L'ouvrage coup de cœur de mars : Atavi : Le Labyrinthe de Fundokolia par Arslan Cherr

La modernisation de l’agriculture française après 1945

L'agriculture française évolue à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, passant d'une agriculture familiale à un système industriel.
Déversement du grain contenu dans la trémie de la moissonneuse-batteuse John Deere 9640WTS - PRA (pseudo Wikipédia) | Creative Commons BY-SA 3.0
Déversement du grain contenu dans la trémie de la moissonneuse-batteuse John Deere 9640WTS – PRA (pseudo Wikipédia) | Creative Commons BY-SA 3.0

L’agriculture occupe une partie non négligeable du territoire métropolitain, à hauteur de 45 % (INSEE). Au-delà des spécificités régionales et de la richesse de ses productions agricoles, l’agriculture française telle que nous la connaissons est le fruit d’un processus politique amorcé à la suite de la Seconde Guerre mondiale dans un objectif précis : produire pour reconstruire la France.

La situation de l’agriculture française avant la guerre

Au début du XXe siècle, la population française est majoritairement rurale. L’exode vers les villes se poursuit depuis la révolution industrielle, et l’agriculture française se modernise peu à peu. Les progrès techniques du XIXe siècle comme l’amélioration des assolements ou des attelages permettent notamment d’améliorer les rendements et l’efficacité.

Si aujourd’hui le tracteur est un des symboles de l’agriculture, la machine n’est l’alliée de l’agriculteur que depuis très peu de temps. Avant la guerre, l’agriculture française est principalement vivrière et familiale, la traction est effectuée à l’aide de chevaux ou de bœufs, et les rendements sont bien plus faibles qu’aujourd’hui.

On dénombre environ 16 millions de personnes vivant de l’agriculture au début du XXe siècle, principalement dans des fermes de moins de 10 ha (plus de 85% des structures). Cela représente plus de 40 % de la population française. Au sortir de la guerre, les chevaux sont majoritaires, au nombre de 1 800 000 et les tracteurs encore peu nombreux, environ 100 000. 20 ans plus tard, on dénombre 1 200 000 tracteurs et 600 000 chevaux.

Tracteur Waterloo Boy de 12 cv - John Deere | Domaine public
Tracteur Waterloo Boy de 12 cv – John Deere | Domaine public

Plan Marshall et Politique Agricole Commune

À la libération, le général Charles de Gaulle souhaite relancer l’économie française rapidement. Dopés par le Plan Marshall, les investissements s’intensifient dans de nombreux secteurs de l’économie, dont l’agriculture. Celle-ci est en retard. Ainsi, en 1959, le rapport Rueff-Armand dresse le constat suivant :

Edgard Pisani en 1964 - Bilsen, Joop van / Anefo | Creative Commons BY-SA 3.0
Edgard Pisani en 1964 – Bilsen, Joop van / Anefo | Creative Commons BY-SA 3.0

La situation actuelle est imputable à l’archaïsme des structures parcellaires, à la faiblesse des surfaces cultivées par bon nombre d’agriculteurs, à l’inadaptation de certaines méthodes de production aux possibilités et aux exigences des progrès techniques, enfin à l’insuffisance des stimulants, imputable, jusqu’à un passé récent, à un excès de protectionnisme.

Rapport Rueff-Armand – 1959

La France se dote alors d’un outil législatif puissant afin d’enclencher sa modernisation agricole : La Loi d’Orientation Agricole de 1962, dite Loi Pisani, en référence au ministre de l’agriculture Edgard Pisani (ministre de 1961 à 1967). Ces lois font suite à la Loi d’Orientation Agricole de 1960, et poursuit 3 objectifs principaux définis dans le projet de loi de juillet 1962 présenté à l’assemblée nationale : diminuer les coûts de production ; améliorer les marges ; accroître les revenus. L’agriculture doit s’intensifier, se spécialiser, se mécaniser.

