L'ouvrage coup de cœur d'avril : Petit dictionnaire des Sales Boulots par Nicolas Méra

Relations France/OTAN : je t’aime, moi non plus ?

Si la France apparaît comme un pays pleinement impliqué dans l'alliance politico-militaire qu'est l'OTAN, c'est en réalité loin d'être le cas
Le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, et François de Rugy, alors président de l'Assemblée national, le 14 mai 2018 - OTAN | CC BY-NC-ND 4.0 Deed
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En 2024, la France devrait réussir à atteindre l’objectif des 2% de PIB consacrés à la défense, vivement recommandé par l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), mais peu appliqué parmi ses membres.

Si l’Hexagone apparaît ici comme un pays pleinement impliqué dans l’alliance politico-militaire qu’est l’OTAN, c’est en réalité loin d’être le cas, puisque la France occupe une position particulièrement complexe dans l’organisation, oscillant entre engagement et critique et entre coopération et défiance.

Globalement, les relations entre la France et l’OTAN sont tout sauf linéaires, en témoignent les périodes de coopération étroites entrecoupées de crises et de désaccords retentissants. Dans un monde en évolution rapide, l’histoire des relations entre ces deux acteurs montre ainsi bien l’ampleur des défis et des dilemmes auquel un État membre d’une organisation internationale est confronté lorsqu’il souhaite maintenir son autonomie stratégique et sa place sur la scène mondiale.

Retour sur les moments clés de la tumultueuse relation France-OTAN, et plus particulièrement sur les raisons sous-jacentes à leurs divergences et convergences majeures.

De l’amour à la haine : le volte-face français vis-à-vis de l’OTAN (1945 – 1958)

Si la France s’est d’abord engagée tête baissée dans sa relation avec l’OTAN, ses idéaux ont finalement fini par voler aux éclats sous l’influence de facteurs politiques, stratégiques et nationalistes.

L’ engagement passionné de la France en faveur d’une sécurité collective à la fin de la Seconde Guerre mondiale

La fin de la Seconde Guerre mondiale a été terrible à vivre pour les pays européens, et la France n’a pas fait exception. Entre des pertes humaines estimées à 541 000 morts et des pertes matérielles se mesurant en termes de villes et d’infrastructures détruites, il est clair que l’Hexagone avait très peur en 1945 d’une Troisième Guerre mondiale plus dévastatrice encore que la Seconde.

Cette peur était d’autant plus forte que la France se savait alors en incapacité de réagir militairement à une nouvelle attaque, d’une part pour cause d’insuffisance de moyens militaires, et d’autre part car l’heure était davantage au ravitaillement et à la reconstruction du pays qu’à l’assurance sécuritaire.

Ce sentiment était alors largement partagé dans le monde, si bien qu’a été créée en 1945 l’Organisation des Nations Unies (ONU), visant à assurer la sécurité collective dans le monde entier, et ainsi à soulager les pays membres d’une partie de leurs prérogatives sécuritaires. De son côté, la France devient dès sa création un des cinq membres permanents de l’ONU, grâce aux actions de résistance menées depuis l’étranger par le général de Gaulle.

Toutefois, l’ONU connaît rapidement une limite, qui est la présence au sein de son conseil permanent des deux puissances antagonistes qu’étaient alors les États-Unis et l’URSS. Du fait des fortes tensions entre les pays, il est rapidement devenu impossible d’envisager la création d’une véritable force armée internationale pour assurer la paix au sein du système international.

Face justement à la montée de l’influence soviétique en Europe de l’Est, le désir de renforcer la sécurité collective ne faisait que croître en Europe occidentale. C’est l’une des raisons pour lesquelles la Belgique, la France, le Luxembourg, les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont signé en mars 1948 le traité de Bruxelles, qui a donné naissance à l’Union occidentale (UO). Si cette dernière avait des objectifs économiques, sociaux et culturels, son intérêt principal résidait alors surtout dans la coopération militaire qu’il entérinait. En effet, une clause de défense mutuelle visait à garantir une protection mutuelle en cas d’attaque extérieure, ce qui visait à dissuader l’URSS de toute agression potentielle envers les membres de l’alliance.

