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1709, l’hiver impitoyable dans le Royaume de France

L'hiver 1709 a marqué la mémoire du XVIIIe siècle. Encore aujourd'hui on le désigne comme étant un hiver de référence.
Le Lagon gelé en 1709, par Gabriele Bella, une partie de la lagune gela en 1709 à Venise | Domaine public
Le Lagon gelé en 1709, par Gabriele Bella, une partie de la lagune gela en 1709 à Venise | Domaine public

En 1709, un froid glacial s’est emparé de l’Europe. Ce grand hiver a été si rude et si sanglant que bon nombre d’hommes et de femmes ont pris la plume pour dépeindre cet épisode effroyable de la fin du règne de Louis XIV. Nous vous proposons ici de retracer les événements parmi les nombreux témoignages qui nous sont parvenus.

Un hiver historiquement froid à la cour du Roi-Soleil

Le règne de Louis XIV se déroule au sein d’une période, s’étendant du début du XIVe à la fin du XIXe siècle, appelée par les climatologues le petit âge glaciaire. Le duc de Saint-Simon, arrivé quelques années plus tôt à Versailles, se présente comme un témoin remarquable de l’hiver 1709.

Dès le début de l’année, à partir du 6 et 7 janvier, une gelée extrême s’abat sur l’Europe. Elle est si âpre que tous les points d’eau deviennent solides. Cette vague de froid est très intense.

L’eau de la reine de Hongrie, les élixirs les plus forts, et les liqueurs les plus spiritueuses cassèrent leurs bouteilles dans les armoires de chambres à feu.

Saint-Simon

Après une courte accalmie, une deuxième gelée entraîne la perte des arbres fruitiers, les jardins meurent. Les animaux disparaissent. Le désespoir est général. Les récoltes de blé sont si médiocres que le prix du pain ne cesse d’augmenter.

 Le pain enchérit à proportion du désespoir de la récolte.

Saint-Simon
Portrait de Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon, par Perrine Viger du Vigneau (1887) | Domaine public
Portrait de Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon, par Perrine Viger du Vigneau (1887) | Domaine public

Le peuple a faim et froid. Diverses émeutes se produisent et une haine grandissante, à l’encontre du roi, voit le jour.

On publie des pamphlets contre le monarque affaibli. En effet en ce début du XVIIIe siècle, Louis XIV porte sur le dos le fardeau d’un trop long règne. Le soleil ne brille plus.

Les troupes armées du roi, en pleine guerre de succession d’Espagne, périssent en raison du manque de nourriture.

Les hordes ennemies sont aux portes du territoire. La guerre se mêle aux humeurs des cieux. Les caisses du royaume s’amenuisent en raison de l’effort de guerre trop important et le peuple croule sous les impôts.

Dans la capitale, les températures avoisinent les -20°C, -17°C à Marseille et -18°C à Bordeaux.

De multiples témoins prennent la plume

Dans ses lettres, qui constituent un témoignage fabuleux du règne de Louis XIV, la “Princesse Palatine” ne manque pas d’évoquer cet événement macabre.

De mémoire d’homme il n’a fait aussi froid ; on n’a pas souvenance d’un pareil hiver. Depuis quinze jours on entend parler tous les matins de gens qu’on a trouvés morts de froid ; on trouve dans les champs les perdrix gelées. Tous les spectacles ont cessé aussi bien que les procès : les présidents ni les conseillers ne peuvent siéger dans leurs chambres à cause du froid.

Princesse Palatine
Portrait de Elizabeth Charlotte, Princesse Palatine par Hyacinthe Rigaud, 1713 | Domaine public
Portrait de Elizabeth Charlotte, Princesse Palatine par Hyacinthe Rigaud, 1713 | Domaine public

Madame de Maintenon note, dans ses Mémoires, à propos de cet hiver dévastateur :

La France, épuisée par la guerre, fut désolée par la famine.

Madame de Maintenon

ONous nous sentons à Paris de la famine aussi bien que vous, et il n’y a point de jour de marché où la cherté du pain n’y excite quelque sédition ; mais on peut dire qu’il n’y a pas moins de philosophie que chez vous.

