L'ouvrage coup de cœur d'avril : Petit dictionnaire des Sales Boulots par Nicolas Méra

La crise laitière de 2009 !

En septembre 2009, des milliers d'éleveurs laitiers français s'engagent dans une grève pour protester contre la crise laitière.
Grève du Lait 2009 - Coordination rurale
Grève du Lait 2009 – Coordination rurale

Le Salon International de l’Agriculture 2024 a été marqué par de vives tensions qui ont rythmé les premières journées. La crise agricole latente est consécutive à de nombreuses politiques qui ont mené à une fragilisation des agriculteurs français. Elle est omniprésente dans les débats autour du Salon.

Quatorze ans plus tôt, en février 2010, des éleveurs laitiers profitaient de ce même salon afin de faire entendre leurs revendications et de sortir de la grave grève laitière consécutive à la crise laitière de 2009. Ainsi, ils portaient un cercueil dans les allées, où reposait métaphoriquement le cadavre de l’agriculture française. Ils s’arrêtèrent longuement devant le stand de la FNSEA, qui les aurait trahis. Cet article se propose de retracer les causes, les effets et les conséquences de la crise laitière de 2009, qui prolonge la liste des conflits paysans en France et dans le monde.

Une crise multifactorielle dans un contexte de libéralisation

Au début des années 2000, l’élevage laitier français est en profonde restructuration. Ainsi, le nombre de fermes laitières a chuté rapidement, passant de 156 000 en 1996 à 67 800 en 2015, soit la perte de la moitié des exploitations. Les fermes restantes se sont largement agrandies, motorisées et ont encore davantage rationnalisé leur production (début de la robotisation notamment).

Pourtant, depuis 1984, l’Union européenne s’est dotée d’un outil permettant à la fois de protéger son agriculture et de piloter la production interne, c’est le système des quotas laitiers (détaillé ci-après). Ce système est pourtant largement assoupli au cours des années 2000, et en 2008, l’année est particulièrement difficile, marquée par une chute brutale du prix. Le 20 novembre 2008, l’ensemble des ministres européens s’accordent afin d’augmenter progressivement les quotas laitiers avant de les faire disparaître en 2015.

Affichage de la participation à la grève sur une ferme près de Préaux-du-Perche – Auteur anonyme | Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0
Affichage de la participation à la grève sur une ferme près de Préaux-du-Perche – Auteur anonyme | Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0

Au-delà de cette dérégulation du marché, d’autres facteurs entrent en jeu. En effet, de l’autre côté de la planète, la production australienne et néo-zélandaise explose et entre en concurrence directe avec les productions européennes. Par ailleurs, les stocks de beurre et de poudre de lait augmentent rapidement entre 2007 et 2009, conduisant à un trop-plein.

Enfin, la crise des subprimes a un effet important sur le pouvoir d’achat de la population, qui privilégie les produits moins chers et limitent de manière générale sa consommation de produits laitiers. C’est l’ensemble de ces facteurs qui conduit à une grave crise laitière : crise économique conjoncturelle, dérégulation du marché et concurrence d’acteurs étrangers. Le revenu des éleveurs laitiers baisse alors de 40 % à 60 % en fonction des territoires.

La fronde des éleveurs face aux syndicats

Le mécontentement se manifeste par une grève laitière à l’échelle européenne, instaurée dès 2008 par les éleveurs laitiers du Bunderverband Deutscher Milchviehhalter, syndicat allemand. La grève laitière correspond à un refus de livrer le lait aux laiteries, et à une destruction partielle ou totale de la production, venant bouleverser l’image de l’agriculteur nourricier.

En France, ces mouvements donnent naissance à l’association des producteurs de lait indépendants (APLI). Mais cela ne débouche pas directement sur des grèves laitières. L’APLI se veut en dehors des syndicats agricoles, bien que certaines tendances la classe proche de la coordination rurale.

Affichage du mécontentement à Saint-Georges les Coteaux – Cobber17 | Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0
Affichage du mécontentement face à la crise laitière à Saint-Georges les Coteaux – Cobber17 | Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0

La naissance de l’APLI remet en question l’hégémonie de la FNSEA. En effet, ce syndicat et notamment sa branche laitière, le FNPL, est au centre des négociations sur le prix du lait avec les coopératives (FNCL) et les industries laitières (FNIL). Les autres syndicats (Coordination Rurale, Confédération paysanne et Modef) n’ont jamais pris part à ces négociations, et une grande majorité des agriculteurs non syndiqués impute les bas prix au manque de négociation au sein du Cniel, instance regroupant la FNPL, la FNCL et la FNIL.

