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Les Corn Laws : du protectionnisme au libéralisme en Angleterre

En 1846, les Corn Laws sont abrogées en Angleterre. Les produits agricoles vont alors s'insérer dans le libéralisme.
Réunion de l'Anti Corn Law League en 1846 à Exeter - Unknown author | Public Domain
Réunion de l’Anti Corn Law League en 1846 à Exeter – Unknown author | Public Domain

Parmi les lois protectionnistes des pays européens, nul doute que les Corn Laws font partie des plus connues. Promulguées de 1773 à 1815, elles ont offert un débat et des controverses intenses jusqu’à leur abrogation. Celle-ci arrivera en 1846, ce qui concrétise la victoire du bloc libéral et engendre des mutations se répercutant sur toute la société anglaise. Cet article se propose de faire un retour historique sur ces Corn Laws.

Protectionnisme et création des Corn Laws

À la fin du XVIIIème siècle, l’Angleterre subit un contexte économique tendu, marquée par les nombreuses guerres qu’elle a menées, en particulier contre la France. Ainsi, la production augmente fortement lors de ce siècle afin de soutenir les efforts de guerre. L’Angleterre s’équipe en équipements agricoles dans le sillage de sa révolution industrielle.

C’est ainsi que les prix se mettent à baisser drastiquement à la fin des guerres napoléoniennes, passant de plus de 120 shillings le quarter de blé en 1812 à 50 shillings deux ans plus tard. Dans ce contexte, les agriculteurs qui louent la terre à l’aristocratie ont de grosses difficultés pour s’acquitter de leur loyer. Face au risque de défaut de paiement, la bourgeoisie anglaise fait pression sur le gouvernement pour maintenir des prix élevés sur le blé et privilégier la production anglaise, dans l’objectif de protéger les paysans anglais.

Thomas Malthus en 1934-John Linnell | Creative Commons Attribution 4.0
Thomas Malthus en 1934-John Linnell | Creative Commons Attribution 4.0

C’est le parti conservateur de Lord Liverpool qui amende les Corn Laws en 1815 afin de prendre cette mesure protectionniste.

Cette mesure fut l’un des actes majeurs de l’un des premiers ministres les plus emblématiques de l’Angleterre, Lord Liverpool conservant son poste pendant plus de 12 ans.

Dorénavant, la libre importation des blés n’est maintenant possible que si le prix du quarter dépasse 80 shillings. Ce prix était considéré comme le juste prix, notamment par l’économiste Thomas Malthus.

Selon lui, descendre en dessous aurait pour effet de réduire le salaire des laboureurs. Globalement, les prix ne dépassèrent que rarement les 80 shillings du quarter, comme par exemple en 1817 et en 1818. Les historiens s’accordent à dire que ces lois n’ont eu que peu d’effets pour contrer la crise agricole que l’Angleterre subit durant cette période, comme le témoigne l’exode rural massif des années 1820.

Les Corn Laws en débat

Par ailleurs, la promulgation de cette loi est l’occasion d’un débat intense entre libéraux et conservateurs. Cette controverse s’intensifie lors des débats entre Ricardo (1772-1823) et Malthus (1766-1834). David Ricardo est l’un des économistes les plus connus et ses travaux libéraux ont trouvé un écho formidable dans le monde entier. Agent de change et député, il est principalement connu pour ses théories de l’avantage comparatif ou sa loi des rendements décroissants.

David Ricardo en 1921 - Thomas Phillips | Public domain
David Ricardo en 1921 – Thomas Phillips | Public domain

Membre de l’école classique, il en fut l’un des plus influents au même titre qu’Adam Smith ou Thomas Malthus. Ce dernier, prêtre anglican, est notamment connu pour ses travaux sur le contrôle actif de la natalité pour maîtriser la croissance de la population. Il est le promoteur d’un courant portant son nom, le Malthusianisme.

