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Le Larzac et la naissance des zones à défendre

La lutte des paysans du Larzac dans les années 1970 est pionnière dans la création des Zones à Défendre et de l'altermondialisme français.
Des CRS en intervention sur le plateau du Larzac – Community of the Ark of Lanza del Vasto | Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0
Des CRS en intervention sur le plateau du Larzac – Community of the Ark of Lanza del Vasto | Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0

Dans les années 1970, l’une des premières luttes environnementales française s’est tenue sur un territoire du Sud du pays : le Larzac. Plateau karstique, les causses du Larzac est un site naturel s’étendant sur 100 000 ha, à cheval sur les départements de l’Aveyron et l’Hérault. Connu jusqu’alors pour le viaduc de Millau, le plateau du Larzac devient un intense terrain de luttes à partir de 1971 lorsque le gouvernement décide d’y agrandir une base militaire.

Le Larzac au début des années 1970

Le Larzac au début des années 1970 est une terre d’élevage, notamment sur son plateau karstique. En 1966, les terres labourées représentent un tiers du territoire, d’un seul tenant. Un cinquième des terres est cultivé, et le reste est en parcours, prairies naturelles et forêts.

Paysage du Larzac – Castanet | Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0
Paysage du Larzac – Castanet | Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0

Zone rurale difficile d’accès et marquée par une déprise rurale forte jusque dans les années 1960, l’image du Larzac est celle d’un territoire à l’abandon, peu productif. Ainsi, André Fanton, secrétaire d’État à la Défense, évoque le site en ces termes :

« Qu’on le veuille ou non, la richesse agricole potentielle du Larzac est quand même extrêmement faible. Donc je pense qu’il était logique de considérer que l’extension du Larzac ne présentait que le minimum d’inconvénients. Alors la contrepartie c’est le fait qu’il y a quand même quelques paysans, pas beaucoup, qui élevaient vaguement quelques moutons, en vivant plus ou moins moyen-âgeusement, et qu’il est nécessaire d’exproprier ».

André Fanton, secrétaire d’État à la Défense

Modernisation rapide et néo-ruraux

Pourtant, le Larzac n’est pas un territoire où les activités agricoles sont en perdition. Depuis le début des années 1960, le territoire profite d’un vent de modernisation important, porté notamment par la Confédération des éleveurs de brebis et des industriels de Roquefort, créée en 1930. La surface cultivée augmente durant cette décennie, et les innovations sociales (constitution de GAEC, syndicalisation des paysans) sont nombreuses. Les éleveurs de brebis du Larzac se modernisent, avec notamment l’arrivée de machines à traire, et ils deviennent au cours des années 1960 parmi les producteurs les plus à la pointe de la zone de production du Roquefort, en particulier dans la partie Nord du plateau.

Les surfaces toujours en herbe présentent une qualité intéressante pour la zone, et ces surfaces commencent à être rationalisées pour le contrôle du bétail. Le cheptel, de race Lacaune, a été le support d’améliorations génétiques à travers les progrès de la zootechnie. Ainsi, en 1922 une brebis du Larzac produisait en moyenne 50 litres de lait par an. 40 ans plus tard, la moyenne est de 120 litres, soit quasiment le rendement des meilleures exploitations françaises d’alors. Ainsi, le Larzac est un territoire rural dynamique.

Cependant, les Causses ont été victimes de la déprise rurale jusque dans la fin des années 1960. Mais avec le dynamisme de la région combiné à l’arrivée de néo-ruraux post mai 68, le nombre d’habitants du territoire se stabilise. Ainsi, au début des années 1970, 62 % des chefs d’exploitation ont moins de 50 ans, et près de 30 % des chefs d’exploitation ont moins de 40 ans. Les jeunes s’installent en nombre dans le Larzac, et l’arrivée de nombreuses familles venues de l’extérieur, guidées par les grands espaces, permet de maintenir un tissu rural stable là où la tendance est à la baisse dans la grande majorité des territoires ruraux français.

L’éclatement du conflit dans le Larzac

Le Larzac n’est pas seulement un territoire agricole. En effet, il est aussi le lieu d’une base militaire de 3 000 ha, installée depuis 1898 sur le plateau. Elle est utilisée par la Wehrmacht durant la Seconde Guerre Mondiale, elle a ensuite pour objectif de garder prisonniers des Allemands que l’on tente de dénazifier, puis d’enfermer les ennemis de l’intérieur lors de la guerre d’Algérie, c’est-à-dire des résidents de France métropolitaine proche du FLN.

