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Mort de Prigojine : la revanche de Poutine

Le crash de l'avion privé d'Evgueni Prigojine marque la fin brutale de son règne en tant qu'oligarque russe et patron de Wagner !
Vladimir Poutine visite l'usine de restauration Concord d'Evgueni Prigojine
Vladimir Poutine visite l’usine de restauration Concord d’Evgueni Prigojine

Evgueni Prigojine, souvent cité juste après Vladimir Poutine en termes de notoriété russe, a longtemps été évoqué dans les médias occidentaux pour ses liens présumés avec Wagner. Durant l’opération spéciale en Ukraine, sa position au sein de Wagner s’est clarifiée, le plaçant comme une figure militaire majeure en Russie.

Une figure incontestablement à la botte de Poutine, mais l’enlisement de l’opération, puis les nombreux revers de l’armée russe, ont considérablement fragilisé les liens entre Vladimir Poutine et Evgueni Prigojine.

Un oligarque à la solde du Kremlin

Evgueni Prigojine, à la tête de son armée privée, Wagner, est devenu l’outil de prédilection de Poutine pour des missions extérieures délicates. La présence de Wagner sert plusieurs objectifs : saisir des capitaux, étendre les intérêts russes à l’étranger, et réaliser des opérations contestables (torture, exécutions) qu’il vaut mieux attribuer à un groupe privé plutôt qu’à l’armée russe.

Historiquement, Wagner a débuté ses interventions en Ukraine en 2014, soutenant activement les forces séparatistes dans le Donbass. Ce groupe a aussi joué un rôle aux côtés des forces russes lors de l’annexion de la Crimée. Cependant, c’est à l’automne 2015, avec l’implication des forces russes en Syrie, que les mercenaires de Wagner sont redéployés.

Dans le contexte syrien, Wagner est sollicité en appui de l’intervention militaire russe, dont la mission est de soutenir le régime de Bachar al-Assad face à l’État islamique et aux rébellions découlant du Printemps Arabe. Toutefois, malgré leur alliance, des frictions émergent entre Wagner et l’armée russe. Ces mercenaires, agissant dans la discrétion, ne voient aucune de leurs pertes officialisée. Ils sont souvent déployés pour les missions les plus périlleuses, ce qui entraîne de lourdes pertes en leur sein.

La présence russe en Syrie, via Wagner ou autre, s’inscrit dans une stratégie d’appropriation de ressources stratégiques, à l’image de ce que d’autres puissances ont entrepris au Moyen-Orient et ailleurs.

Les principales zones où sont intervenus les mercenaires russes en Syrie ces dernières années correspondent à l’Est du pays où se trouvent des champs de pétrole et de gaz. C’est aussi la région qui était contrôlée depuis 2014 par l’État islamique, qui en a été délogé par les offensives antiterroristes de l’année dernière. Même si les ressources et réserves d’hydrocarbures syriennes sont loin d’être aussi importantes que celles de ses voisins, comme l’Irak, et que la production a été pratiquement réduite à néant par la guerre, le secteur reste un enjeu stratégique, en particulier pour la Russie.

Selon la journaliste de Libération Hala Kodmani
Groupe Wagner à Mykolaivka, 2 février 2023 - 2s3m akatsiya | Creative Commons BY-SA 4.0
Groupe Wagner à Mykolaivka, 2 février 2023 – 2s3m akatsiya | Creative Commons BY-SA 4.0

Le groupe Wagner est souvent sollicité pour des missions d’escorte ou de protection de hauts dignitaires. On l’a ainsi vu au Venezuela en 2019, protégeant Nicolás Maduro durant la crise présidentielle, ou encore en Centrafrique, assurant la sécurité du président Faustin-Archange Touadéra.

Outre ces missions de protection, Wagner joue un rôle dans la déstabilisation de certaines régions, notamment en Afrique. Il est accusé de contribuer au french bashing dans les pays francophones comme le Mali. Ainsi, Wagner répond aux desiderata du Kremlin, que ce soit pour des raisons économiques, idéologiques ou politiques.

Cependant, c’est en Ukraine, dès le 24 février 2022, que Wagner démontre sa véritable puissance militaire, déployant plus de 50 000 troupes sur le terrain. Un recrutement massif est initié, y compris dans les prisons russes, consolidant la position d’Evgueni Prigojine comme un stratège militaire influent.

Je représente la société militaire privée Wagner. […] Si vous voulez sortir de prison maintenant, vous le pouvez, en échange de quoi vous devez donner six mois de votre temps pour participer à l’effort de guerre sur le front ukrainien. […] Si vous faites six mois, vous êtes libre. Mais si vous arrivez en Ukraine et décidez que ce n’est pas pour vous, vous êtes considérés comme des déserteurs, et vous êtes fusillés par le peloton d’exécution. Personne ne retourne derrière les barreaux. […] Vous demandez des garanties ? Seulement deux personnes peuvent vous faire sortir d’ici : Dieu et Allah, et ce sera dans un cercueil en bois. Moi, je vous fais sortir vivants. Mais vous ne resterez peut-être pas vivants

Evgueni Prigojine durant une campagne de recrutement dans une prise russe.