Ces deux penseurs s’opposent l’un à l’autre lors de la promulgation des Corn Laws. Ricardo considère qu’il faut promouvoir le libre-échange afin d’améliorer les profits, de diminuer les prix pour les citoyens mais également de limiter les revenus de la classe oisive, les propriétaires fonciers. Ricardo s’appuie sur le concept de la division internationale du travail, et l’Angleterre selon lui devrait davantage orienter sa production vers l’industrie que vers l’agriculture.

À l’inverse, Malthus considère que cette loi assure l’indépendance alimentaire du pays, encore marqué par le blocus napoléonien. Par ailleurs, Malthus remet en question les théories de Ricardo en arguant qu’un prix du blé bas n’évite pas nécessairement les famines.

L’ACLL défend le libéralisme

Mais la contestation contre les Corn Laws atteint son apogée avec l’émergence de l’Anti Corn Law League (ACLL) en 1839. Cette ligue est issue des classes moyennes et trouve une implantation forte dans le Nord et l’Est du pays. Ses modes d’actions sont pacifistes et légalistes, puisqu’elle publie de nombreux journaux, pétitions ou encore des pamphlets. Par ailleurs, de grandes conférences publiques, conjuguées à des campagnes agressives de signatures de pétitions, contribuent à asseoir l’importance de la League dans le pays. Le message est clair : abolir la loi pour améliorer les conditions de vie des Anglais et s’insérer dans une logique libre-échangiste. L’objectif est d’autoriser les marchandises étrangères à base de céréales à être commercialisées au sein du pays.

Plaque de l'Anti-Corn-Law League au 69 Fleet Street - Man vyi | Public domain
Plaque de l’Anti-Corn-Law League au 69 Fleet Street – Man vyi | Public domain

À partir des années 1840, les conditions économiques se durcissent et la pauvreté augmente. L’argument principal de l’ACLL étant que l’abrogation de la loi entraînera une diminution du prix du pain, la League voit le nombre de ses sympathisants augmenter rapidement. Au parlement, ce basculement se traduit par un soutien de moins en moins marqué en faveur des lois protectionnistes. Villiers, Cobden et Bright, 3 députés libre-échangistes, font pression au parlement et élaborent une stratégie électoraliste pour l’ACCL. Pour autant, les membres de la League sont loin d’être des partisans de la démocratie, et ils tentent de contourner le droit de vote afin de favoriser les électeurs libre-échangistes. Associées à leur position antiaristocratiques, ces différentes stratégies débouchent sur un succès relatif lors des législatives de 1844.

L’abrogation des Corn Laws

Face à ces pressions, le 6 juin 1846 fut examiné la loi d’abrogation des Corn Laws proposée par Robert Peel, Premier ministre tory de l’époque. Les députés anglais ont beau être majoritairement issus de l’aristocratie, ceux-ci ne sont pas vent debout contre l’abrogation. L’abrogation des Corn Laws est en fin de compte un acte fondateur de la libéralisation des produits agricoles, jusqu’alors relativement protégés. Conjointement à l’intensification des échanges de produits agricoles les échanges de produits manufacturiers augmentent, et l’Angleterre en profite grandement. Richard Cobden fait de cette abrogation un acte fondateur du libre-échange et de l’agriculture moderne.

Ainsi, les Corn Laws furent parmi les lois les plus discutées et débattues, dépassant largement le cadre de l’agriculture. Opposant protectionnistes et libéraux, aristocratie et classe moyenne ou encore zones rurales et zones urbaines, ces lois ont cristallisées de nombreuses tensions au sein de l’Angleterre georgienne et victorienne. 

Quelques sources et liens utiles

Thomas Malthus, Observations on the Effects of the Corn Laws, 1814

Donald Barnes, History of English Corn Laws, 2005

Hugo Bonin, « Ambivalences libérales : l’Anti-Corn Law League et la « democracy », 1838-1848 », Revue d’histoire du XIXe siècle, 59 | 2019, 167-183.

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