L'ouvrage coup de cœur d'avril : Petit dictionnaire des Sales Boulots par Nicolas Méra

Nationalisme hindou : comment en est-on arrivé là ?

Monté en puissance, le nationalisme hindou a profondément bouleversé l'Inde, suscitant à la fois adulation et critique passionnée
Le président français Emmanuel Macron et le Premier ministre indien Narendra Modi
Le président français Emmanuel Macron et le Premier ministre indien Narendra Modi

Le 31 janvier 2023, à l’issue d’une décision de justice indienne, les prêtres hindous ont eu l’autorisation de mener des rituels d’adoration au sous-sol d’une mosquée de la ville sainte de Varanasi. Un acte qui peut paraître choquant, mais qui s’inscrit parfaitement dans la logique nationaliste hindoue proéminente en Inde.

Enraciné dans l’histoire ancienne et façonné par les événements coloniaux et post-coloniaux, le nationalisme hindou incarne une fusion unique de la religion, de l’identité culturelle et de la politique. Monté en puissance ces dernières décennies, ce mouvement a profondément influencé le paysage sociopolitique de l’Inde contemporaine, suscitant à la fois adulation et critique passionnée.

Car si le nationalisme hindou peut paraître insignifiant au premier abord, l’étude poussée de ses positions tranchées sur la laïcité, la pluralité religieuse et la coexistence intercommunautaire montre bien qu’il est impossible d’y rester indifférent, surtout d’un point de vue purement occidental.

Entre l’engouement fervent de ses partisans et les controverses qui entourent son impact sur la société indienne, retour sur l’ascension du nationalisme hindou et son rôle central dans le paysage politique contemporain de l’Inde.

Colonisation britannique et émergence du nationalisme hindou

Avant d’entrer en profondeur dans les méandres du nationalisme hindou, il faut déjà s’intéresser au développement du sentiment identitaire en Inde, intimement lié à une quête de liberté et de souveraineté contre les colons britanniques.

Les ravages identitaires de la colonisation britannique en Inde

Il faut remonter à 1757 pour voir les premières traces de la colonisation de l’Inde par les Britanniques. C’est en effet lors de la bataille de Plassey que la Compagnie des Indes orientales est venue acter sa domination dans le pays à la suite d’une victoire militaire contre les armées du Bengale, aux dépens du Royaume de France qui en avait alors le contrôle.

L’Inde s’est ainsi retrouvée asservie par une entreprise commerciale anglaise, qui, au fur et à mesure qu’elle renforçait son emprise économique sur le pays, a fini par exercer un véritable contrôle politique et militaire sur de vastes territoires du sous-continent.

Toutefois, cette domination britannique n’a pas été sans conséquences pour les Indiens, qui ont dû subir pour cela des politiques oppressives, des injustices sociales et des abus de pouvoir. Les cipayes, soldats indiens servant dans l’armée de la Compagnie, étaient notamment soumis à de mauvaises conditions de service, à de la discrimination, à un traitement injuste par rapport à leurs homologues britanniques.

Les cipayes ont finalement décidé de se révolter en 1857, après que la Compagnie ait décidé d’enduire les cartouches en papier de graisses animales de porc et de boeuf, qu’il fallait à l’époque mordre pour pouvoir les ouvrir et ainsi charger le fusil. Une insulte grave à l’identité des Indiens musulmans et hindous, qui a conduit à de multiples refus de manipulation des cartouches, et finalement à plusieurs actes de mutinerie.

En complément de cela, un grand soulèvement populaire s’est déclenché dans le nord et le centre de l’Inde, menaçant alors grandement le contrôle britannique dans les Indes. Écrasant tant bien que mal la révolte, la désavouée Compagnie britannique des Indes a fini en 1858 par transférer son pouvoir à la Couronne, donnant ainsi naissance au Raj britannique, et à une nouvelle organisation administrative.

L’Inde s’est ainsi retrouvée divisée en deux territoires distincts. D’un côté, il y avait une Inde britannique, dirigée par un vice-roi nommé par le gouvernement britannique à Londres, lui-même assisté dans ses fonctions par un gouvernement central dans la capitale indienne, ainsi que par des administrations provinciales dans différentes régions de l’Inde. De l’autre côté, il y avait les États princiers, qui étaient quant à eux dirigés par un souverain indien reconnaissant la suzeraineté de la couronne britannique.