Pour autant, la création de l’UO n’était pas une fin en soi. En effet, l’Europe occidentale avait à la fin de la Seconde Guerre mondiale surtout envie de se réfugier derrière les puissants États-Unis, dans l’espoir qu’ils puissent garantir un soutien militaire à un continent désespérément en quête de sécurité. Mais Washington était plutôt réticent à l’idée de protéger une Europe désunie, surtout sans obtenir de contrepartie en retour. C’est donc pour prouver aux États-Unis leur détermination à lutter à ses côtes contre l’ennemi soviétique que les pays d’Europe occidentale se sont réunis au sein de l’UO.

Une démarche qui a relativement porté ses fruits, puisque les États-Unis ont accepté de soutenir ce projet, sans toutefois véritablement s’allier à l’Europe occidentale. Mais le blocus de Berlin débuté en juin 1948 est clairement venu changer la donne pour Washington.

En venant bloquer la capitale allemande, l’URSS est venue mettre un coup de pression aux États-Unis, en venant défier directement son influence en Europe occidentale, ainsi plus globalement que la démocratie libérale.

Face à un danger devenu concret, Washington n’eut pas d’autre choix que d’initier une alliance atlantique politico-militaire, qui est devenue concrète le 4 avril 1949 avec la signature du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN).

La France fut logiquement l’un des douze États fondateurs de cette structure de défense occidentale, en laquelle elle voyait le moyen de protéger sur le long terme ses territoires d’une attaque soviétique, mais également d’une offensive allemande.

Très enthousiaste vis-à-vis d’une organisation de défense occidentale, la France s’est donc rapidement engagée dans le développement de l’OTAN. C’est ainsi que Paris a abrité dès 1951 un quartier général permanent de l’OTAN, avant d’accueillir en 1952 le premier siège permanent de l’organisation.

Toutefois, une fracture n’a pas tardé à apparaître entre la France et l’OTAN, la faute à une divergence majeure d’objectifs…

La création d’une armée européenne : premières tensions entre la France et l’OTAN

À partir de 1950, la menace communiste se précise pour l’Occident, concrétisée par le début de la guerre en Corée.

Conséquence directe : les forces américaines déployées en Europe sont doublées, passant de 120 000 en 1950 à 250 000 en 1951. Mais malgré une présence militaire accrue, les États-Unis n’avaient pas l’assurance de pouvoir protéger une Europe occidentale fragile d’une URSS en pleine puissance.

C’est ainsi que Washington demanda, dans le cadre de l’OTAN, aux Européens de constituer une sorte d’armée européenne, qui, sous commandement américain, aurait la tâche de servir de premier rempart contre une attaque venue de l’Est. Pour ce faire, la superpuissance mondiale réclamait la participation de l’Allemagne de l’Ouest à ce projet, parce qu’elle était considérée comme la cible prioritaire de l’URSS en Europe occidentale.

En effet, depuis la décision des Alliés de désarmer l’Allemagne à la suite de la Seconde Guerre mondiale, et de la répartir en quatre zones d’occupation, le pays ne pouvait compter pour se défendre que sur les troupes françaises, américaines et britanniques présentes sur place. Or, leur nombre limité rendait assurément impossible la protection du pays contre une offensive soviétique, en faisant ainsi une porte ouverte vers le reste de l’Europe occidentale.

L’inclusion de l’Allemagne de l’Ouest au sein du projet d’armée européenne était donc nécessaire, mais impliquait par conséquent de réarmer le pays, afin qu’il puisse d’une part se protéger seul, et d’autre part venir aider l’OTAN à s’étendre vers l’Est pour contenir l’expansion communiste. Cependant, la France était fondamentalement opposée au réarmement de l’Allemagne.

Refroidie par les affrontements tragiques contre son voisin de 1914 à 1918 et de 1939 à 1945, Paris avait effectivement très peur de voir une Troisième Guerre mondiale éclater en cas de reconstitution de la puissance militaire allemande. Par ailleurs, la France ne souhaitait pas que les États-Unis s’immiscent politiquement dans la construction européenne, ce qu’elle n’a malheureusement pour elle pas réussi à empêcher.

