taskers Waterloo, à Upper Clatford, et détruit toutes les machines qu’elle peut. Le propriétaire de l’usine était sensible à la cause des émeutiers et a refusé d’identifier les personnes impliquées. Cependant, celles qui ont pu être arrêtées sur place ont été condamnées à l’exil en Australie.

Le lendemain, les mêmes émeutiers passent de maison en maison afin de réclamer de la nourriture et de l’argent dans l’objectif de poursuivre leurs actions. Ainsi, le lundi 22 novembre, les émeutiers s’attaquent aux hospices de Selborne et de Headley. Ils réclament une réduction de la dîme, ce que le vicaire leur accorde après qu’ils aient causé de nombreux dégâts. Il ne s’agit pas donc uniquement de destruction de batteuses, mais de tout un panel d’actions portant à nuire aux propriétaires terriens et du capital. La destruction de batteuse est cependant restée comme l’un des symboles des Swing Riots.

Les Swing Riots se nomment ainsi en référence au Capitaine Swing, personnage fictif inventé pour incarner la révolte. En effet, les travailleurs envoyaient des lettres de menaces aux propriétaires terriens signés du nom du Capitaine. Ce personnage évoque le personnage fictif de Ned Ludd, figure du luddisme créée pour les mêmes raisons.

Lettre du Capitaine Swing – Unknown author | Domaine public
Lettre du Capitaine Swing – Auteur inconnu | Domaine public

Ainsi, les Swing Riots furent des mouvements contestataires de classe, initiés par la classe des travailleurs agricoles. Symbolisés par la destruction de batteuses, ces événements sont encore aujourd’hui des références dans les mouvements de lutte.

Quelques sources et liens utiles

MINARD Philippe, « Le retour de Ned Ludd. Le luddisme et ses interprétations », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 2007/1 (no 54-1), p. 242-257. DOI : 10.3917/rhmc.541.0242.

Toke Aidt, Gabriel Leon, Max Satchell, The Social Dynamics of Collective Action: Evidence from the Captain Swing Riots, 1830-31, CESifo, Munich, 2017

Carl J. Griffin, The violent Captain Swing ? Past & Present, 2010

Michael Holland, Swing Unmasked: The Agricultural Riots of 1830 to 1832 and Their Wider Implications, 2004

E. J. Hobsbawm, George Rude, Captain Swing, 2001

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