Si la différence d’autonomie était claire et nette, elle n’a pas vraiment eu d’impact positif sur l’identité indienne, qui s’est dans les deux cas retrouvée reléguée à l’arrière-plan. En cause, le fait que les Britanniques ont continué à vouloir faire régner partout un impérialisme culturel, politique, social et religieux dans un pays aux mœurs bien différentes de l’Angleterre.

C’est ainsi dans ce contexte de ras-le-bol des conséquences de la colonisation sur l’identité indienne qu’est apparu le nationalisme hindou.

Les racines du nationalisme hindou

Pour que naisse un sentiment nationaliste en Inde, il a déjà fallu définir ce qu’était l’identité indienne. Le problème, c’est que les premiers activistes ont surtout cherché à établir une identité hindoue, excluant par là les musulmans qui étaient alors considérés comme des envahisseurs étrangers extérieurs à la nation.

Une idée que le Royaume-Uni a contribué à propager, puisque le pays a beaucoup joué sur la rivalité entre hindous et musulmans pour accroître sa domination, rappelant notamment aux premiers qu’ils ont longtemps été sous l’emprise des seconds, en témoignent les conquêtes musulmanes dans les Indes au VIIIe siècle, les dynasties du Sultanat de Delhi du XIIe au XVIe siècle ou encore l’Empire moghol du XVIe siècle à 1857.

De quoi susciter des ressentiments au sein de la majorité hindoue envers la minorité musulmane, d’autant plus que le Royaume-Uni cherchait alors à diffuser de manière agressive le christianisme dans le pays.

Il a cependant fallu attendre les années 1920 pour que de véritables idées politiques hindoues voient le jour, grâce à Vinayak Damodar Savarkar, un ancien révolutionnaire favorable à l’indépendance de l’Inde et à sa domination par les Hindous. Dans cet objectif, ce dernier a ainsi créé en 1923 l’hindutva, qui n’est ni plus ni moins que l’idéologie politique du nationalisme hindou.

Statue de Vinayak Damodar Savarkar, située à Valdodara dans l’Etat indien du Gujarat – Snehrashmi [pseudo Wikipedia] | CC BY-SA 4.0 DEED

Concrètement, Savarkar résume l’hindutva en quatre principes majeurs

  • L’attachement à la nation, impliquant une affection physique au territoire indien (Bharat)
  • L’appartenance à une unique race, issue des Aryens
  • L’existence d’une civilisation commune, marquée par des croyances, des traditions, des valeurs et une langue partagées
  • La vision de l’Inde comme une terre sainte


Le nationalisme hindou est par conséquent un nationalisme ethnique, dans lequel la nation indienne est définie comme la majorité hindoue.

Pour autant, l’hindutva ne rejette pas directement les chrétiens et les musulmans nés en Inde, puisqu’il leur suffirait en réalité de s’approprier la culture hindoue ainsi que les symboles hindouistes pour pouvoir être acceptés au sein de cette idéologie. Une chose évidemment impossible dans les faits, ne serait-ce que parce que les terres saintes chrétiennes et musulmanes se situent en Arabie et en Palestine.

Il faut cependant bien distinguer l’hindutva et l’hindouisme, puisqu’un Indien peut très bien se rallier à la religion sans adhérer à l’idéologie politique.

En tout cas, cette dernière a pu rapidement se diffuser dans le pays, en grande partie grâce à la création en 1925 du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS). Mouvement anticolonialiste, la RSS s’était donné pour rôle de renforcer la taille et la cohésion de la communauté hindoue, en faisant prendre conscience à ses membres de la faiblesse de leur statut, ainsi que de la nécessité de mettre fin à l’humiliation liée à la colonisation britannique, mais surtout à la colonisation musulmane.

La RSS était donc marqué par une haine religieuse non dissimulée, qui rappelle inévitablement le social-nationalisme allemand promu par le Parti nazi de Hitler. Toutefois, cette idéologie d’extrême-droite n’a pas de suite connu un succès national, la faute à l’émergence dans le même temps d’un autre parti anticolonialiste.

Le nationalisme indien : une réussite de courte durée

Le nationalisme hindou a quelque peu été freiné dans son ascension par la montée en puissance dans les années 1920 d’un nationalisme indien plus inclusif. Si ce dernier a permis de grandes avancées identitaires et historiques pour l’Inde, il a toutefois été confronté à des événements ayant compromis sa viabilité à long terme.

