La Chine est l’usine du monde, malgré les contraintes que cela implique ! Délocalisation d’usines, subventions d’un gouvernement autoritaire, transport de marchandises d’un bout à l’autre du globe, travail des enfants, travail forcé, non-respect des droits de l’Homme… une longue liste d’énormités qu’aucun Français ou Française ne serait capable d’assumer, mais qui pourtant font partie intégrante de notre quotidien.
Le gouvernement français et l’Union européenne ont leur part de responsabilité dans cette situation, mais les consommateurs aussi. Il est facile de considérer que ce sont les politiques, les puissants, les riches, ou [insérer n’importe quelle typologie de personnes qui ne nous concerne pas] qui sont responsables de ce problème. Chaque consommateur qui accepte d’acheter un produit à 1€, au lieu d’un produit équivalent à 2€ fabriqué en France, pour des raisons économiques, sans prendre en compte que le produit provient d’un pays à l’autre bout du monde, simplement pour maximiser son pouvoir d’achat, ne fait plus preuve de raison.
Évidemment, il y a mille raisons d’acheter un produit moins cher. Cependant, il est aujourd’hui temps de penser à la privation. Arrêtons de vivre de manière individualiste et replaçons le collectif au centre de nos sociétés.
Annecdote de la brosse à dent
Il y a peu, dans un distributeur populaire de l’Ouest de la France, j’étais à la recherche d’une nouvelle brosse à dents. Mon premier choix s’est porté sur les brosses à dents en bois ou bambou, pour éviter d’acheter un énième produit en plastique.
Quelle amusante découverte ! Ces produits à vocation écologique, dans leurs beaux emballages en carton, tout tachés de vert, sont produits soit en Inde soit en Chine. Et pour les produits chinois, le « Made in China » n’étant pas vendeur, il est de plus en plus remplacé par « Made in P.R.C » pour « People’s Republic of China« , soit la République populaire de Chine.
Mon achat étant nécessaire, je continue mon exploration des autres produits plus conventionnels. Aucun dans le rayon de ce distributeur n’est produit en Union européenne. Il est donc techniquement impossible, en France, dans une grande surface (de campagne), d’acheter une brosse à dents fabriquée en France ou même en Union européenne. Sommes-nous devenus aussi addicts aux produits manufacturés à moindre coût ?
Pourquoi les produits en France sont plus chers ?
En France, tout coûte plus cher à produire, et ce pour de multiples raisons. La première est que tous les travailleurs en sont responsables : notre niveau de vie et notre volonté d’être toujours mieux payés. L’augmentation du SMIC nécessite des surcoûts pour les entreprises, qu’elles doivent répercuter sur les prix des produits et services qu’elles vendent. Il en va de même pour toutes les augmentations de salaire.
La distribution de dividendes par milliards aux actionnaires nécessite que l’entreprise génère des bénéfices importants et qu’elle augmente ses marges, pour toujours satisfaire les attentes des actionnaires, qui attendent une valorisation positive de leurs placements chaque année.
Les impôts et cotisations qui incombent aux entreprises en France sont importants. Il est nécessaire de les prendre en compte dans le prix des produits qui sont vendus. Dans cette même veine, il existe une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 20% sur la majorité des produits, ce qui, de facto, rend les prix plus élevés qu’ailleurs.
Ces quelques exemples n’expliquent pas entièrement pourquoi tout est plus cher à produire en France. Ce n’est pas un article d’économie ; je vous invite pour cela à vous référer au dossier de 60 millions de consommateurs ou encore à celui de l’INSEE sur le coût horaire du travail en France.
Dans tous les cas, ces raisons ont poussé les industriels à délocaliser massivement à partir des années 1990, ce qui a multiplié notre dépendance à la Chine par 10 entre 1995 et 2014.
La surpuissance chinoise dans l’envoi de colis
La Chine avait de multiples avantages pour accueillir les entreprises qui délocalisaient : un coût du travail très bas, des conditions salariales minimales, des impôts relativement faibles et surtout un gouvernement complaisant. Ces éléments tendent à se réduire, notamment en ce moment, où des vagues de délocalisation ont lieu en Chine vers des pays encore plus avantageux, comme le Vietnam.
Un autre point peu connu et pourtant essentiel sur la prédominance des produits chinois dans le monde est lié aux règles postales internationales. La Chine profite grandement de son statut pour inonder le monde de ses produits sans en payer le coût logistique. Cette situation a fait apparaître de nombreux sites e-commerce comme Temu, Shein ou AliExpress, qui permettent d’acheter des produits (souvent inutiles) à bas prix, avec des frais d’envoi plus faibles que si on commandait en Union européenne.
L’histoire de la poste dans le monde
Pour comprendre cette surpuissance chinoise, un petit retour dans l’histoire de la poste s’impose, et ça tombe bien, c’est notre domaine chez Revue Histoire !
Avant l’arrivée du timbre postal, l’envoi avait comme spécificité d’être payé par le destinataire et non par l’expéditeur. Cette situation réduisait drastiquement les envois, tant la pauvreté était grande. L’envoi postal était donc une affaire de riches.
L’invention du timbre postal date de 1840 au Royaume-Uni. Il s’intègre dans une importante réforme postale britannique, notamment pour permettre le développement du commerce, des échanges et surtout de l’instruction du peuple. Cette réforme, mal perçue par l’administration postale, ne voyant que le manque à gagner d’une telle initiative, met trois ans à entrer en vigueur. C’est donc le 6 mai 1840 que le timbre à 1 penny et l’enveloppe de port payé sont officiellement lancés. À partir de ce moment, le volume de correspondances s’accroît chaque année. Une belle preuve qu’il ne faut pas toujours voir l’innovation et la réforme comme une marche en arrière…
Cette réforme est un tel succès que d’autres pays imitent le système britannique. C’est notamment le cas de la France en 1849, alors que la France souhaitait initier une réforme similaire dès 1837, mais bloquée par une énième administration récalcitrante…
Nous sommes encore loin des échanges mondiaux, tant il est difficile d’envoyer un message d’un pays à un autre. En effet, les pays doivent s’entendre et signer des traités pour que les échanges puissent être réalisés. De là naît le projet de l’Union Postale Universelle.
