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De la Prohibition au Crime Organisé : L’Épopée d’Al Capone

Né dans les faubourgs de New York, rien ne prédestinait Al Capone à devenir le roi de Chicago. Jusqu'à l'instauration de la Prohibition.
Les syndicats organisent une réunion contre la prohibition à Chicago en 1920 - Auteur inconnu [ Domaine public
Les syndicats organisent une réunion contre la prohibition à Chicago en 1920 – Auteur inconnu [ Domaine public

Au début du XXe siècle, certains États américains avaient déjà interdit l’alcool depuis la fin du XIXe siècle. Mais c’est en 1919 que le 19e amendement portant sur la prohibition de l’alcool au niveau fédéral entre en vigueur.

Le brassage, la distillation ainsi que la distribution de toute boisson contenant plus de 0,5% d’alcool sont prohibés sur tout le territoire. La loi ne fait exception que dans trois cas : l’usage médical, l’usage industriel et l’usage religieux.

La contrebande, un choix banalisé

Avec ces nouvelles règles, plusieurs scénarios se dessinent. D’un côté, fortes de leur puissance financière, les grandes entreprises du secteur délocalisent leurs activités au Canada. De l’autre, les vignerons essaient d’obtenir l’agrément qui leur permettrait de fournir le secteur industriel ou médical. Mais entre fuir ou s’adapter à la nouvelle législation, certains n’hésitent pas longtemps avant d’opter pour une troisième voie : celle de la contrebande.

Saisie et destruction de tonneaux d'alcool aux Etats Unis au début des années 1920 - Auteur inconnu | Domaine public
Saisie et destruction de tonneaux d’alcool aux États Unis au début des années 1920 – Auteur inconnu | Domaine public

Dès lors, toute une économie parallèle et très florissante se développe avec l’alcool. La contrebande s’organise autour de nouveaux centres. Les villes frontalières et les ports deviennent des avant-centres majeurs de cette économie clandestine. Et beaucoup de ses protagonistes sont, à priori, éloignés du milieu du banditisme traditionnel. Mais leurs fonctions et leur proximité avec le public sont essentielles dans la bonne marche de la contrebande.

Ainsi, des garde-côtes, des employés de chemin de fer, du personnel d’hôtel ou encore de simples vendeurs de journaux font désormais partie du maillon de la chaîne. Même des figures de l’autorité publique ne sont pas en reste. Les lieux de consommation clandestine se multiplient partout.

Face à la répression, les réseaux de contrebande se spécifient entre la réception ou la distribution d’alcool et s’associent entre eux afin de sécuriser le trafic.

La contrebande d’alcool en enrichit plus d’un homme. Et le plus célèbre d’entre eux, Al Capone, est, à ce jour, le plus emblématique de ces contrebandiers.

La mainmise du crime organisé sur la contrebande d’Alcool : l’exemple d’Al Capone

Les débuts de « Scarface »

Alphonse Capone naît à New York, dans le quartier de Brooklyn, le 17 janvier 1899. Issue d’une famille pauvre de migrants italiens, il quitte les bancs de l’école très tôt, à l’âge de 14 ans et entre au service de la pègre locale.

Al Capone arrêté par la Police de Philadelphie-en Mai 1929 - Pennsylvania Department of Corrections / FBI | Domaine public
Al Capone arrêté par la Police de Philadelphie-en Mai 1929 – Pennsylvania Department of Corrections / FBI | Domaine public

Faisant ses premières armes dans les rues de New York, il doit son surnom de Scarface à une cicatrice au visage, séquelle d’une violente altercation.

Autour de 1920, Al Capone se rend à Chicago, invité par son ancien complice, Torrio devenu, à Chicago, le bras droit du chef de la pègre, Colosimo. Ce dernier gère, entre autres, une centaine de maisons closes et de tripots clandestins. Lorsque Colosimo est assassiné, Torrio prend la tête du gang.

Avec l’aide d’Al, il se tourne vers la contrebande d’alcool et cette nouvelle activité se révèle, rapidement très lucrative, dépassant de loin les revenus des autres activités.

Après le retrait de John Torrio, en 1925, Al Capone prend, à son tour, la tête de leur organisation criminelle et il mène ses activités avec un succès inégalé.

La stratégie de Capone

Pour contourner la répression, les Bootleggers, les contrebandiers, s’associent à travers tout le pays pour limiter les pertes dues aux nombreuses saisies. Certains se spécialisent dans la réception de marchandise, d’autres dans la distribution auprès du public.

Al Capone travaille ainsi avec un gang de Détroit, ville stratégiquement située à la frontière canadienne. L’alcool, venu du Canada, est donc réceptionné par le Purple Gang de Détroit, qui le fait ensuite acheminer à Al Capone, à Chicago. Celui-ci n’a plus qu’à le faire distribuer. La prohibition le rendra immensément riche. Le trésor américain estime aujourd’hui qu’en 1929 ses revenus annuels se chiffraient à plus de 62 millions de dollars.

Et Capone a l’intelligence de cultiver une image positive de lui-même. Il se fait tour à tour bon père de famille, se souciant du bien-être des enfants, philanthrope organisant des distributions de soupe populaire pour les plus démunis, ou encore en homme d’affaires, gérant ses quelques activités légales dans le négoce, qui ne lui servent que de vitrine. Le gangster parait alors intouchable.

Distribution de soupe organisée par Al Capone pendant la Grande Dépression en 1930 - Auteur inconnu | Domaine public
Distribution de soupe organisée par Al Capone pendant la Grande Dépression en 1930 – Auteur inconnu | Domaine public

Cette manne financière que représente la contrebande de l’alcool attise la violence entre les bandes rivales de Chicago.