La victoire du nationalisme indien pour l’indépendance

C’est en 1885 qu’a été créé le Parti du Congrès, dans l’objectif de permettre aux Indiens d’être mieux représentés dans la vie politique nationale face aux colons britanniques.

Si le mouvement était au départ modéré et peu influent, il a pris à partir de 1914 un virage radical grâce à un leader mondialement reconnu : Mohandas Karamchand Gandhi.

Allié en 1916 à la Ligue musulmane, le Parti du Congrès défendait comme la RSS un nationalisme en Inde, mais celui-ci se voulait interculturel, et non pas ethnique. Cette vision de la nation se rapproche ainsi de celle d’Ernest Renan, puisqu’elle est marquée par une volonté de faire cohabiter ensemble plusieurs groupes ethniques et religieux différents partageant un passé commun et un projet d’avenir.

Pour faire entendre leur vision du nationalisme, Gandhi et le Parti du Congrès décident de mener dès 1918 plusieurs boycotts et manifestations contre l’autorité britannique, et de politiser le mouvement en 1921 autour du Swaraj, c’est-à-dire autour de la recherche de l’autogouvernance. Mais conscient que la violence n’avait pas abouti en 1857, et avait même aggravé la situation, Gandhi avait décidé en amont d’utiliser une tactique politique pour le moins originale : la non-violence.

Se sont ainsi tenues à cette époque plusieurs contestations complètement pacifiques, qui se manifestaient alors par une désobéissance civile vis-à-vis des lois et des ordres britanniques, ainsi que par diverses actions symboliques comme des grèves de la faim ou des boycotts de produits britanniques.

Si ces actions ont eu le mérite de réunir dans les années 1920 le peuple indien autour d’un nationalisme inclusif, elles n’avaient pour autant qu’un impact politique limité. C’est la raison pour laquelle Gandhi décide au début des années 1930 d’aller plus loin dans sa démarche pacifiste, conscient que nombre de membres du Parti du Congrès étaient en train de perdre patience, et d’envisager sérieusement une guerre en faveur de l’indépendance.

C’est ainsi qu’a débuté le 12 mars 1930 la « marche du sel« . Concrètement, Gandhi a entamé sous les yeux du peuple indien et des journalistes du monde entier une marche de plusieurs jours à travers l’Inde, dont personne ne connaissait la destination finale. Après avoir parcouru plus de 300 kilomètres, Gandhi arrive finalement le 6 avril dans la ville côtière de Jalalpur, et décide de s’arrêter devant l’océan Indien, afin de récolter dans ses mains un peu de sel.

Si le geste peut paraître très anodin, sa symbolique est en revanche extrêmement puissante. En effet, Gandhi brise par cela le monopole d’État sur la distribution du sel devant des milliers d’Indiens, les incitant alors à faire de même dans le pays.

Gandhi pendant la Marche du sel – Auteur inconnu | Domaine public

Plus de 60 000 Indiens ont ainsi été arrêtés et mis en prison par les forces britanniques pour avoir suivi ce mouvement de désobéissance civile, le tout sans aucune résistance. Une victoire autoritaire de Londres sur le papier, mais qui s’est rapidement transformée en échec à cause de l’extrême médiatisation de l’événement. Choquée par la violence britannique contre des Indiens pacifistes, l’opinion internationale s’est rapidement tournée en faveur de Gandhi et du Parti du Congrès, faisant alors pression sur la Grande-Bretagne.

La popularité de Gandhi et de ses idées à l’international a ainsi été un facteur important pour faire céder la Grande-Bretagne, qui a accordé son indépendance à l’Inde le 15 août 1947. Toutefois, cette séparation s’est faite dans le sang, signant paradoxalement la fin du nationalisme indien.

La partition indienne : un rêve nationaliste indien brisé

Si le Parti du Congrès et Gandhi avaient l’objectif de créer avec l’indépendance un véritable nationalisme indien, ce n’était pas le cas de la Ligue musulmane, qui était au départ l’un de ses principaux alliés.

