L'ouvrage coup de cœur d'avril : Petit dictionnaire des Sales Boulots par Nicolas Méra

11 novembre 1918 : fin d’une guerre amère

L'armistice du 11 novembre 1918 met un terme à la Première Guerre mondiale, après plus de quatre ans de combat en Europe.
Procès de Gavrilo Princip à la suite de l'assassinat de l’archiduc François-Ferdinand d'Autriche le 28 juin 1914, une des raisons du déclenchement de la Première Guerre mondiale - Auteur inconnu | Domaine public
Procès de Gavrilo Princip à la suite de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche le 28 juin 1914, une des raisons du déclenchement de la Première Guerre mondiale – Auteur inconnu | Domaine public

Le 11 novembre 1918 à 11 heures, le bruit des canons s’estompe dans l’ensemble de l’Europe, laissant place à un long soupir de soulagement. Après quatre ans, trois mois et quatorze jours de guerre, la Triple Entente (France, Royaume-Uni, et anciennement l’Empire russe) obtient l’armistice de la Triplice (Empire allemand, Empire austro-hongrois, et anciennement le royaume d’Italie – sans engagement du royaume durant le conflit). L’horreur de la guerre s’arrête, malgré l’incapacité de parvenir à un accord.

Les combats cessent, mais seulement pour quelques jours. En effet, un armistice est une simple suspension provisoire des combats. Cette suspension a été négociée dans la clairière de Rethondes, en forêt de Compiègne, à bord du désormais très célèbre « wagon de l’Armistice ». Signé à 5h45 par les plénipotentiaires allemands, dont Matthias Erzberger, et l’état-major français et britannique, dont le maréchal Foch, commandant en chef des forces alliées sur le front de l’Ouest.

L’armistice du 11 novembre prévoit une suspension des hostilités pendant 36 jours. Il est reconduit trois fois jusqu’à la signature des traités de paix à Versailles, le 28 juin 1919.

Une négociation à couteau tiré

Le long voyage qui attend les diplomates allemands commence le 7 novembre 1918. La cohorte se compose de Matthias Erzberger, représentant du gouvernement allemand, du comte Alfred von Oberndorff, qui représente le ministère des Affaires étrangères, ainsi que de militaires, dont les généraux von Winterfeld (parlant couramment français) et von Grünnel, ainsi que des capitaines Hermann Geyer et Vanselow. Ils sont accompagnés par une dizaine de hauts responsables.

Ils prennent le départ de la ville de Spa en Belgique, alors occupée par la Prusse. Cette ville est devenue le grand quartier général en 1918, puis le lieu de stationnement de l’Oberste Heeresleitung, le « Commandement suprême de l’Armée de terre ». L’empereur allemand Guillaume II établit sa résidence au Château de la Fraineuse, non loin de Spa. C’est donc véritablement le cœur battant du commandement allemand pour le front de l’Ouest.

En route vers la France !

La traversée de la ligne de front en direction de la France se fait à la Flamengrie, sur la route d’Haudroy, à La Capelle. Ce chemin avait été communiqué aux autorités allemandes après leur demande d’ouvrir des négociations. Le caporal Pierre Sellier est chargé de sonner le premier cessez-le-feu qui ouvre la voie à cette délégation.

Une fois arrivés à La Capelle, ils sont accueillis par le commandant de Bourbon Busset, qui a été désigné par le maréchal Foch pour les conduire à Rethondes, le lieu où doivent se dérouler les négociations.

La voiture des plénipotentiaires allemands le 7 novembre 1918, entourée de chasseurs du 19e bataillon - Auteur inconnu, via commandant Ducornez & medecin-major Groc | (Galica BnF) Domaine public
La voiture des plénipotentiaires allemands le 7 novembre 1918, entourée de chasseurs du 19e bataillon – Auteur inconnu, via commandant Ducornez & medecin-major Groc | (Galica BnF) Domaine public

Sous bonne garde, ils sont transportés en voiture (au total six véhicules) vers Homblières, situé à 45 kilomètres de La Capelle, puis à Tergnier, situé à 27 kilomètres plus au sud. Ces trajets constituent un moyen efficace de se rendre compte des dégâts. Le nord de la France est un territoire dévasté par les combats. Le trajet à travers la campagne française offre à la délégation allemande un paysage de désolation.