À l’échelle de l’Union Européenne, le processus de modernisation de l’agriculture porte un nom : la Politique Agricole Commune (PAC). Cette politique est rédigée à l’occasion du Traité de Rome de 1957, et entre en vigueur le 30 juillet 1962. Résolument productiviste, la PAC a pour ambition de rendre l’agriculture européenne plus performante afin d’atteindre l’autonomie alimentaire pour la Communauté. Fondée sur des principes protectionnistes tels que la préférence communautaire, la PAC permet également une libre circulation des marchandises liée à l’unicité du marché. La PAC est l’un des fondements de l’identité européenne.

L’avènement d’une agriculture plus productive

Les politiques rurales d’après-guerre sont claires, il faut favoriser les structures agricoles de taille moyenne, de 30 à 50 ha, disposant d’outils modernes et mobilisant des pratiques agronomiques intensives. Sur le territoire français, l’application de ces politiques de développement se traduit par un changement rapide dans le paysage rural. Les territoires se spécialisent, les pratiques changent, les fermes s’agrandissent.

Afin de faciliter l’emploi des machines, mais également d’accélérer la cadence des travaux, les haies sont arrachées et les champs s’agrandissent. C’est le remembrement agricole, conduisant à la disparition de 835 000 kilomètres de talus et de haies, principalement dans la moitié Nord de la France, entre 1945 et 1985. Au cœur des années 1970, le remembrement atteint son paroxysme avec près de 500 000 ha remembrés par an.  

Les effets du remembrement, de la spécialisation et de l’agrandissement des fermes dans la Beauce. Image tirée de l’outil Remonter le temps de l’IGN
Les effets du remembrement, de la spécialisation et de l’agrandissement des fermes dans la Beauce. Image tirée de l’outil Remonter le temps de l’IGN.

Dopée par les progrès de la pétrochimie, l’agriculture française s’intensifie. Les composés de synthèse deviennent des alliés précieux pour les paysans contre des insectes, maladies et autres champignons qui s’attaquent à des variétés végétales extrêmement productives mais fragiles. Le fondement de la révolution agricole consistant à utiliser des engrais organiques tels que le fumier des animaux, est balayé avec l’arrivée des engrais azotés. Développés suite à l’invention du procédé Haber Bosch, ceux-ci sont désormais allègrement employés dans les campagnes, dopant artificiellement le potentiel productif des terres agricoles. En 1909, Fritz Haber met au point le procédé le plus important de tout le XX siècle en parvenant à fixer l’azote de l’air sous forme ammoniacale, par hydrogénation du diazote gazeux atmosphérique.  

Les territoires français, jusqu’alors grandement diversifiés à travers une multitude d’exploitations en polyculture élevage, se spécialisent. La vigne périclite dans de nombreux territoires pour se maintenir dans des terroirs où sa réputation le permet. Les régions de l’Ouest de la France deviennent laitières et maraîchères, les fruitiers se développent dans le Sud de la France, et la partie Nord du pays se lance dans la production de grandes cultures, favorisées par la Politique Agricole Commune. La part de cultures fourragères diminue fortement, passant de 20 millions d’ha en 1950 à 15 millions d’ha en 2000. Les animaux, bien que plus nombreux, sont désormais nourris à l’aide d’aliments concentrés fabriqués selon des processus industrialisés. Les terres disponibles permettent le développement des surfaces non agricoles d’une part, mais également des grandes cultures, avec 2 millions d’ha cultivés en plus entre 1950 et 2000.

L’institutionnalisation de l’agriculture française

Afin d’homogénéiser le développement rural, de nombreux organismes para-agricoles voient le jour. Ainsi, dès 1946, l’Institut National de Recherche Agronomique, l’INRA (aujourd’hui INRAE), est constitué dans le but d’accélérer les progrès techniques en stimulant la recherche agronomique. Les agronomes doivent alors répondre à cette question : comment nourrir la France ? C’est une organisation méthodique de la science qui s’établit alors au sein de pôles régionaux disséminés à travers la métropole.

La même année, c’est le syndicat agricole majoritaire qui se constitue, la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA), s’inscrivant pleinement dans le projet modernisateur d’après-guerre. Mais la dynamique sociale autour de l’augmentation de la production n’est pas l’apanage de la FNSEA.