On retrouve aussi dans ces témoignages le célèbre Nicolas Boileau, grand homme de lettres du Grand Siècle, qui retranscrit :

Nous nous sentons à Paris de la famine aussi bien que vous, et il n’y a point de jour de marché où la cherté du pain n’y excite quelque sédition ; mais on peut dire qu’il n’y a pas moins de philosophie que chez vous.

Nicolas Boileau

Des conséquences désastreuses

Les températures se réchauffent quelque peu mais la souffrance n’est pas terminée. Toutes les plantations automnales sont définitivement perdues et les récoltes demeurent inexistantes. Conséquences des fortes pluies qui ont succédé au gel.

N’ayant plus de pain à disposition, on dit que les gens mangent l’herbe dans les champs et la paille dans les fermes. Les corps fragiles sont balayés par les maladies provoquées par l’indigestion des céréales. La gangrène et le typhus se répandent.

La foule grouille dans les rues. Elle proteste contre l’augmentation générale des prix et cela fonctionne. Le pouvoir plafonne le prix du pain, le roi, par le biais d’un édit royal, permet la plantation de graines, partout où cela est possible, afin de les cultiver. Mais le blé manque, on décide donc de l’importer à prix d’or.

Le roi ne quitte plus ses appartements, le feu des cheminées ne réchauffe rien. Les troncs d’arbres cèdent sous la force du gel. Les oiseaux deviennent statues en plein vol. On raconte que l’on a dû amputer le valet du duc de Berry, au retour de la chasse, à cause de ses doigts pétrifiés de froid.

Un lourd bilan humain

Les cadavres sont innombrables. Chaque matin, des tas de corps sont ramassés. Les plus pauvres ne restent pas en vie plus d’une semaine. Rien qu’entre 1709 et 1711, ce sont environ 600 000 personnes qui décèdent. La Princesse Palatine note dans sa lettre datée du 2 février 1709 :

Le froid est si horrible en ce pays-ci que depuis l’an 1606, à ce qu’on prétend, on n’en a pas vu un tel. Rien qu’à Paris il est mort 24 000 personnes du 5 janvier à ce jour.

Princesse Palatine, 2 février 1709

Dans les provinces, la guerre et la famine sévissent lourdement. De nombreux témoignages sont tenus au sein des registres paroissiaux. Il est écrit dans celui de Maninghem-au-Mont dans le Pas-de-Calais :

Les plus riches ont été réduits à manger du pain mêlé d’avoine, bisaille […] blé sarrasin, et les pauvres, du […] pain d’avoine venant du moulin dont les chiens n’auraient voulu manger le temp passé ; aussi les peuples sont morts en si grande quantité de flux de sang et de mort subite qu’à tout coté on parlait de mort.

Registres paroissiaux, de Maninghem-au-Mont dans le Pas-de-Calais

De plus, des opérations militaires s’ajoutent aux malheurs déjà présents. Des maladies sont transportées par les armées ennemies, les blés sont confisqués pour alimenter les soldats. Cette situation dramatique provoque la création d’un nouvel impôt en 1710, le dixième. Cet impôt temporaire devient néanmoins permanent à partir de 1741. Tout cela entraîne une mortalité croissante. Dans le village de Camblain-l’Abbé, toujours dans le Pas-de-Calais, il est rapporté les faits suivants :

Ladite année 1710, le douze de [rature] juillet, est venue camper l’armée d’Hollande dans cette paroisse et lieux voisins pendant le siège de Béthune, et ensuite sont mortes les 110 personnes suivantes 

Près de 30% de la population est décimée dans ce village comptant initialement environ 400 habitants.

Un hiver gravé à jamais dans la mémoire collective

Cet hiver a marqué durablement les mémoires. Des hommes et des femmes se sont efforcés de transmettre, avec un réalisme implacable, ces événements douloureux à la postérité. Le grand hiver de 1709 a également révélé l’état d’un règne à bout de souffle d’un point de vue militaire et économique.

Quelques sources et liens utiles

Jean-Christian PETITFILS, Louis XIV, éditions Perrin, 1995

“L’hiver 1709 et ses conséquences racontés dans les registres paroissiaux”, Archives du Pas-de-Calais, 2023

Elie BERTHET, L’année du grand hiver 1709, éditions ADAMANT Media Corporation, 2001

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