Pour ce parti politique, il était strictement impossible que la minorité musulmane puisse vivre en harmonie avec la majorité hindoue, ne serait-ce qu’à cause de la montée en puissance de l’hindutva en Inde. C’est la raison pour laquelle la Ligue musulmane voulait obtenir l’indépendance afin de créer un État musulman complètement distinct de l’Inde : le Pakistan.

Pour obtenir ce qu’il souhaitait, le président de la Ligue musulmane, Mohammed Ali Jinnah, a lancé le 16 août 1946 une « journée d’action directe« , qui a mené au massacre de milliers d’hindous à Calcutta. Conséquence, les hindous ont commencé à contre-attaquer, ce qui est venu entériner une haine sanglante entre hindous et musulmans.

Une démonstration de violence qui a payé, puisque les Britanniques n’ont eu d’autre choix que de faire accoucher dans la nuit du 14 au 15 août 1947 l’Inde et le Pakistan, ainsi que de créer des frontières entre ces deux nouveaux États. Les provinces britanniques ont ainsi été réparties selon leur majorité religieuse et leur situation géographique, tandis que les 565 États princiers ont quant à eux dû prendre la lourde décision de rejoindre ou l’Inde ou le Pakistan, débat se résumant finalement à choisir l’hindouisme ou l’islam.

Le problème, c’est que cette répartition territoriale ne prenait pas en compte le sort des minorités religieuses. De ce fait, nombre de musulmans ont dû rejoindre en panique le Pakistan par la route ou par le train, de même que de nombreux hindous ont dû rallier en vitesse l’Inde pour éviter eux aussi une discrimination certaine.

Ce sont donc pas moins de 15 millions de personnes qui ont tenté d’émigrer vers l’Inde ou vers le Pakistan pour survivre, le tout dans un chaos monumental, puisque chaque convoi de musulmans était attaqué par les hindous et vice-versa. Au total, plus d’un million de personnes ont perdu la vie à cause de la division.

De son côté, Gandhi s’opposait fermement à la partition de l’Inde, mais n’a pas vraiment eu le temps de développer sa pensée, puisqu’il fut assassiné en 1948 par un extrémiste hindou du RSS qui le jugeait trop favorable aux Indiens musulmans.

Cet événement a symboliquement signé la fin du rêve nationaliste indien, même si le Premier ministre de l’Inde Jawaharlal Nehru, autre figure majeure de l’indépendance et du Parti du Congrès, a tenté de poursuivre cet objectif jusqu’à sa mort en 1964.

L’essor du nationalisme hindou : de la marginalisation à la domination politique

Le grand gagnant de cette désillusion autour du nationalisme indien a incontestablement été le nationalisme hindou. D’abord rejeté, le mouvement a finalement gagné en popularité jusqu’à pleinement être représenté aujourd’hui par Narendra Modi à la tête de l’Inde. Cette montée en puissance s’accompagne toutefois d’inquiétudes légitimes quant au futur du mouvement.

Une ascension stratégique au gré des opportunités politiques

Si Nehru a pu faire illusion jusqu’à sa mort en 1964, c’est parce que les partisans du nationalisme hindou étaient globalement très désorganisés et ne pouvaient alors constituer une vraie alternative politique au Parti du Congrès. Par ailleurs, le fait qu’un de ses adhérents ait assassiné Gandhi n’a pas aidé à légitimer le mouvement.

Toutefois, malgré une situation délicate, le nationalisme hindou a pu compter pendant vingt ans sur un élément systémique salvateur : la haine contre la communauté musulmane, qui, si elle a faibli depuis la partition et le départ de centaines de milliers de musulmans, est tout de même restée bien vive dans les esprits hindous.

C’est ainsi qu’a pu se développer tranquillement à partir de 1951 sous l’influence de membres du RSS le Bharatiya Jana Sangh (BJS), un parti politique nationaliste hindou en faveur d’un durcissement des positions indiennes vis-à-vis des musulmans indiens et du Pakistan.

Une position qui a fini par rencontrer un certain succès, puisque le BJS récolte à l’occasion des législatives de 1967 pas moins de 35 sièges sur les 518 de la Lok Sabha, la chambre basse du Parlement indien. Un succès certes relatif, mais encourageant face au déclin du Parti du Congrès, lié d’une part à son incapacité à résoudre les problèmes économiques et sociaux du pays, et d’autre part aux scissions et divisions internes.