La France face à l’OTAN dans les années 1950 : égoïsme, amertume puis cassure

En effet, face à l’urgence de la situation, le gouvernement français a finalement accepté de signer à Paris le 27 mai 1952 un traité instituant une Communauté européenne de défense (CED), réunissant en plus de la France la Belgique, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, et donc l’Allemagne de l’Ouest.

Les cinq derniers pays ont ainsi ratifié ce traité visant à créer une armée européenne, mais l’Assemblée nationale française a catégoriquement refusé de le faire, enterrant ainsi la CED le 30 août 1954.

Sans surprise, le refus français a provoqué la colère de ses alliés européens, ainsi que des États-Unis. Cette décision paraissait d’autant plus incompréhensible à l’étranger que la France s’était montrée très engagée en faveur d’une structure de défense occidentale, et que cette opposition à une armée européenne était contraire à ses ambitions défensives d’après-guerre.

Si l’instabilité politique de la IVème République n’avait alors qu’un impact national, l’échec de la CED est directement venu mettre cette fragilité sous le feu des projecteurs de la scène internationale. Dès lors, la politique étrangère française s’est retrouvée complètement discréditée, faute de cohérence et de stabilité dans sa liaison avec l’OTAN.

Il faut aussi dire que la relation France-OTAN était jusque-là très égoïste. En effet, la France voyait surtout en l’organisation un moyen de déléguer militairement une sécurité nationale qu’elle ne pouvait pas assurer, alors que l’OTAN est aussi et surtout une alliance politique. Au début des années 1950, il y avait ainsi une grosse incohérence entre la politique étrangère menée par la France et par l’OTAN, Paris préférant privilégier ses intérêts personnels sans prendre en compte ceux de l’alliance.

L’égoïsme français était notamment flagrant lors de la guerre d’Algérie, d’abord parce que la France a préféré envoyer en Afrique des soldats qu’elle s’était pourtant engagée à fournir au commandement de l’OTAN, mais surtout parce que la politique colonialiste de la France était globalement à l’opposé des valeurs défendues par les États-Unis et l’OTAN. En cherchant à maintenir sa domination sur l’Algérie, la France donnait de fait une très mauvaise image à l’OTAN au Moyen-Orient et dans le Tiers-Monde, alors que l’organisation était en recherche d’alliés dans ces zones.

En tout cas, la pression internationale envers la France était si forte que celle-ci n’a eu d’autre choix que de signer en 1954 les Accords de Paris, qui sont venus acter le réarmement de l’Allemagne et la fin de son statut d’occupation, ainsi que l’entrée de l’Italie et de l’Allemagne de l’Ouest au sein du traité de Bruxelles. Derrière, l’Allemagne est entrée dans l’OTAN le 6 mai 1955, dans une certaine amertume française.

Conférence de l’OTAN à Paris en 1954 – Domaine public

Cette amertume généralisée autour de l’OTAN s’est cristallisée en 1956 à la suite de la crise du canal de Suez. En effet, France et Royaume-Uni ont lancé à l’insu des États-Unis une opération militaire qui visait à soutenir Israël contre l’Égypte, puisque cette dernière avait nationalisé le canal de Suez au détriment des intérêts israélites, similaires à ceux de Londres et Paris.

Seul problème, l’Égypte était alliée de l’URSS, qui menaçait sérieusement d’une riposte nucléaire cette intervention militaire par défaut occidentale.

La France a donc délibérément failli déclenché la Troisième Guerre mondiale qu’elle redoutait tant, ce qui a été évité grâce à la pression commune mise par les États-Unis et l’URSS pour que la guerre froide reste telle qu’elle était.

Mais si la France s’est clairement montrée déraisonnable sur la scène internationale lors des années 1950, cela n’a pas empêché l’opinion antiaméricaine de monter en France, surlignant ainsi la rupture entre Paris et l’OTAN, entre Paris et Washington.

