Au cours de la dernière décennie, la France a joué un rôle central dans la région du Sahel, vaste zone africaine comprenant, au sens restreint, le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal et le Tchad. 5500 kilomètres de longueur et 3 millions de mètres carrés sur lesquels l’Hexagone a souhaité s’engager militairement et politiquement, dans l’espoir de contrer la menace terroriste, de promouvoir la stabilité et de soutenir le développement économique au Sahel.
Le problème aujourd’hui, c’est que les différents coups d’État qui se succèdent en Afrique de l’Ouest laissent penser que la France a échoué dans sa mission, en étant incapable de surmonter définitivement les obstacles politiques que sont l’insécurité et les crises humanitaires. Entre défis structurels et erreurs stratégiques, retour sur les raisons pour lesquelles l’intervention française au Sahel est souvent affublée du lourd qualificatif d’échec.
De la réussite de Serval à l’échec de Barkhane au Sahel
La saga militaire française en Afrique sahélienne ne peut être bien comprise sans un retour historique sur les événements qui ont touché la région ces dernières années, avec le Mali en première ligne.
La quête de stabilité malienne face à l’étau djihadiste (2012)
Le 25 janvier 2012, au Mali, une alliance entre des rebelles touaregs et des groupes djihadistes entraîne le massacre d’une centaine de soldats maliens à Aguelhok, au nord-est du territoire. Une défaite militaire cinglante pour l’armée, qui sera loin d’être la seule, ce qui affecte de manière significative la réputation de cette dernière auprès des populations locales.
Face à ces débâcles, les militaires maliens pointent rapidement du doigt le président Amadou Toumani Touré, qu’ils accusent d’avoir indirectement contribué au massacre de l’armée, en ne donnant pas aux soldats les armes et les munitions nécessaires pour se débarrasser des djihadistes.
Il ne fut donc pas très étonnant de voir le président malien être renversé le 22 mars 2012 par des militaires maliens. L’instabilité politique s’est donc emparée du pays, et il aura fallu attendre le 12 avril 2012 pour voir le président de l’Assemblée nationale, Dioncounda Traoré, être nommé président de la République malienne par intérim.
Mais malgré ce changement politique, les djihadistes ont réussi à obtenir au cours de l’année 2012 le contrôle des 2/3 du territoire malien. C’est dans ce contexte précis que Traoré demande l’aide de la France pour mettre définitivement un terme à la menace djihadiste sur les institutions démocratiques maliennes.
L’opération Serval entre victoire éclair et défis persistants (2013)
Serval est donc lancée le 11 janvier 2013, alors que le président François Hollande avait pourtant annoncé un mois avant que la France n’interviendrait pas seule au Mali. Un retournement de situation d’autant plus surprenant qu’il s’agit de la plus grosse opération extérieure française depuis la guerre d’Algérie. Son objectif est clair : mettre fin à l’avancée croissante des groupes djihadistes vers le sud, et plus précisément vers Bamako, qui n’était alors qu’à peine à 6 heures de route des griffes d’Ansar Eddine, AQMI ou encore MUJAO.
Pour réussir sa mission, la France décide de commencer à combattre dans les airs, en menant des raids héliportés contre les djihadistes, ainsi que des bombardements contre les lieux qu’ils occupaient alors. La tactique fait mouche, et les soldats français, ayant pris l’avantage, retournent ensuite soutenir l’armée malienne au sol.
La puissance de feu française et les années de renseignement contre les djihadistes sont dévastatrices pour ces derniers, qui subissent rapidement de lourdes pertes les forçant à reculer. Fin janvier 2013, le bilan des villes reprises est très positif, puisque Tombouctou, Gao, Ansango, ou encore Douentza ont été libérées par les soldats maliens et français.
Le succès est tel que Paris commence dès le mois de février à parler de retrait des troupes déployées à partir d’avril. Au cours du mois de septembre, le président français François Hollande affirme même avoir « gagné cette guerre ». Mais cette affirmation est-elle une réalité ou un coup de communication ?
En réalité, même si l’opération est une réussite globale, qui a notamment permis de faire se tenir sereinement des élections présidentielles en juillet-août, puis des législatives au cours du mois de novembre, il serait faux d’affirmer que Serval a éradiqué la menace djihadiste au Mali, et donc mis fin à la guerre.