Depuis 1929, la jeunesse agricole catholique (JAC), fondée par l’abbé Jacques Charles, permet de former la jeunesse agricole, via l’enseignement. Au sortir de la guerre, l’objectif productif est embrassé par ce mouvement au travers de la mécanisation, du recours aux engrais et à l’agrandissement. Ce mouvement a permis de former de nombreux cadres agricoles des années 1960, organisant la profession via la création d’organismes de gestions, de coopératives ou encore des syndicats agricoles, tels que la FNSEA.

Dans l’optique de diffuser les innovations produites, les chambres d’agricultures, organismes consulaires chargés de diffuser et d’implémenter la politique de développement agricole et rurale de l’état français, se dotent de conseillers agricoles dès l’après-guerre.

Enfin, la Safer (Société d’Aménagement Foncier et d’Etablissement Rural) est constituée par Edgar Pisani afin de faciliter la politique d’aménagement foncier permettant de rendre plus productive l’agriculture.

La fin des sociétés paysannes, l’émergence d’une agriculture de firme

Cette vague modernisatrice conduit à une modification socio-économique des campagnes françaises. Le sociologue Henri Mendras évoque ainsi dès 1967 la fin des paysans, le progrès technique ayant contraint cette classe sociale jusqu’alors majoritaire à une réduction drastique de ses membres, qui se sont eux-mêmes transformés en chefs d’exploitations agricoles.

Si au cours des soixante dernières années les paysans n’ont pas réellement disparu, de nombreux agriculteurs se réclament toujours de cette mouvance. A commencer par l’un des syndicats agricoles principal, la confédération paysanne. Force est de constater que les sociétés paysannes ont, quant à elles, réellement disparu.

Aujourd’hui, le modèle famille exploitation s’efface peu à peu au profit d’une agriculture de plus en plus industrielle, que le sociologue Purseigle nomme agriculture de firme. C’est l’aboutissement du processus modernisateur entamé il y a près de 70 ans, transformant profondément nos campagnes.

Indéniablement, la modernisation agricole a permis un gain de productivité très important, diminuant le labeur physique, octroyant une part plus grande au loisir et aux activités tertiaires. Mais aujourd’hui, elle est pointée du doigt par différents acteurs comme étant à l’origine de dégradations environnementales et sociales. Ainsi, Edgar Pisani, pourtant moteur au sein de ce processus, déclarait en 2004 : « J’ai été, quant à moi, productiviste… hier. Ce qui se passe, aujourd’hui, m’inspire plus d’inquiétude que d’espoir ».

Quelques liens et sources utiles

Henri Mendras, La fin des paysans. Vingt ans après, EcoRev’, 2019

Marcel Mazoyer et Laurence Roudart, Histoire des Agricultures du Monde : Du néolithique à la crise contemporaine, Seuil, 2002

Toutes les statistiques sur le monde agricole français : Agreste

Jean Molinier, L’évolution de la population agricole du XVIIIe siècle à nos jours, Economie et Statistique, 1977

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Une réponse

  1. Le modèle d’agriculture familiale heureusement est toujours le modèle dominant. Les fermes sont moins nombreuses mais ce n’est pas non-plus des grosses firmes agroindustrielles. Le modèle dominant est la ferme de taille moyenne avec des agriculteurs propriétaires de leurs moyens de production. L’évolution est néanmoins préoccupante aujourd’hui avec une disparition aussi de fermes assez grosses et viables faute de repreneurs et une tendance à la baisse des revenus et de la production globale en particulier dans l’élevage et surtout la production laitière. Le développement de l’agriculture biologique a subi aussi un coup d’arrêt à cause d’un plafonnement de la consommation. Enfin la concurrence des produits importés moins chers avec des normes moins strictes décourage les agriculteurs. Le protectionnisme est-il pour autant la solution ? Comment continuer à exporter si nous stoppons nos importations ? Par réciprocité ne risquons-nous pas de perdre des parts de marché à l’export ?

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