La toxicité de la relation France-OTAN, ou l’impossibilité d’une rupture (1958 – aujourd’hui)

La fin des années 1950 semblait mener tout droit la France et l’OTAN vers le divorce. Pourtant, les deux belligérants n’ont jamais rompu complètement les liens, se rapprochant même dernièrement malgré un désamour flagrant.

Le départ français du commandement intégré de l’OTAN sous Charles de Gaulle

L’arrivée de Charles de Gaulle à la tête de la France en 1958, ainsi que le début de la Vème République, viennent signer le retour de la stabilité politique dans le pays. Cependant, cela ne signe pas le retour d’une relation au beau fixe entre la France et l’OTAN, bien au contraire.

Le général de Gaulle était en effet animé par la volonté de redonner à la France ses grandeurs nationales et internationales, en œuvrant notamment pour un renouveau de la puissance française. Or, pour renforcer la position française à l’échelle mondiale, le président n’avait d’autre choix que de s’éloigner de l’OTAN, et des États-Unis, avec lesquels les intérêts divergeaient trop, surtout au niveau militaire.

Concrètement, trois désaccords majeurs animaient au début des années 1960 la relation France-OTAN :

1. La question nucléaire

Charles de Gaulle croyait fermement en l’importance de l’indépendance stratégique de la France. Pour lui, la dissuasion nucléaire était donc un élément essentiel, car elle pouvait permettre à la France de se protéger contre toute menace extérieure, à commencer par l’URSS, sans dépendre de la dissuasion nucléaire des États-Unis.

Le général de Gaulle a ainsi dès son arrivée insisté pour développer la force de frappe nucléaire française, dans l’objectif bien sûr qu’elle soit sous le contrôle exclusif du gouvernement français.

Les États-Unis quant à eux, étaient fermement opposés à ce développement nucléaire. En effet, le pays avait d’une part peur d’une prolifération nucléaire qui serait venue mettre à mal l’équilibre fragile du monde, et était plus globalement opposé à une avancée militaire ne servant pas les intérêts de l’OTAN.

L’explosion de la première bombe atomique française dans le désert du Sahara le 13 février 1960 est donc venue cristalliser des tensions déjà très fortes entre la France et les États-Unis, venant ainsi créer un premier point permanent de discorde.

2. La vision de l’Europe

Pour Charles de Gaulle, l’Europe se devait d’être une puissance influente sur la scène internationale. Une chose qui n’était possible que si elle gagnait en autonomie, ce dont le continent était loin au début des années 1960, en partie à cause de la surdomination américaine au sein de l’OTAN. À cette époque, il était en effet inenvisageable que l’Europe prenne des décisions en matière de défense et de sécurité sans accord préalable des États-Unis.

Un constat révoltant pour le général de Gaulle, qui était en faveur d’une sécurité européenne plus indépendante et autonome, mettant en valeur la coopération entre les pays européens plutôt que la domination américaine au sein de l’alliance militaire transatlantique.

Pour résumer, les États-Unis étaient en faveur de laisser en place une Europe américaine, là où de Gaulle souhaitait du changement afin de construire une Europe européenne.

3. L’intégration militaire

La question de l’intégration militaire française au sein de l’OTAN était probablement le plus gros différend qu’il y avait entre la France de Charles de Gaulle et les États-Unis.

Pour Washington, il y avait nécessité que la France s’investisse davantage au sein de l’OTAN, afin de redevenir un acteur majeur de la sécurité collective qu’elle défendait ardemment à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Charles de Gaulle à l’opposé souhaitait quant à lui renforcer l’indépendance militaire de la France vis-à-vis des États-Unis et de l’OTAN. Opposé à un contrôle par autrui des forces armées françaises, le général pointait notamment du doigt l’écrasante domination des États-Unis sur l’organisation, qui ne laissait selon lui que peu de place aux avis extérieurs.