Simplement repoussés, les djihadistes qui se plaisaient à prendre la lumière n’ont eu, après l’intervention française, d’autre choix que de passer dans l’ombre, ce qui a fait monter d’un cran le niveau de menace djihadiste, et poussé la France à s’adapter pour protéger le Mali, mais aussi plus globalement le Sahel.
Vers une guerre d’usure avec l’opération Barkhane (2014)
C’est ainsi que le 1er août 2014, l’opération Barkhane se substitue à l’opération Serval. Très audacieuse, elle inclut désormais dans le champ d’intervention français le Mali, le Burkina Faso, la Mauritanie, le Niger et le Tchad. Comme pour Serval, l’objectif est de mener une chasse antiterroriste afin de mettre fin à l’instabilité politique qui ronge ces cinq pays. Un projet louable, mais qui va rencontrer un problème de taille dès le départ : Comment pacifier l’Afrique de l’Ouest et maintenir l’ordre avec à peine 5000 soldats français ?
Évidemment, il était impossible pour Paris de sécuriser toutes les populations civiles sur une zone de plus de 5 millions de km2. C’est pourquoi il a été décidé que Barkhane ciblerait principalement les têtes pensantes du djihad sahélien, dans l’espoir de pouvoir désorganiser ensuite l’entièreté du mouvement. Mais là encore, tout ne s’est pas passé comme prévu.
Si Paris a rapidement fait tomber de grosses têtes, elles ont à chaque fois été remplacées par des leaders toujours plus jeunes et puissants, dont la haine envers la France n’avait d’égal que leur détermination grandissante. De plus, éliminer les têtes pensantes n’a pas désolidarisé le mouvement djihadiste, mais plutôt entraîné un phénomène de fragmentation des groupes, qui a juste rendu plus difficile qu’elles ne l’étaient déjà les négociations de cessez-le-feu.
La stratégie française au Sahel a donc tourné au vinaigre avec Barkhane. Symbole de l’incapacité française à mettre fin à une guerre devenue usante, l’opération donne vite une très mauvaise image aux populations sahéliennes, qui a eu des conséquences importantes près de dix ans plus tard avec l’arrivée massive des putschistes en Afrique de l’Ouest.
Erreurs françaises au Sahel, de la guerre à l’oubli du développement
Les récents putschs au Mali, au Burkina Faso ou encore au Niger sont le paroxysme de l’échec français au Sahel. L’image de la France est au plus bas dans cette région, et cela s’explique autant par des facteurs militaires que par des facteurs économiques et sociaux.
Les conséquences directes de l’échec de Barkhane
Avançons dans le temps jusqu’à la date du 24 mai 2021. Ce jour-là, l’armée malienne mène un coup d’État contre le président Bah N’Daw, qui avait lui-même remplacé neuf mois avant grâce à un putsch Ibrahim Boubacar Keïta, notamment en poste aux débuts de l’opération Barkhane. Un nouveau gouvernement putschiste est alors mis en place, et ce dernier se retrouve sans surprise à devoir chercher auprès de la population la légitimité qu’il n’a pas obtenu dans les urnes.
Il apparaît alors évident pour la junte que le meilleur moyen de se faire bien voir est de trouver un coupable à la menace djihadiste qui terrorise la population, et c’est ainsi que la France est apparue comme une évidence.
L’incapacité française à mettre fin à la guerre est en effet visible par tous les Maliens, et la présence de troupes françaises dans ce pays est à ce moment précis très contestée, puisque Barkhane était accusé d’être impliqué dans une frappe aérienne ayant tué 19 civils en janvier 2021.
Fédérer la population malienne autour du sentiment anti-français n’a donc pas été très difficile pour la junte, et c’est ainsi que cette dernière a fait échec et mat contre Paris, qui s’est retrouvé acculé par une grosse partie de la population malienne, l’accusant au choix d’ingérence néocoloniale ou de manque d’implication dans la démocratisation des régimes sahéliens. C’est ainsi que la France a été contrainte d’accepter l’expulsion de son ambassadeur en janvier 2022, puis le retrait des soldats français au Mali le 15 août, et enfin la fin de l’opération Barkhane le 9 novembre.
Une situation cauchemardesque pour la diplomatie française, et d’autant plus frustrante que ce french bashing a ensuite été reproduit au Burkina Faso et au Niger après les différents putschs.
