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Au Tambov, le soulèvement des paysans contre l’Armée Rouge

Le Tambov, province russe, s'embrase en 1920, durant la guerre civile. La raison des tensions : les réquisitions de grains.
Paysans du Tambov qui se rebellent – Auteur inconnu | Domaine public
Paysans du Tambov qui se rebellent – Auteur inconnu | Domaine public

À partir de 1917, la Russie s’embrase. Suite à la révolution bolchévique d’octobre, une violente guerre civile éclate et se prolonge jusqu’en 1922. Durant ce terrible conflit qui fait plus de 3 millions de morts, de nombreux camps s’affrontent. Armées rouges bolchéviques, armées blanches tsaristes, armées vertes paysannes ou encore armées noires anarchistes, les belligérants sont nombreux et les intérêts multiples.

Durant ce conflit, les paysans subissent de nombreuses oppressions et se rebellent à plusieurs reprises. L’une de ces révoltes a ébranlé le pouvoir central bolchévique : la révolte de Tambov.

Tambov, une province de paysans

Tambov est une ville et une province du Sud de la Russie européenne. Cette province se situe non loin de Moscou. La région fait partie du bassin versant de l’Oka-Don et est arrosée par la Tsna, un affluent de la Mokcha. Le climat et la forte proportion de paysans (plus de 90 % des habitants en 1920) permettent de produire une quantité importante de biens agricoles. Cela en fait un lieu crucial pour l’approvisionnement du régime. Par ailleurs, la région demeure sous contrôle du régime bolchévique et n’est pas sujette à de violentes émeutes jusqu’en 1919.

Les paysans du Tambov soutiennent largement la révolution d’octobre, mais la ferveur bolchévique les touche peu. Contrairement aux villes, les bolcheviks n’ont guère de partisans dans les régions rurales, où le Parti socialiste révolutionnaire avait remporté de larges majorités lors des élections de 1917. Les connaissances des événements restaient limitées et dépendait du chemin de fer, la compréhension des conditions extérieures à la province de Tambov n’était que partielle. Pourtant, la guerre fait rage et les famines dans les villes étaient légions.

Dans ce contexte, le pouvoir central bolchévique prit la décision de mettre en place une réquisition forcée de denrées alimentaires, sans compensation financière. C’est la politique de la prodrazviorstka. Les quantités de céréales à réquisitionner ne sont pas calculées en fonction de la production, mais en fonction de la production d’avant la révolution.

Avant la révolution, les paysans de Tambov produisaient environ un million de tonnes de céréales. Un tiers de cette production était exporté. Sur la base de ces chiffres, qui ne tenaient pas compte des bouleversements causés par la guerre civile dans les campagnes, un objectif élevé a été fixé pour l’approvisionnement en céréales. Au vu des difficultés que subit alors la province de Tambov, le mécontentement gronde chez les paysans locaux.

Au cours de l’été 1919, Antonov se réfugie dans la forêt et forme un gang qui assassine plusieurs militants bolcheviques. Antonov est un militant socialiste-révolutionnaire de gauche, originaire du Tambov.

Antonov, leader de la révolte du Tambov (Photo prise durant son incarcération en 1909) – Auteur inconnu | Domaine public
Antonov, leader de la révolte du Tambov (Photo prise durant son incarcération en 1909) – Auteur inconnu | Domaine public

Condamné en 1910 à la prison à la perpétuité en lien avec ses activités de terrorisme à l’encontre du gouvernement tsariste. Il est libéré lors de la révolution de 1917 et dénonce rapidement la politique de réquisition des bolchéviques.

Antonov souhaite la liberté du commerce, la fin des réquisitions et la dissolution de l’administration soviétique et de la Tchéka.

C’est ainsi que naissent les premiers mouvements de guérilla antibolcheviques, composés de déserteurs de l’Armée rouge (venus initialement réquisitionner le grain), de socialistes-révolutionnaires et de paysans qui résistent aux perquisitions dans les forêts.

Ils tuent plus de 200 collecteurs de céréales du gouvernement et, au cours de l’année suivante, leurs forces ne cessent de croître, passant de 150 à 6 000 au début de l’été 1920. Antonov fédère les rebelles au sein de l’union des paysans travailleurs.

Le soulèvement s’étend à tout le Tambov

À proprement parler, la révolte débuta le 19 août 1920 dans la petite ville de Khitrovo, où se forma une armée paysanne locale baptisée armée bleue, par opposition aux autres armées de la guerre civile. Les paysans de cette ville s’arment afin d’accueillir l’armée rouge venu réquisitionner les céréales.

Il faut bien comprendre que les réquisitions sont souvent très violentes, émaillées de nombreux crimes. Ainsi, armés de quelques fusils, de fourches et de gourdins, les paysans de Khitrovo repoussent l’armée rouge et souhaitent ensuite s’en prendre à Tambov, la capitale de province. Malgré leur enthousiasme, ils sont dispersés par l’armée rouge avant d’arriver à Tambov.

Paysans du Tambov qui se rebellent – Auteur inconnu | Domaine public
Paysans du Tambov qui se rebellent – Auteur inconnu | Domaine public

Suite à cet échec, Antonov organise les paysans et introduit une discipline stricte. Ils comptent 14 000 ou 18 000 hommes répartis en une vingtaine de régiments, essentiellement des déserteurs de l’Armée rouge et des paysans, dont cinq à sept mille possèdent des armes à feu. Ils se surnomment l’armée bleu, afin de ne pas être associés à l’armée verte paysanne dont les revendications sont éloignées de celle des paysans du Tambov.