Face à l’impopularité du parti hégémon, le BJS et son idéologie d’extrême droite décide en 1975 de fusionner avec plusieurs partis de gauche et de droite modérée pour former la coalition du Janata Party. L’objectif est clair : permettre à l’opposition indienne de se faire davantage entendre vis-à-vis d’une population de plus en plus agacée par le parti au pouvoir.

Cette irritation atteint son paroxysme à partir du 25 juin 1975, puisque la Première ministre indienne Indira Gandhi, jugée coupable de fraude électorale par la Cour suprême, décide de déclencher l’état d’urgence dans le pays pour ne pas avoir à démissionner. Libertés publiques et élections se retrouvent ainsi suspendues de manière complètement injuste, ce qui conduit logiquement le Janata Party et le BJS à gagner en popularité.

En conséquence, les élections législatives qui ont suivi la fin de l’état d’urgence en 1977 ont donné une large victoire au Janata Party, qui s’est donc retrouvé au pouvoir pour la première fois depuis l’indépendance. Toutefois, les trop fortes divergences politiques entre le BJS et le reste de la coalition rendaient impossible l’application d’une politique cohérente, ce qui a conduit en 1980 à la dissolution de la Lok Sabha, et au retour au pouvoir du Parti du Congrès.

Par la suite, des membres du RSS exclus du Janata Party ont décidé de recréer en 1980 une nouvelle aile politique pour propager l’idéologie nationaliste hindoue : le Bharatiya Janata Party (BJP).

Jusqu’au début des années 1990, le BJP avait surtout la réputation d’être un parti politique violent, à la fois dans ses propos et dans ses actes, encourageant par exemple les émeutes communautaires. Il s’est notamment montré très virulent dans les années 1980 pour forcer la destruction de la mosquée de Babri, située dans la ville d’Ayodhya, que les hindous considèrent comme la ville de naissance du dieu Ram. Bilan : des milliers de morts, mais un gain de cause pour le BJP, qui a pu se réjouir de la démolition de la mosquée le 6 décembre 1992.

Si la stratégie du BJP était moralement discutable, il n’empêche qu’elle a contribué à lui faire gagner fortement en popularité sur une décennie, lui permettant ainsi d’être vraiment considéré au début des années 1990 comme le parti protecteur des hindous contre les musulmans.

Mais cette tactique agressive avait de nombreuses limites, à commencer par l’incapacité de convaincre une opposition politique et un électorat plus modéré, pourtant indispensables au BJP afin d’arriver au pouvoir contre le Parti du Congrès.

C’est la raison pour laquelle le BJP a décidé d’opter à partir de 1993 pour une stratégie de dédiabolisation du parti, afin de banaliser son discours dans une société indienne alors plutôt sceptique vis-à-vis de sa légitimité à mener une politique pérenne.

Une stratégie une nouvelle fois payante, puisque le BJP a pu globalement tenir les rênes du pays de 1996 à 2004, de manière assez instable, et de 2014 à aujourd’hui, de façon bien plus solide. Un renforcement permis par l’adhésion en 1998 à l’Alliance démocratique indienne (NDA), une coalition composée actuellement de 29 partis. En tout cas, avec plus de 180 millions de membres en 2022, le parti nationaliste a clairement réussi à séduire une société majoritairement hindoue en jouant sur une préférence nationale manifestement plus attirante que la politique inclusive du Parti du Congrès.

Le nationalisme hindou contemporain : RSS, Narendra Modi et menace envers la laïcité et la démocratie

Aujourd’hui, le nationalisme hindou repose sur deux éléments centraux : la RSS et le Premier ministre Narendra Modi.

La RSS tout d’abord est disséminée dans l’ensemble de l’Inde, d’une part pour encadrer les quartiers et les villages, mais aussi pour propager un enseignement idéologique aux habitants, notamment dans les écoles. Plus de 30 000 établissements sont ainsi gérés par la branche éducative du RSS, et reçoivent donc quotidiennement ou presque la propagande nationaliste hindoue.

Défilé du groupe « Jeunesse » de la RSS pour la Durga Puja, fête hindouiste, le 13 octobre 2013 – Daniel Villafruela | CC-BY-SA 4.0 Deed

Plus globalement, la RSS est au centre du Sangh Parivar, qui est une famille d’organisations défendant les principes et les valeurs de l’Hindutva.