À leur arrivée à Tergnier, un train les attend pour les transporter jusqu’à la clairière de Rethondes, située dans la forêt de Compiègne, à 50 kilomètres de là. Les deux trains, celui de la délégation allemande et celui de l’état-major allié, se rencontrent dans une futaie traversée par deux lignes de chemin de fer le 9 novembre à 5h30 du matin. C’est le début du « véritable calvaire », selon les termes de Matthias Erzberger.

Des fractures irréparables entre les belligérants…

La rencontre entre l’état-major du maréchal Foch et la délégation allemande a lieu à 10 heures. L’accueil est glacial, le dialogue difficile.

Je ne suis autorisé à vous les faire connaître [ndlr : les propositions] que si vous demandez un armistice. Demandez-vous un armistice ?

Maréchal Foch à la délégation allemande

Une fois la demande d’armistice solennellement formulée, les représentants alliés remettent le document contenant les conditions souhaitées par les forces alliées pour mettre fin à la guerre. Ils accordent un délai de trois jours aux Allemands pour réfléchir et prendre une décision.

La négociation est peu permise, la délégation est cantonnée dans son train, avec peu d’occasions d’échanger avec les alliés. Les alliés veulent imposer leurs conditions, que les Allemands considèrent comme humiliantes.

Un changement de régime en Allemagne

Le 9 novembre 1918, l’empereur Guillaume abdique sous la contrainte de ses généraux. La République de Weimar est proclamée par les socialistes par crainte de la montée au pouvoir des Spartakistes. Ce changement brutal ajoute une pression supplémentaire sur la délégation, bien que les généraux allemands sachent pertinemment que la guerre est perdue. En effet, Erich Ludendorff, le général en chef des armées allemandes, avait sollicité en septembre de la même année une demande d’armistice en raison de la situation militaire préoccupante. Aucune décision n’a été prise ni par les militaires, qui ne voulaient pas endosser la défaite, ni par le corps civil. La grande différence survient lorsque le nouveau chef du gouvernement allemand, Friedrich Ebert, implore les représentants à Rethondes de mettre fin aux négociations.

Tableau représentant la signature de l’armistice de 1918 dans le wagon-salon du maréchal Foch. De droite à gauche, le général Weyganda, le maréchal Foch (debout) et les amiraux britanniques Wemyss et Hope (assis), le ministre d’État allemand Erzberger (en manteau sombre, de dos), le capitaine de la Royal Navy Marriott (debout en arrière-plan), le Generalmajor Winterfeldt de la Deutsches Heer (avec le casque à pointe), le comte Oberndorff des Affaires étrangères (en manteau clair un chapeau à la main) et le Kapitän zur See Vanselow de la Kaiserliche Marine (tête nue en arrière-plan) - Maurice Pillard Verneuil | Domaine public
Tableau représentant la signature de l’armistice de 1918 dans le wagon-salon du maréchal Foch. De droite à gauche, le général Weyganda, le maréchal Foch (debout) et les amiraux britanniques Wemyss et Hope (assis), le ministre d’État allemand Erzberger (en manteau sombre, de dos), le capitaine de la Royal Navy Marriott (debout en arrière-plan), le Generalmajor Winterfeldt de la Deutsches Heer (avec le casque à pointe), le comte Oberndorff des Affaires étrangères (en manteau clair un chapeau à la main) et le Kapitän zur See Vanselow de la Kaiserliche Marine (tête nue en arrière-plan) – Maurice Pillard Verneuil | Domaine public

Ainsi, le 11 novembre à 2h15 du matin, la délégation allemande entre dans une dernière phase de négociation avec l’état-major allié. Pendant trois heures, les 34 articles qui composent le texte proposé par Foch sont discutés, les Allemands cherchant à les atténuer. L’armistice est finalement signé entre 5h12 et 5h25 pour une cessation des hostilités à 11h du matin. Le conflit est d’une telle brutalité que durant ces quelques heures, des milliers d’hommes et de femmes trouvent la mort.