Dans les années 1960, le camp est utilisé comme champ de manœuvres pour des armes de dissuasion nucléaire. Ainsi, il n’est pas rare que les opérations militaires s’étendent au-delà des 3 000 ha alloués au camp. Les paysans du Nord du plateau voient débouler chars et forces armées sur leurs terres de manière fréquente.

À partir du 11 octobre 1970, André Fanton évoque lors du congrès de l’Union des Démocrates pour la République (UDR, parti alors à la tête du pays), un projet d’agrandissement du camp militaire du Larzac. Le député UDR de l’Aveyron Louis-Alexis Delmas soutient lui aussi un tel projet, dans le journal Le Monde du 6 mars 1971. Enfin, le 28 octobre 1971, Michel Debré annonce formellement l’agrandissement du camp militaire, passant de 3 000 ha à 17 000 ha, nécessitant l’expropriation de nombreux agriculteurs. La promesse du gouvernement est de dynamiser la région, avec l’arrivée de nombreuses familles de militaires et un potentiel regain d’activités économiques. Pourtant, les opposants au projet sont légions.

Michel Debré en 1960 – Ludwig Wegmann | Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 de
Michel Debré en 1960 – Ludwig Wegmann | Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 de

Rapidement, l’ensemble des agriculteurs de la zone se fédèrent contre le projet d’agrandissement.

La Jeunesses agricole catholique (JAC) ou encore la Fédération Nationale des Syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) s’unissent et s’agglomèrent au sein de l’Association de sauvegarde de l’environnement.

La première manifestation est à l’initiative de la gauche post mai 68. Ainsi, le 9 mai 1971 près de 6 000 militants et sympathisants de la cause se rendent à Millau. Ce sont principalement des maoïstes, des ouvriers, des écologistes, des anti-nucléaires ou encore des antimilitarismes, dans le sillage de la montée des préoccupations environnementales. Pourtant, la manifestation ne prend pas dans un premier temps avec les populations locales qui ne veulent pas se voir déposséder de leur lutte, qu’ils considèrent comme territoriale et apolitique.

L’association locale de sauvegarde revendique d’ailleurs ce caractère apolitique, et nombre des paysans sont catholiques, de droite, relativement opposés aux causes défendues par les militants de gauche arrivant sur le plateau, comme la libération féministe et l’antimilitarisme.

La naissance d’une zone à défendre

La lutte des causses du Larzac peut être considérée comme la genèse des Zones à Défendre (ZAD). Le 28 mars 1972, 103 paysans sur les 108 concernés par les expropriations signent un serment : aucun paysan ne sera chassé contre son gré. Les opposants au camp militaire sont formels : ils ne seront pas délogés. S’installe alors une lutte longue, marquée par de nombreuses manifestations, revendications et symboles.

Ainsi, le 25 octobre 1972, un troupeau de soixante brebis est conduit par des paysans du Larzac sur les pelouses du Champ-de-Mars à Paris, en face de la Tour Eiffel, contribuant à faire connaître la cause. 7 mois plus tôt, plusieurs habitants du Larzac débutent une grève de la faim, parmi laquelle se trouve le fondateur de la communauté non violente de l’Arche. Cette communauté a fourni de nombreuses archives et témoignages sur la lutte.

Durant l’année 1972, de nombreux événements festifs, de désobéissances civiles et de protestations permettent de fédérer l’ensemble des acteurs de la lutte du Larzac : les paysans, le patronat, les hommes politiques, les jeunes néo-ruraux, l’église, les nationalistes occitans ou encore les nombreux militants de gauche. Michel Debré devient l’ennemi principal et il n’est pas rare que des effigies à son image soient brûlées sur la place publique. Ainsi, dès 1972, François Mitterrand prend publiquement position lors d’un débat face à Michel Debré contre l’agrandissement du camp militaire.

Le conflit dure dans le Larzac

Le Larzac devient alors un symbole, et le tournant dans la lutte se manifeste à partir de l’année 1973. C’est ce qu’exprime Élisabeth Baillon :

« La terre vers laquelle vous êtes montés, celle où vous avez posé les pieds, cette terre n’est pas comme les autres, elle s’appelle Larzac ! Regardez bien ce paysage sans clôtures […]. Cette terre sans clôtures devient le symbole même de la liberté ».