L’Union Postale Universel (U.P.U)
Ce traité a pour vocation de normaliser les envois entre les pays, avec notamment un prix unique. Ainsi, dans le cadre d’un envoi entre la France et les États-Unis, l’administration des postes françaises réceptionne le paiement et s’occupe de distribuer la lettre jusqu’aux États-Unis. Une fois la lettre arrivée aux États-Unis, elle est prise en charge par l’administration postale locale, mais « gratuitement ».
Les pays doivent faire en sorte d’avoir une balance d’envois et de réceptions uniforme pour ne pas perdre d’argent, et même d’avoir davantage d’envois pour être bénéficiaires. Ce système a été conçu en partant du principe qu’une lettre envoyée allait automatiquement générer une autre lettre en réponse, équilibrant ainsi la balance. Cependant, cela ne s’est pas toujours vérifié, et c’est le premier problème de ce système.
Malgré tout, ce système a su perdurer et faciliter les envois postaux internationaux.
Évolution de l’U.P.U en 1999
L’U.P.U. ajoute une règle en 1999 qui intègre le pouvoir d’achat des populations dans son calcul du coût d’un envoi international et crée une liste des pays du monde. Cette règle a pour objectif de rendre l’envoi postal universel plus équitable. De cette manière, un envoi de la France vers un pays africain, par exemple, coûtera beaucoup plus cher qu’un envoi d’un pays africain vers la France. C’est une règle équitable qui fait payer la part des plus pauvres aux riches.
C’est là qu’intervient la grande problématique : comment positionne-t-on les pays dans cette nouvelle liste ?
Cette liste se compose de quatre groupes :
- Groupe 1 : Les pays développés avec un pouvoir d’achat élevé.
- Groupe 2 : Les pays en développement avec un pouvoir d’achat moyen.
- Groupe 3 : Les pays en développement avec un pouvoir d’achat faible.
- Groupe 4 : Les pays les moins avancés avec un pouvoir d’achat très faible.
Le placement des pays dans ces groupes détermine le coût des envois postaux.
| Groupe 1 | Groupe 2 | Groupe 3 | Groupe 4 |
|---|---|---|---|
| Allemagne | Bahamas | Afrique du Sud | Algérie |
| États-Unis | Bahrain | Argentine | Albanie |
| Australie | Chypre | Chili | Afghanistan |
| Belgique | Estonie | Brésil | Cap-Vert |
| Canada | Hongrie | Cuba | Inde |
| Danemark | Malte | Ukraine | Indonésie |
| Espagne | Nouvelle-Zélande | Russie | Honduras |
| Finlande | Singapour | Chine | Indonésie |
| France | Slovaquie | Panama | Iraq |
| … | … | … | … |
La Chine a cassé le système !
Les règles postales chinoises sont bien moins contraignantes que les règles occidentales. Ainsi, les produits reçus de Chine sont très rarement dans des boîtes et souvent arrivent dans des états catastrophiques, simplement parce que la gestion des colis ne se fait pas dans les mêmes conditions.
Elle profite d’une main-d’œuvre peu coûteuse et de ces règles d’envois internationaux indulgentes. Rappelons tout de même que la Chine est la deuxième puissance mondiale ; comment peut-elle se trouver dans la même catégorie pour l’U.P.U que Cuba ou la Russie ?
Ainsi, notre forte demande de produits chinois crée un déséquilibre énorme, qui provoque en partie l’augmentation des prix pour tous les services de la poste en France.
Attention à vous consommateur
Les produits chinois ne sont pas pires que les autres ; de nombreux produits considérés comme très qualitatifs proviennent de ce pays : téléphone, ordinateur, télévision, outils ménagers, etc.
Cependant, acheter sur des sites comme Temu, AliExpress ou encore Alibaba, c’est prendre le risque d’acquérir un produit qui n’est pas aux normes CE, qui a certainement été produit dans des conditions particulièrement inhumaines, ou du moins dans un endroit où vous n’enverriez pas vos enfants faire un stage.
Aussi, la majorité des produits sur ces sites (et c’est le même sujet sur Amazon) ne servent à rien. Possons-nous la question : est-ce que ce bout de plastique vaut vraiment la peine de traverser le monde pour finir dans notre poubelle ?
Le marketing est puissant, il donne l’impression que tous les produits sont nécessaires, mais ce n’est pas le cas. Limitons ce type d’achat, c’est la meilleure manière de s’enrichir et de réduire l’influence des multinationales sur nous.
Quelques liens et source utiles
Alex Wang, La délocalisation sino-asiatique par « débordement », Revue Conlits, 2023
Tev – Ici Japon, La poste chinoise : pourquoi c’est pas cher ?, YouTube
Les Etats-Unis annoncent leur retrait de l’Union postale universelle, Le Monde avec AFP
El Mouhoub Mouhoud, Mondialisation et délocalisation des entreprises, La Découverte, 2017
Valérie Niquet-Cabestan, La puissance chinoise en 100 questions, Tallendier, 2017
Collectifs d’auteurs, Le dossier chinois – Portrait d’un pays au bord de l’abîme, Cherche Midi, 2022