Les traités de Versailles, un cérémonial à la haine

L’armistice négocié le 11 novembre n’est valable que pendant 36 jours, cependant, il est prolongé deux fois, et une troisième fois de manière illimitée. Il faut attendre la signature du traité de Versailles le 28 juin 1919 pour que la Première Guerre mondiale soit définitivement entérinée. Le traité est si humiliant pour l’Allemagne que, pendant un certain temps, le gouvernement est incapable de prendre une décision. Les options envisagées sont d’accepter le traité, de l’ignorer et d’entamer une résistance pacifique, de perdre l’Ouest pour s’unir à l’Est, ou de reprendre les armes.

L’idée directrice de Reinhardt en mai et juin 1919 était qu’il valait mieux abandonner l’unité du Reich que d’accepter les restrictions de souveraineté imposées par les conditions de paix, qui entraîneraient, pensait-il, un affaiblissement moral du peuple allemand. Cette attitude, prévalant dans certains secteurs de la société allemande, notamment dans les milieux militaires et nationalistes, devait nourrir les plans pour un État prussien de l’Est indépendant.

Mulligan, The Creation of the Modern German Army, p. 98.

La mise en scène du Traité de Versailles

La signature du traité a lieu à Versailles, dans la galerie des Glaces, là où 48 ans plus tôt Otto von Bismarck et Guillaume Ier avaient proclamé la naissance de l’Empire allemand, tout un symbole. Georges Clemenceau a souhaité faire venir des mutilés de guerre, placés sur le passage de la délégation allemande. L’objectif est d’insister sur les responsabilités de l’Allemagne et l’importance des réparations exigées. L’Allemagne est considérée comme la seule et unique responsable de l’agression de 1918.

Ce sujet est habilement évoqué dans l’ouvrage dirigé par Isabelle Davison et Stanislas Jeannesson, Les traités de paix 1918 – 1923, la paix les uns contre les autres, qui offre une vision émotionnelle de ce traité. En effet, cet événement est marqué par de nombreux sentiments. Cette guerre a été effroyable, avec de nombreuses pertes en vies humaines, et l’esprit contraint à la propagande pendant des années. En ce somme, deux mondes coexistent, l’un de vainqueurs, la France et les Alliés, et l’autre d’invaincu, l’Allemagne. Il est donc impossible de s’entendre pour faire la paix. Le Traité de Versailles est vécu comme un Diktat en Allemagne.

Une guerre sans vaincu

La fin de la guerre en France est marquée par un profond soulagement. La guerre a été longue et surtout dévastatrice, la majorité des combats à l’Ouest ont eu lieu sur son territoire. Il y a donc une volonté de faire payer le vaincu en imposant ses droits de vainqueurs.

Cependant, les Allemands ne se considèrent pas comme vaincus. La retraite initiée en juillet 1918 était ordonnée, du moins l’opinion publique en est persuadée, et aucun combat n’a eu lieu sur son sol. Cette dichotomie entre la réalité du traité de Versailles et la pensée allemande rend le dialogue difficile. La France est d’autant plus fermée à toute négociation.

Signature du traité à la galerie des Glaces, château de Versailles - Helen Johns Kirtland and Lucian Swift Kirtland | Domaine public
Signature du traité à la galerie des Glaces, château de Versailles – Helen Johns Kirtland and Lucian Swift Kirtland | Domaine public

Malgré le sentiment de ne pas être vaincus, l’Allemagne est amputée d’un huitième de son territoire, et ses colonies sont confisquées. Son armée est drastiquement réduite, passant à 100 000 hommes et 16 000 marins. Le pays n’a plus la possibilité de posséder des avions, des pièces d’artillerie, des chars, des sous-marins, ni même des cuirassés. Sur le plan économique, l’Allemagne doit verser 20 milliards de marks à titre de provision, dans l’attente d’un montant devant être communiqué avant 1921. De plus, elle doit livrer des navires de commerce, des machines-outils, du matériel agricole et du matériel ferroviaire.