Tout cela aurait toutefois peut-être pu être évité si la France n’avait pas autant délaissé le volet économique et social au Sahel.
Une mauvaise approche socio-économique
Avec le recul, il semble évident que la France s’est beaucoup trop axée au Sahel sur la lutte anti-terroriste pour mettre fin à la crise sécuritaire. Focalisé sur le djihadisme, Paris n’a pas réalisé que le problème n’était pas que militaire, mais aussi socio-économique.
Pour parler de manière plus concrète, le Sahel c’est :
- 40% de la population sous le seuil de pauvreté
- Un niveau de développement extrêmement faible
- 2.5 millions d’enfants non scolarisés
- Une population dont la moitié est âgée de moins de 30 ans
Les conditions de vie sont donc globalement mauvaises, et cette situation a créé un sentiment très fort de défiance entre les très jeunes populations sahéliennes et leurs autorités nationales, jugées inefficaces.
Mais alors que les populations rêvaient de justice sociale, la France est venue au Sahel perfuser, presque se substituer aux autorités nationales, ce qui a conforté ces dernières dans leurs choix politiques, et écarté toute remise en question de leur part.
Sans aller jusqu’au terme d’ingérence, il est toutefois clair que Paris a pris beaucoup de responsabilités et de place au Sahel, malheureusement pas toujours à bon escient. Pourtant, l’approche qu’elle a tentée dans cette région était prometteuse, puisqu’elle s’appuyait sur la stratégie dite 3D : Diplomatie – Défense – Développement. Problème : la France a toujours laissé le développement de côté au Sahel, au profit justement de la défense.
Certes, selon Oxfam France, la combinaison des aides françaises au Burkina Faso, au Mali, à la Mauritanie, au Niger et au Tchad est passée de 272 millions d’euros en 2012 à 420 millions en 2019, soit une augmentation de 54%. Seulement, cela ne correspond qu’à 11% de l’aide totale distribuée en Afrique, proportion qui reste d’ailleurs stable depuis 2013. Il y a donc un certain décalage entre les ambitions françaises de développement au Sahel et les moyens réellement mis en oeuvre pour.
La France semble s’en être rendu compte un peu trop tard, puisqu’à l’occasion d’un sommet entre la coalition pour le Sahel et ces cinq pays en février 2021, Emmanuel Macron avait appelé à un « sursaut civil et politique » pour stabiliser la région plutôt qu’une réponse seulement militaire. Faire repasser les besoins des populations civiles au premier plan semble aujourd’hui être en effet la solution la plus évidente pour mettre fin à un conflit qui a fait fuir deux millions de sahéliens, mais encore faut-il déjà faire quelque chose dans la région pour les 13 millions de personnes ayant besoin d’une aide d’urgence et les 10,5 millions menacés gravement par la faim…
Repenser la stratégie au Sahel
Pour conclure, la situation au Sahel est particulièrement complexe, et la France a payé là-bas les conséquences d’une réflexion probablement pas assez approfondie sur les enjeux régionaux.
En se concentrant sur la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent, l’Hexagone a délaissé les problèmes fondamentaux que sont pourtant le sous-développement, la pauvreté ou encore la mauvaise gouvernance. Sa présence à rallonge dans la région, au Mali notamment, a entraîné une perte de crédibilité, qui a alimenté l’hostilité d’une large partie de la population ayant finalement repris la confiance et le soutien qu’ils avaient pourtant volontiers donné à la France au départ.
Si une intervention française au Sahel auprès des institutions, des politiques et du fonctionnement social aurait été perçu à coup sûr comme du néocolonialisme, il n’empêche que la France aurait dû déployer davantage de moyens en matière de développement dans la région, afin d’être au moins en phase avec ses ambitions au Sahel. Aujourd’hui de nouveaux acteurs semblent se subsituer à la France, comme la Russie.
L’espoir n’est toutefois pas mort, raison pour laquelle les efforts doivent être poursuivis pour trouver des solutions profitant à l’ensemble de la région sahélienne.
Quelques liens et sources utiles :
Marc-Antoine Perouse de Montclos, Une guerre perdue : la France au Sahel, JC Lattès, 2020
Rémi Carayol, Le mirage sahélien, La Découverte, 2023
Michel Galy, La guerre au Mali, La Découverte, 2013