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Niger : vers une conciliation régionale avec la CEDEAO ?

Au Niger, après le départ de la France, le temps de la condamnation de la junte est terminée, place maintenant à la conciliation.
A400M lors du désengagement au Niger - Ministère des Armées | Licence ouverte 2.0
A400M lors du désengagement au Niger – Ministère des Armées | Licence ouverte 2.0

Le 22 décembre 2023 marque la fin de 10 ans de présence des militaires français au Niger, dans le cadre de la lutte contre le djihadisme.

Après l’arrêt de l’opération Barkhane au Mali en novembre 2022 et l’évacuation des forces spéciales au Burkina Faso début 2023, ce nouveau désengagement constitue une nouvelle déconvenue pour la France dans cette région d’Afrique de l’Ouest, également appelée « zone des trois frontières« , où sévissent plusieurs groupes terroristes affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique.

Coup d’Etat et ressentiment anti-français au Niger

Dans plusieurs États de la région, le désengagement militaire français coïncide avec des épisodes de renversement politique. Au Niger, ce phénomène s’est manifesté le 26 juillet dernier, lorsque des éléments de la garde présidentielle, sous le commandement du président élu démocratiquement en février 2021, Mohamed Bazoum, l’ont destitué.

Quelques instants après le coup d’État, les instigateurs militaires ont exprimé leur intention de gouverner sous l’égide du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP). Cette entité nouvellement formée invoque les défis économiques, sociaux et sécuritaires croissants pour justifier son acte. En riposte, le ministre des Affaires étrangères, Hassoumi Massaoudou, un allié de Bazoum, a revendiqué la présidence par intérim, encourageant les citoyens et les forces armées à s’opposer à cette action, une incitation qui ne s’est pas concrétisée.

Après deux jours de négociations, le général Abdourahamane Tiani, ancien chef de la garde présidentielle, s’est proclamé leader du pays. Quatre jours après le coup d’État, le 30 juillet, une manifestation soutenant la junte militaire s’est tenue devant l’ambassade française à Niamey, se transformant rapidement en une protestation contre la présence française en tant que puissance coloniale historique. Lors de cette mobilisation, des affiches exprimant une sympathie envers le groupe Wagner et des déclarations favorables à ce dernier ont été observées, notamment de la part d’Evgueni Prigojine, ancienne figure emblématique de Wagner, qui a décrit le renversement comme une « lutte contre le colonialisme« .

Les tensions bilatérales ont atteint leur apogée en août, lorsque la junte a annoncé l’annulation des accords de coopération militaire avec Paris et l’expulsion de l’ambassadeur français. Plus tard, en décembre, le Niger a également annoncé son retrait du G5 Sahel, une coalition régionale conjointe avec la France visant à contrer les factions djihadistes.

Réactions régionales face à la junte au Niger

La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), présidée par le Nigeria, avait initialement envisagé une opération militaire en réponse au coup d’État, accordant un délai d’une semaine aux instigateurs pour restaurer la stabilité. Cependant, face à la réticence de plusieurs États membres concernant l’engagement militaire, la CEDEAO a plutôt choisi d’instaurer des sanctions économiques sévères.

Cette démarche a été parallèlement adoptée par la France, qui a gelé son assistance au développement dès le 29 juillet, ainsi que par l’Union européenne et les États-Unis. Ces mesures restrictives ont gravement affecté la population nigérienne, déjà parmi les plus démunies au monde, avec une prévalence de l’insécurité alimentaire touchant plus de 3 millions de citoyens avant le renversement, selon le Programme alimentaire mondial des Nations Unies.

Cette crise s’est intensifiée avec la fermeture des passages frontaliers, entravant l’acheminement d’aides alimentaires essentielles vers cette nation enclavée. De plus, l’interruption des échanges frontaliers avec les pays voisins a privé le Niger de 70 % de son approvisionnement énergétique, initialement fourni par le Nigeria.

Lors d’une réunion au Nigeria le 10 décembre, les États membres de la CEDEAO ont esquissé une trajectoire vers une levée progressive de ces sanctions économiques. Néanmoins, l’alliance ouest-africaine conditionne cet éventuel assouplissement à un retour rapide des civils à la gouvernance, après une période transitoire limitée orchestrée par les protagonistes militaires.

L'emblème de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest | Lil Tabascan - Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0
L’emblème de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest – Lil Tabascan | Creative Commons

Après la condamnation, vient la conciliation

Après des mois de bras de fer, plusieurs États affichent leur volonté de renouer avec les autorités de transition. Dernier en date, le Maroc, qui le samedi 23 décembre a reçu à Marrakech le chef de la diplomatie nigérienne, Bakary Yaou Sangaré, ainsi que ses homologues du Mali, du Burkina Faso et du Tchad. Une initiative rare depuis que ces quatre pays ont connu un changement de dirigeant, notamment Bamako, Ouagadougou et Niamey, mis au ban de la communauté internationale depuis qu’ils sont dirigés par des putschistes.

L’objectif du Maroc : lancer une initiative Atlantique « pour favoriser l’accès des États du Sahel à l’océan Atlantique. Nous proposons le lancement d’une initiative à l’échelle internationale » ajoutant que « le Maroc est prêt à mettre à leur disposition ses infrastructures routières, portuaires et ferroviaires pour soutenir cette initiative« , explique un communiqué de l’agence marocaine de presse, la MAP.

Interrogé par la télévision Medi1 TV, le ministre nigérien des affaires étrangères, Bakary Yaou Sangaré, a ajouté que cela serait accompagné de « facilités » en matière de taxes « à l’importation et à l’exportation« . Le ministre s’est félicité de l’attitude du royaume : « Le Maroc ne veut pas faire les choses à notre place, ce n’est pas comme tous les autres pays qui viennent avec des projets tout faits. » Une allusion à peine voilée aux aides au développement fournies par les Occidentaux, et en particulier français. Le Niger mise sur cet accord pour redynamiser son économie.

Sur le plan diplomatique, le 6 décembre 2023, l’ONU a reconnu la junte militaire au pouvoir comme le gouvernement légitime, ce qui la réapprouve à l’ONU et lui assure sa représentation diplomatique. En janvier 2024, une délégation de la CEDEAO va venir à Niamey pour rouvrir les discussions afin de rétablir la coopération entre le Niger et l’organisation régionale. Enfin, sur le plan politique du pays, la junte a affirmé, en décembre, réussir sa transition dans 15 à 18 mois, ce qui respecte le délai de 3 ans initialement annoncé le 26 juillet et permet à la population d’entretenir l’espoir d’un gouvernement qui tient ses promesses.

Ces premiers pas font naître un sentiment d’espoir au Niger, mais il est essentiel de conserver une approche prudente et réaliste. L’économie du Niger s’effondre, et les groupes djihadistes poussent la population nigérienne, dans le sud-ouest du pays, à se réfugier à Niamey, augmentant le chômage et la pauvreté. La population manifeste sa colère contre la junte qui avait mené son putsch pour rétablir les acquis sécuritaires au Niger.

Quelques liens et sources utiles

Le dessous des cartes – Afrique : comprendre les coups d’État – Une leçon de géopolitique | Arte septembre 2023

Nicolas Normand : Le grand livre de l’Afrique – Chaos ou émergence au sud du Sahara ? – Préface d’Erik Orsenna | Librairie Deyrolles, juin 2022

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