La révolution prigojine

L’intervention en Ukraine connaît des déboires dès les premières semaines. Les forces russes, repoussées sur plusieurs fronts, peinent à atteindre leurs objectifs initiaux. Confrontées à une résistance acharnée, elles subissent de lourdes pertes humaines et matérielles. La situation sur le terrain s’écarte drastiquement des prévisions des stratèges militaires.

Des tensions internes émergent, bien que le régime tente de les minimiser. À plusieurs reprises, les mercenaires de Wagner parviennent là où l’armée régulière échoue, propulsant Evgueni Prigojine sous les feux de la rampe. Fort de ces succès, Prigojine se permet d’exprimer des critiques à l’égard des autorités et des dirigeants militaires.

Des obus, il y en a. Mais il faut que des politicards, des salauds, des ordures apposent leur signature ; Un jour la Russie se réveillera et s’apercevra que la Crimée est ukrainienne. C’est une trahison directe des intérêts de la Fédération de Russie ; Pourquoi l’État n’arrive-t-il pas à défendre le pays [notamment lors de l’opération de pro Ukrainien à Belgorod, ndlr], ? ; Si tout est fait pour tromper le commandant en chef [Vladimir Poutine, ndlr], alors soit le commandant en chef vous déchirera le cul, soit ce sera le peuple russe qui sera furieux si la guerre est perdue

Quelques coups d’éclat de la part d’Evgueni Prigojine

La critique ouverte d’Evgueni Prigojine pose un défi sans précédent pour Vladimir Poutine, qui a dirigé la Russie pendant deux décennies sans opposition notable, ni véritable contre-pouvoir. Bien que Prigojine devienne une épine dans le pied du président, sa position est consolidée par les succès que ses mercenaires remportent sur un front où l’armée régulière piétine.

Toutefois, la rupture définitive entre Wagner et le Kremlin survient dans la nuit du 23 au 24 juin 2023, lorsque Prigojine orchestre une tentative de soulèvement contre le gouvernement de Poutine et les forces restées loyales au ministère de la Défense. Cette initiative est rapidement neutralisée grâce à des pourparlers orchestrés par le président biélorusse Alexandre Loukachenko. Les charges contre Prigojine sont alors abandonnées, et Wagner accepte de suspendre l’avancée de ses troupes à travers le territoire russe.

Retour à l’ordre, le chef Poutine s’impose

La soudaine fin de cette insurrection contre le régime de Vladimir Poutine suscitait des doutes. L’issue, un exil biélorusse pour Prigojine et l’incorporation des mercenaires de Wagner dans les forces régulières, semblait étonnamment clémente. Après tout, une « trahison interne », selon les termes du leader du Kremlin, ne pourrait être aisément tolérée en Russie.

Alors, quand l’avion privé de Prigojine est touché par un missile sol/air le 23 août au crépuscule, peu sont véritablement surpris – même si, étrangement, Prigojine avait affirmé être en Afrique le 21 août. Bien que les sources officielles restent silencieuses sur la cause exacte de l’accident, l’OSINT, les analyses de Xavier Tytelman et de son équipe pointent vers l’utilisation d’un missile, probablement issu d’un système Toungouska ou Pantsir.

Evgueni Prigojine voyageait à bord d’un Embraer Legacy 600 de sa propre flotte, en partance de Moscou à destination de Saint-Pétersbourg. La Russie a promptement initié une enquête sur cet incident, comme le requiert la réglementation internationale sur la sécurité aérienne. Toutefois, à l’instar du tragique crash du Vol 17 de Malaysia Airlines, on peut s’attendre à ce que les investigations indépendantes ou menées hors du cadre russe révèlent des détails plus probants concernant les circonstances de cet événement.

Ce tragique incident, survenu exactement deux mois après la tentative de rébellion de Prigojine, sert en effet d’avertissement. Il rappelle que Poutine est fermement aux commandes en Russie et qu’il ne tolère aucune menace à son pouvoir.

Quelques liens et sources utiles

Vladimir Poutine, Russie-Ukraine, deux peuples frères : Discours, Godefroy, 2022

Marat Gabidullin, Moi, Marat, ex-commandant de l’armée Wagner, J’ai lu, 2023

Santos Costa, Le groupe Wagner en Afrique : plus que des mercenaires, Kindle, 2023

Dimitri Zufferey, Wagner – Enquête au cœur du système prigogine : Enquête sur le groupe de mercenaires au service du Kremlin, Faubourg, 2023

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