En fait, pour Charles de Gaulle, la France ne pouvait pleinement s’investir dans l’OTAN qu’à deux conditions précises. Premièrement, que l’OTAN agisse pour résoudre les crises à l’échelle mondiale, et non plus qu’à la simple échelle occidentale. Deuxièmement, que l’OTAN soit dirigé de manière tripartite par les États-Unis, la France, et le Royaume-Uni, tous trois possesseurs de l’arme nucléaire.

Or, ces demandes étaient inentendables pour les États-Unis, poussant alors la France à prendre progressivement ses distances du commandement militaire intégré de l’OTAN.

Dès 1959, la France a ainsi retiré sa flotte méditerranéenne du commandement de l’OTAN, avant de faire pareil en 1962 avec sa flotte en Atlantique et dans la Manche. C’est ainsi de manière logique que Charles de Gaulle a décidé en 1966 de faire sortir la France du commandement militaire de l’OTAN, pour des questions d’indépendance et de souveraineté nationale.

Ce départ ne signifiait toutefois pas que la France quittait l’OTAN, mais simplement que les forces françaises ne participaient plus aux plans de défense de l’OTAN et que le commandement militaire de l’OTAN en Europe ne contrôlait plus les forces françaises.

Si le retrait français a causé dans les premiers temps un grand malaise à l’international, il fut cependant tempéré par des rapprochements entre la France et l’OTAN les décennies suivantes.

D’un rapprochement progressif à un éloignement impossible

Dès 1967, sont signés les accords Ailleret-Lemnitzer, afin que la France puisse continuer à participer à certaines opérations occidentales contre l’Est, et ainsi contribuer à défendre l’Europe. Permettant à la France d’intervenir militairement sous commandement national, ces accords ont permis de rendre le retrait français moins douloureux, ainsi que de normaliser des relations franco-américaines jusque-là extrêmement tendues.

Dans un sens, le retrait français a finalement été bénéfique, aussi bien pour Paris que pour Washington. En effet, cet éloignement a permis à la France de se rendre compte de l’importance de l’OTAN, tandis que les États-Unis ont pris conscience de l’importance de respecter la politique de défense indépendante de la France et de reconnaître son rôle en tant que partenaire stratégique clé en Europe.

Ces progrès bilatéraux se sont montrés particulièrement visibles au milieu des années 1970. Conscient de l’importance de l’OTAN pour la sécurité européenne, le président Valéry Giscard d’Estaing a notamment fait en sorte de rapprocher la France et l’OTAN. Ont ainsi été signés en juillet 1974 les accords Valentin-Ferber, qui sont venus augmenter les possibilités pour l’armée française d’intervenir militairement auprès de l’organisation politico-militaire.

Dans les années 1980, le président français François Mitterrand a lui aussi encouragé la collaboration militaire entre la France et l’OTAN, alors d’autant plus importante que l’intervention soviétique en Afghanistan et la crise des Euromissiles avaient clairement ravivé les craintes concernant la sécurité européenne.

La fin de la Guerre froide a cependant mis un frein à la coopération entre la France et l’OTAN. Après la dissolution de l’URSS, François Mitterrand a eu pour projet de renforcer l’identité européenne, et de l’affirmer sur la scène internationale. L’objectif était alors de profiter de l’absence de menace sécuritaire explicite en Europe pour rallier les pays européens à sa cause, plutôt qu’à celle d’une OTAN jugée inutile en temps de paix.

S’est ainsi développée une rivalité entre l’OTAN et la vision d’une Europe capable de se défendre et d’avoir une politique par elle-même, défendue évidemment par la France.

La naissance de l’Union européenne en février 1992, et d’une politique européenne de sécurité commune (PESC) sont ainsi venus porter un sérieux coup aux États-Unis, et à leur volonté de conserver un certain leadership en Europe. Le renforcement la même année de la coopération franco-allemande et la création d’une force multinationale européenne de réaction rapide, l’Eurocorps, sont définitivement venus rouvrir la plaie entre la France et l’OTAN.

Toutefois, la paix européenne n’a pas réussi à perdurer très longtemps, au grand désarroi de la France. L’aggravation rapide des guerres de Yougoslavie est ainsi venue ranimer dans les années 1990 les peurs sécuritaires des pays européens, permettant à l’OTAN de regagner en prestige et en prestance.