Le 3 juin 2009, la FNSEA indique le résultat des négociations menée au sein du Cniel : le prix moyen sera fixé à 280 € pour 1 000 litres. C’est 25 € de moins que le prix réclamé pendant les manifestations. La colère gronde et l’APLI prend de l’importance tout au long de l’année 2009, au fil des désillusions causées par les autres syndicats, en particulier la FNSEA.

La crise laitière mène à la grève laitière en 2009

À partir du 10 septembre s’engage une grève laitière en France, marquant l’opinion publique en particulier grâce à l’action emblématique du 19 septembre 2009. Clairement, la stratégie est de faire parler de la crise agricole et de fabriquer l’information, d’occuper l’espace médiatique et politique. Dans ce cadre, l’APLI organise une « journée blanche ». L’objectif est de déverser du lait dans toute la France, et c’est ainsi que plus de 10 millions de litres de lait sont déversés sur les champs de l’hexagone.

L’action la plus symbolique est sans aucun doute celle organisée par l’APLI Normandie à Ardevon (Manche), en face du Mont-Saint-Michel, où près de 1 000 personnes déversent à l’aide de 300 tracteurs plus de 2,5 millions de litres de lait. Fortement critiquées par le ministre de l’agriculture de l’époque, Bruno Le Maire, ces actions permettent pourtant l’organisation de rencontres au ministère, avec celui qui s’est dit « choqué » par tout ce lait perdu. Face aux tentatives de diabolisation du mouvement en stigmatisant la gabegie de denrées alimentaires, les responsables de l’APLI et les éleveurs participant au mouvement arguent qu’ils n’ont pas le choix, notamment à travers la voix de Pascal Massol, président de l’APLI.

« Nous sommes obligés de faire des choses anormales parce qu’on nous fait subir des choses qui ne sont pas recevables ».

Pascal Massol, président de l’APLI.

La FNSEA, qui ne soutient pas le mouvement des grèves, est la cible des contestataires, qui manifestent le 15 septembre contre le syndicat lors du Salon de l’élevage à Rennes (Space) ou encore longuement parader lors du cortège funèbre de février 2010 face aux responsables du syndicat majoritaire, qu’ils accusent de trahison.

Au-delà de ces mouvements et manifestations, la crise laitière à de réels effets sur les vies des agriculteurs. Via Campesina interpelle ainsi les pouvoirs publics à travers un communiqué sur l’augmentation dramatique du suicide des agriculteurs. Ainsi, la semaine précédent le début des mouvements, ce sont 3 producteurs laitiers de la Manche qui se sont suicidés et un autre qui s’est immolé par le feu dans le Finistère.

Le Salon de l'agriculture – ThomasInTheSky | Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0
Le Salon de l’agriculture – ThomasInTheSky | Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0

Sortie de crise… de courte durée

Consécutivement à cette crise, la commission européenne annonce la création d’un fonds d’urgence de 280 millions d’euros. Pour autant, les crises persistent durant les années suivantes, et le nombre d’éleveurs laitiers ne cesse de diminuer.

La fluctuation des prix s’accentue suite à la fin des quotas laitiers en 2015. Les quotas laitiers sont le résultat d’une politique interventionniste de la Communauté Européenne sur la production laitière de ses agriculteurs. Dans les années 1970 et 1980, la modernisation des fermes conduit à une production laitière accrue, qui peine à être écoulée tant sur les marchés nationaux que sur les marchés d’exportation.

Décidés dans le cadre de la Politique Agricole Commune, les quotas fixent une quantité à produire par pays, qui définissent ensuite le quota pour chaque ferme. La production était maitrisée en appliquant une pénalité financière dissuasive si le quota du producteur était dépassé. Indéniablement, les quotas ont freiné la spécialisation géographique et la restructuration des fermes, mais n’ont pas permis de limiter la diminution du nombre d’agriculteurs. La fin des quotas laitiers entraine une plus grande libéralisation du marché, et plonger dans la crise des milliers d’éleveurs, seulement 6 ans après la crise laitière de 2009.

Quelques sources et liens utiles

Repplinger, Matthieu. « La grève du lait de 2009. Une révolte de l’éleveur modernisé contre les pouvoirs professionnels », Histoire & Sociétés Rurales, vol. 44, no. 2, 2015, pp. 111-140.

Chatellier, Vincent. « La fin des quotas laitiers, entre craintes et espoirs », Pour, vol. 225, no. 1, 2015, pp. 7-11.

Roullaud, Élise. « La grève « européenne » du lait de 2009 : réorganisation des forces syndicales sur fond de forte dérégulation du secteur », Savoir/Agir, vol. 12, no. 2, 2010, pp. 111-116.

Lynch, Édouard. « Détruire pour exister : les grèves du lait en France (1964, 1972 et 2009) », Politix, vol. 103, no. 3, 2013, pp. 99-124.

Elsa Casalegno et Karl Lask, Les Cartels du Lait, ed. Don Quichotte

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