Rivalités et violences : le meurtre de la Saint-Valentin

Entre 1924 et 1930, les différents gangs de Chicago ne cessent de se faire la guerre pour contrôler le trafic d’alcool. Les Américains appellent cette période de violence the Beer War, la guerre de la bière. Cette rivalité fait des centaines de victimes dont des hommes de loi ou des journalistes. La police et les autorités locales, souvent corrompues, peinent à faire régner l’ordre et à faire appliquer la loi.

Cette violence atteint son paroxysme le 14 février 1929. Vêtus comme des policiers, des hommes de Capone acculent des membres d’un gang rivales. Croyant avoir affaire à un véritable contrôle de police, ces derniers obtempèrent en faisant face au mur. Ils se font mitrailler froidement dans le dos. Une centaine de douilles est retrouvée sur place. Al Capone, quant à lui, est en Floride au moment des faits.

Après cet épisode, Al Capone et son gang se retrouvent en situation de quasi-monopole en ce qui concerne les activités de contrebande d’alcool, à Chicago. Compte tenu de l’impuissance des autorités locales pour enrayer cette criminalité, ce sont les autorités fédérales qui prennent les choses en main.

Les autorités face à la violence des gangs : la tactique de Washington

L’enquête fédérale

Le meurtre de la Saint-Valentin a un tel retentissement au niveau national, que cela attire l’œil de Washington sur le crime organisé en général, et sur le personnage d’Al Capone en particulier. Le président Herbert Clark Hoover (1874-1964) fraîchement élu en 1929, dans le contexte de la Grande Dépression, annonce le recrutement de 400 agents fédéraux et une enveloppe de près de 2,5 millions de dollars pour faire appliquer la prohibition. Arrêter Al Capone coûte que coûte devient sa priorité.

Mais la chose n’est pas aisée. Malgré toutes ses activités illégales de vol, de racket, de jeux d’argent, de corruption, de proxénétisme et son implication manifeste dans l’élimination physique de ses rivaux, aucun délit ou crime d’Al Capone ne tombe sous la juridiction fédérale, pas même le meurtre. Seules les infractions liées à la contrebande d’alcool permettent aux autorités fédérales de mener une enquête.

Moins d’un mois après le meurtre de la Saint-Valentin, Al Capone est condamné une première fois pour outrage à la cour, face à son refus de comparaître comme témoin pour une infraction liée à la prohibition, devant un jury fédéral. La même année, il est arrêté pour détention d’armes et condamné une seconde fois à un an d’emprisonnement. Il est libéré en mars 1930 au bout de 9 mois pour bonne conduite.

Entre temps, la collaboration entre le FBI, dirigé alors par un autre Hoover, John Edgar Hoover (1895-1972), et l’unité spéciale du trésor américain, commence à porter ses fruits.

La chute du “King of Chicago”

S’il est admis aujourd’hui qu’Eliot Ness, agent spécial du trésor américain, a un peu exagéré son rôle dans la chute d’Al Capone, il n’en reste pas moins que c’est bien la collaboration entre le FBI et le trésor américain qui a permis son arrestation.

Al Capone à Alcatraz 1934 | Al Capone à Alcatraz 1934. Domaine public
Al Capone à Alcatraz 1934 | Al Capone à Alcatraz 1934. Domaine public

Après plus de 4 années d’enquête et d’infiltration, Al Capone est finalement condamné le 17 octobre 1931, à 11 ans d’emprisonnement pour fraude fiscale. Dans le contexte de la Grande Dépression, la fraude et l’évasion fiscale sont considérées comme des délits fédéraux.

L’argent issu de ses activités illégales ne pouvait être déclaré et, dans le même temps, son train de vie clinquant suggérait qu’il dissimulait des revenus conséquents. La sévérité de la condamnation pour une simple affaire de fraude fiscale s’explique aisément par la volonté des autorités à le mettre hors d’état de nuire pendant un très long moment.

D’abord emprisonné dans le comté de Cook puis à Atlanta, il est finalement transféré à Alcatraz en 1934.

Affaiblie par la syphilis, contractée des années plus tôt, Al Capone est libéré après avoir purgé une peine de 7 ans et 6 mois. Son état physique et mental se dégradant de jour en jour, il se retire en Floride où il meurt des suites de sa maladie, le 25 janvier 1947.

La fin de la Prohibition

En pleine crise économique et devant l’incapacité manifeste du gouvernement fédéral à faire appliquer la loi en matière d’alcool, le successeur du président Herbert Hoover, Franklin Roosevelt, abroge la loi sur la Prohibition, en 1933. Il fait également instaurer de nouvelles taxes sur la production et la distribution d’alcool pour renflouer les caisses du trésor américain.

Cette période a permis au crime organisé de gagner en structure et la mise à l’ombre d’Alphonse Capone ne mets pas un coup d’arrêt à la criminalité de gang. Aujourd’hui, l’héritage historique laissé par Al Capone et ses associés résonne encore très fortement dans la culture populaire contemporaine.

Quelques sources et liens utiles

Dufour, Camille. « La prohibition aux États-Unis : quand les marchés clandestins se structurent à l’ombre de nouvelles lois », Regards croisés sur l’économie, vol. 14, no. 1, 2014, pp. 38-43.

Le site du FBI : https://www.fbi.gov/history/famous-cases/al-capone

Alcatraz : https://www.fbi.gov/history/famous-cases/al-capone

Le musée du Crime de Las Vegas : https://themobmuseum.org/notable_names/al-capone/

Université du Michigan : http://websites.umich.edu/~eng217/student_projects/nkazmers/capone1.html

L’histoire de la ville de Chicago : http://www.encyclopedia.chicagohistory.org/pages/2214.html

Bibliothèque et musée Herbert Hoover : https://hoover.blogs.archives.gov/2021/10/06/hoovers-efforts-to-jail-al-capone/

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