La France traumatisée, la France tétanisée

Traumatisée par la défaite de 1870 et la perte de l’Alsace-Lorraine, la France se sait en infériorité face à son rival d’outre-Rhin. L’Allemagne domine démographiquement et industriellement à l’aube de la Grande Guerre. Malgré la victoire de 1918, la France sait qu’elle a triomphé grâce au concours de ses alliés. Il est désormais essentiel d’affaiblir définitivement ce peuple germanique.

Au sein du gouvernement et du monde militaire, il règne une véritable crainte d’un retour à la guerre si l’Allemagne n’est pas soumise. Le traité est conçu pour empêcher tout retour d’une Allemagne puissante et dominante en Europe. L’objectif est de placer l’Allemagne sur un pied d’égalité avec la France, en somme, de l’affaiblir durablement.

Le chapitre intitulé « Émotions et incompréhensions franco-allemandes (1918 – 1923) : une difficile sortie de haines » de l’ouvrage précédemment cité, explique très clairement la peur de la supériorité allemande. Cette crainte pousse les Français à affaiblir par tous les moyens la machine productive et combattante de l’Allemagne, ce qui engendre frustration et colère outre-Rhin.

La barbarie allemande, le mal de l’Europe

Le Traité de Versailles laisse un goût amer en Allemagne. Le sentiment est terrible, tant de souffrance, tant de morts pour une paix injuste et dure. De plus, l’armée, qui ne souhaite pas porter la charge de la défaite, sabote le monde civil avec le mythe du « coup de poignard dans le dos » (Dolchstoßlegende). Les révolutionnaires, les socialistes et les Juifs sont accusés de fragiliser le pays de l’intérieur, ne laissant plus à l’armée la possibilité de vaincre. C’est la naissance d’une pensée qui trouvera écho chez Adolf Hitler, dans le Parti national-socialiste des travailleurs allemands (Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei).

À l’international, l’Allemagne est considérée comme un pays agresseur. Tous les Alliés s’accordent sur ce sujet. Elle a été la cause du déclenchement de la guerre et a violé le droit international. Chose qu’elle a reproduite lors de la « guerre sous-marine sans restriction » en 1917, ce qui a provoqué l’entrée en guerre des États-Unis. Les sous-marins allemands ont coulé des navires de guerre et des navires civils alliés sans distinction.

Néanmoins, la situation n’est que le reflet d’une pensée à un moment donné. Aujourd’hui, il est évident que l’Allemagne n’est pas seule responsable de la guerre. La France d’après-guerre était aussi militariste et ne considérait les rapports franco-allemands que par la force. Les années 20 ont été terribles, la haine allemande envers les Français était totale. Il a fallu attendre le couple franco-allemand (même si c’est totalement anachronique) de Briand-Stresemann pour que le ton s’adoucisse.

Il s’agit en somme de regarder vers l’avenir et d’oublier le passé, de renoncer à la haine, de fraterniser avec l’ennemi d’hier

Jospeh Barthélémy, juriste, éditorialiste, académicien et surtout connu par la suite comme ministre de la Justice sous le régime de Vichy

Néanmoins cette histoire en est une autre, que nous évoquerons une prochaine fois.

Quelques liens et sources utiles

Hénin, Pierre-Yves. « Juin 1919, l’Allemagne face au Traité de Versailles. La tentation de la résistance à l’Est », Revue de l’OFCE, 2021

« Que commémore-t-on le 11 novembre ? », Vie publique, 2023

« 11 novembre 1918 : la signature de l’Armistice à Rethondes », Europe 1, 2016

Isabelle Davison et Stanislas Jeannesson, Les traités de paix 1918 – 1923, la paix les uns contre les autres, Sorbonne Université Presses, 2023

« Pourquoi le traité de Versailles a conduit à la Deuxième Guerre mondiale », GEO, 2019

Pierre Genevey, Le désarmement après le traité de Versailles, Centre d’étude de politique étrangère, 1967

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