Élisabeth Baillon

Dès 1973, de nombreuses manifestations et convois sont organisés depuis le plateau du Larzac jusqu’à Paris.

Lors des étés 1973 et 1974, de grands rassemblements sont organisés au lieu-dit du Rajal del Gorp, plus de 100 000 personnes affluent de toute la France et du monde entier.

Véritable terreau de l’altermondialisme, ces rassemblements sont l’occasion de convergences de luttes importantes, allant jusqu’à la présence de représentants de l’Armée républicaine irlandaise, se montrant solidaire des paysans du Larzac.

Little Feather au Larzac, une lutte internationale – Langrognet Michel | Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0
Little Feather au Larzac, une lutte internationale – Langrognet Michel | Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0

En parallèle, les opposants au projet déploient des moyens à la limite de la légalité, notamment à travers l’achat de nombreuses micro-parcelles sur les terrains devant être mis à disposition de l’armée. La multiplication des propriétaires rend difficile l’expropriation. Cette opération est un succès tel qu’en 1974 le Canard Enchainé devient propriétaire d’une parcelle sur le plateau. Ainsi, les parcelles sont divisées en plus de 6 000 parts.

Par ailleurs, de nombreux anciens combattants d’Algérie renvoient leurs livrets militaires, chose qui était alors interdite, donnant lieu à des procès largement médiatisés. Mais l’affaire la plus connue est l’affaire des 22 de Millau. Le 28 juin 1976, 22 paysans s’infiltrent dans le camp militaire afin d’y détruire de nombreux dossiers en lien avec l’agrandissement de la base. Arrêtés et jugés immédiatement, ils sont condamnés à des peines de prison, avec sursis ou fermes. Parmi eux, José Bové, figure de la lutte du Larzac qui s’y est récemment installé. Initialement militant, il s’installe en 1976 sur le hameau de Montredon, une ferme à l’abandon depuis les années 1920 convoitée par l’armée.

Abandon du projet en 1981

À la fin de la décennie, le Larzac est une cause nationalement connue, et les soutiens aux paysans sont massifs. Lors de référendums organisés par les comités locaux du Larzac, les électeurs des communes concernées votent à plus de 90 % « non » pour l’extension du camp.

Affiche pour la lutte du Larzac – LAGRIC | Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0
Affiche pour la lutte du Larzac – LAGRIC | Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0

Il devient de plus en plus difficile pour le gouvernement UDR de tenir cette position, mais le gouvernement ne plie pas. Robert Galley, qui prend la suite du défunt ministre de la Défense Joël Le Theule, veut statuer avant l’élection de 1981 : le projet est ratifié dans une version réduite de l’extension initialement prévue. Pourtant, rien de tout cela ne voit le jour : le 10 mai 1981, François Mitterrand est élu Président de la République française, et conformément à sa promesse de 1972, réitérée en 1974 lors de sa venue au Rajal del Gorp, il impose l’abandon du projet. Les terres sont alors confiées à la Société civile des terres du Larzac, par un bail emphytéotique.

Aujourd’hui, le camp militaire est toujours présent sur ce territoire du Larzac. Il s’est même développé depuis 2013 avec l’arrivée de la 13ème brigade de la Légion étrangère auparavant basée aux Emirats arabes unis. Sans générer la même contestation qu’il y a 40 ans.

Quelques sources et liens utiles

Pierre-Marie TERRAL, Larzac de la lutte paysanne a l’altermondialisme, 2011

Pierre-Marie TERRAL, Larzac, Terre de lutte, 2017

Philippe ARTIERES, Le peuple du Larzac, 2021

Christiane Burguière et Pierre Burguière, Gardarem ! Chronique du Larzac en lutte, 2011

Wanda Holohan, Le conflit du Larzac : chronique et essai d’analyse, Sociologie du travail, Année 1976, 18-3, pp. 283-301

Franquemagne Gaël, La mobilisation socioterritoriale du Larzac et la fabrique de l’authenticité, Espaces et sociétés, vol. 143, no. 3, 2010, pp. 117-133.

J. Pilleboue, Pierre-Yves Péchoux et M. Roux, Le nord du Causse du Larzac : une renaissance rurale menacée, Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest. Sud-Ouest Européen, 43-4, pp. 453-467, 1972

Toutes les luttes mènent au Larzac. Entretien avec Christian Roqueirol, Mouvements, vol. 84, no. 4, 2015, pp. 111-125.

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