Plusieurs organisations sont ainsi affiliées à la RSS, parmi lesquelles le BJP, mais également le Bharatyia Kishan Sangh, un organe agricole de huit millions de membres, et le Bharatyia Mazdoor Sangh, un syndicat de travailleurs composé de dix millions de membres. Évidemment, la RSS a pour but de faire gagner de nouveaux adhérents à ces organisations au travers de la diffusion de la propagande nationaliste hindoue.

La RSS a donc une importance considérable dans la politique indienne, en témoigne le fait qu’elle a fait émerger le Premier ministre indien actuel : Narendra Modi.

Engagé très jeune en faveur du RSS, Narendra Modi a ensuite progressivement grimpé les échelons, passant de secrétaire général du BJP à ministre en chef de l’État du Gujarat de 2001 à 2014, avant d’obtenir le prestigieux poste de Premier ministre.

Si Narendra Modi s’est fait remarquer comme figure emblématique du nationalisme hindou, c’est parce qu’il a réussi en l’espace de dix ans à pérenniser et à dédiaboliser cette idéologie dans ses formes les plus extrêmes.

En effet, le Premier ministre a adopté au cours de ses différents mandats une politique défendant ardemment un suprématisme hindou, au détriment par cela du sort de la minorité musulmane, qui représente pourtant 14% de la population indienne.

Plusieurs amendements, règlements et lois polémiques sont ainsi passés ces dernières années, à commencer par l’abrogation en 2019 du statut autonome de l’État majoritairement musulman du Jammu-et-Cachemire, en faveur d’une nouvelle administration par un gouverneur nommé par New Delhi.

Aussi, en 2019, il a été décidé que les réfugiés de confession musulmane en provenance de l’Afghanistan, du Bangladesh ou encore du Pakistan ne pouvaient plus recevoir la nationalité indienne, contrairement par exemple aux réfugiés hindous et chrétiens en provenance de ces mêmes pays.

Par ailleurs, depuis l’arrivée de Narendra Modi à la tête de l’Inde, la police a tendance à se montrer plus passive face aux agresseurs et milices anti-musulmanes, notamment en ce qui concerne les lynchages de fermiers musulmans accusés de « terrorisme de la vache », considérée comme un animal sacré par les hindous.

Face à ces comportements discriminants, il est intéressant d’interroger les rapports du nationalisme hindou avec la démocratie.

Fondamentalement, les nationalistes hindous ne sont pas opposés au régime démocratique, pour la simple raison qu’il va dans leur sens pour le moment. Avec 352 sièges sur 543 obtenus en 2019 à la Lok Sabha, la NDA et Narendra Modi disposent d’une majorité absolue, et d’un assentiment global de la population indienne envers leurs idées.

Pour autant, la démocratie indienne est jugée comme ethnique et illibérale, d’une part car les musulmans sont considérés dans le pays comme des êtres inférieurs, et d’autre part car l’opposition politique est complètement écrasée en raison des moyens financiers colossaux du BJP et de la domination sans partage exercée par le pouvoir sur les médias indiens.

Aujourd’hui, Narendra Modi est considéré comme un national-populiste, cherchant à mettre l’accent sur les intérêts de la majorité hindoue, et à promouvoir plus globalement les valeurs culturelles et traditionnelles de cette dernière. Le Premier ministre n’est donc pas directement un danger pour la démocratie indienne. La RSS en revanche en est un.

En effet, l’idéal d’une « Akhand Bharat » promu par la RSS est souvent perçu comme un projet expansionniste rappelant les aspirations territoriales du nazisme. Cette vision d’une Inde unifiée englobant des territoires au-delà des frontières actuelles du pays suscite des inquiétudes quant à ses implications géopolitiques et sociales.

La notion de créer une « race pure » est également alarmante et évoque les idées discriminatoires et eugénistes associées au national-socialisme allemand.

Il est crucial pour la société indienne de rester vigilante et de limiter l’influence du RSS afin de prévenir toute dérive vers un nationalisme extrême et dangereux pour la démocratie et les droits de l’homme.

Quelques liens et sources utiles :

Christophe Jaffrelot, L’Inde de Modi : national-populisme et démocratie ethnique, Fayard, 2019

Walter Andersen, Shiridhar D. Damle, Messengers of Hindu Nationalism: How the RSS Reshaped India, C Hurst & Co Publishers Ltd, 2019

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