À la fin du mois, les rebelles comptent six groupes, chacun totalisant 4 000 hommes avec une douzaine de mitrailleuses et plusieurs pièces d’artilleries. Les bolchéviques sont occupés sur de nombreux autres fronts, et ne disposent que de 3 000 soldats peu fiables dans la province.

Les principaux leaders du soulèvement du Tambov en 1920 – Auteur inconnu | Domaine public
Les principaux leaders du soulèvement du Tambov en 1920 – Auteur inconnu | Domaine public

Rapidement, l’armée d’Antonov prend le contrôle de l’ensemble de la région. Les réquisitions sont stoppées et le grain est distribué à la population. Toutes les institutions soviétiques sont abolies en dehors de la ville de Tambov, et l’armée d’Antonov compte rapidement plus de 50 000 combattants.

Cependant, la plupart de leurs actions sont des œuvres de guérilla, selon la tactique de l’attaque surprise sur les collecteurs de grains et l’armée rouge, et se retirent rapidement. Ils ont une connaissance supérieure du terrain s’avère être un avantage déterminant pour l’armée des rebelles de Tambov.

Fortement ancrés dans le territoire, chaque village fournit des vivres et des infrastructures aux divisions de ces combattants. Fin 1920, l’un des objectifs d’Antonov est rempli : les armées rouges ne viennent plus dans les campagnes du Tambov pour réquisitionner le grain. Pendant ce temps, les officiers de la garnison et les militants bolcheviques locaux se plaignent d’être de plus en plus abandonnés par Moscou, qui leur envoie de moins en moins de ravitaillement et de renforts.

Cependant, malgré cette victoire apparente, la fin de l’année marque le début des complications pour l’armée bleue. Le manque d’armes n’a pas permis aux rebelles de prendre les grandes villes, et les renforts de la Tcheka commencent à arriver.

L’étendue de la rébellion du Tambov – P. S. Burton d’après Memnon335bc | Creative Commons Attribution 3.0
L’étendue de la rébellion du Tambov – P. S. Burton d’après Memnon335bc | Creative Commons Attribution 3.0

Les premiers mois de l’année 1921 est néanmoins marquée par de grandes victoires pour les paysans. Le 2 février 1921, la direction soviétique annonce la fin de la “prodrazvyorstka” et publie un décret spécial destiné aux paysans de la région mettant en œuvre la politique du “prodnalog“.

Cette nouvelle politique consistait essentiellement en une taxe sur les céréales et autres denrées alimentaires. Cette mesure a été prise avant le Xe congrès des bolcheviks, au cours duquel elle a été officiellement adoptée.

L’annonce commence à circuler dans la région de Tambov le 9 février 1921. Le 20 mars, une amnistie générale est également annoncée pour tous ceux qui se rendraient. Très peu se rendent, et les armées continuent d’effectuer des actions de guérilla à l’encontre du pouvoir bolchévique.

La violente répression de l’armée Rouge

En mai 1921, le pouvoir bolchévique prend les choses en main. Mikhail Tukhachevsky, surnommé le Napoléon rouge, est envoyé par Lénine avec 100 000 hommes, dont parmi eux des membres d’élites de la Tcheka.

Dès lors, les rebelles sont pourchassés, traqués, exécutés et déportés. Tous ceux qui sont soupçonnés d’avoir aider la rébellion sont également assassinés, et de nombreuses exactions sont commises. Des dizaines de milliers de civils sont déportés dans des camps, où ils meurent par milliers. Si les historiens ne sont pas tous en accord sur ce point, des armes chimiques auraient été utilisées afin de traquer les rebelles restants, inondant les forêts de gaz mortels.

À la fin du mois de septembre, il ne reste que quelques centaines de rebelles. Cependant, il faut attendre le milieu de l’année 1922 pour que les combats cessent. Antonov est tué dans un guet-apens le 24 juin 1922, à peine deux ans après le début du soulèvement.

Tukhachevsky et des chefs de l'armée rouge au Tambov à côté d'un avion Voisin – Auteur inconnu | Domaine public
Tukhachevsky et des chefs de l’armée rouge à côté d’un avion Voisin – Auteur inconnu | Domaine public

Durement réprimée, la population de la région du Tambov a subi de lourdes pertes. Au total, on dénombre au moins 240 000 décès en 2 ans, entre la guerre, les maladies, la famine et les déportations. La révolte de Tambov fut l’un des événements majeurs de la guerre civile russe, en lien avec des taxes sur les productions agricoles. Opprimés, les paysans de la région se sont soulevés et ont réussi au prix de lourdes pertes à obtenir le retrait de la réquisition du grain.

Quelques liens et sources utiles

Seth Singleton (1966). The Tambov Revolt (1920-1921). Slavic Review, 25(3), 497–512. doi:10.2307/2492859

J.-L. Van Regemorter, 2000, L’insurrection paysanne de la région de Tambov, ed. Ressouvenances

Oliver Henry Radkey, 1976, The Unknown Civil War in Soviet Russia, Hoover Press

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