Lorsque Jacques Chirac arrive à la tête de la France en 1995, il se rend donc immédiatement donc compte que l’idée d’une défense européenne indépendante est irréalisable, faute de soutien des partenaires européens davantage attachés à l’OTAN. L’opposition envers l’organisation étant vaine, le président français envisage donc pour arriver à ses fins de réintégrer la France au sein du commandement militaire intégré de l’OTAN, à condition que l’organisation se restructure en faveur de la promotion de l’identité européenne.

Sans grande surprise, Jacques Chirac n’arriva pas à ses fins, et se retrouva dans une impasse politique. En effet, la France n’arrivait pas à faire bouger les choses en faveur d’une défense européenne indépendante, puisque les États-Unis et l’OTAN bloquaient l’affirmation d’une Europe de la défense en marchant sur les plates-bandes de l’UE.

En échec et mat, la France a donc dû se raisonner à mettre de côté le développement d’une défense européenne, au profit d’une défense occidentale.

La réintégration de la France au sein du commandement intégré de l’OTAN : une relation forcée ?

En 2009, le président français Nicolas Sarkozy décide de faire réintégrer la France au sein du commandement militaire intégré de l’OTAN, tout en préservant l’autonomie nucléaire totale du pays.

Cette décision, plus ou moins populaire a permis à de nombreux soldats français d’intégrer les structures de commandement de l’OTAN, participant ainsi à la direction des opérations militaires et contribuant à transformer les capacités, la doctrine et la structure de l’organisation politico-militaire.

Affiche pour le contre-sommet de l'OTAN à Strasbourg - Claude Truong-Ngoc | CC BY-NC-SA 4.0 Deed
Affiche pour le contre-sommet de l’OTAN à Strasbourg – Claude Truong-Ngoc | CC BY-NC-SA 4.0 Deed

Aujourd’hui, la France joue un rôle actif et significatif dans les efforts de sécurité et de dissuasion de l’OTAN. Elle participe pleinement aux opérations de l’OTAN en apportant un soutien humain et matériel aux pays frontaliers de l’Ukraine et de la Russie. Avec des déploiements en Roumanie, en Estonie et en Mer Noire, la France contribue de manière substantielle aux activités de l’OTAN, ce qu’elle ne faisait pas jusqu’en 1966.

Cependant, malgré cette participation active, les relations entre la France et l’OTAN restent compliquées de nos jours. Bien que l’Hexagone soit le troisième contributeur financier de l’OTAN, les États-Unis dominent largement la ligne idéologique de l’organisation, ce qui rend difficile la promotion d’une défense européenne indépendante.

Ce constat est d’autant plus problématique que les États-Unis accordent aujourd’hui plus d’importance à leur politique étrangère en Asie qu’au développement stratégique de l’OTAN en Europe. Cette situation crée un paradoxe où les États-Unis n’accordent pas la priorité à la défense et à la sécurité européennes, tout en refusant que l’Europe prenne en charge ces aspects par elle-même.

Les commentaires du président français Emmanuel Macron en 2019, qualifiant l’OTAN d’organisation en état de « mort cérébrale », ont suscité des réactions choquées parmi les alliés européens de la France. Cependant, ces remarques reflètent les préoccupations légitimes de la France face à une OTAN dont le fonctionnement ne répond pas aux défis actuels de la sécurité européenne.

Alors que les États-Unis expriment de plus en plus leur mécontentement concernant le coût financier de l’OTAN, et que des doutes sont émis sur leur engagement à protéger les pays européens d’une éventuelle attaque russe, il serait peut-être temps pour l’Europe, et pour la France en particulier, de prendre des mesures pour garantir leur sécurité et leur défense, indépendamment de la dépendance à l’égard des États-Unis.

Quelques liens et sources utiles :

Olivier Forcade, La France et l’OTAN depuis 1989, SUP, 2023

Pierre Lellouche, L’allié indocile, Éditions du Moment , 2009

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