En 1969, Jan Palach, étudiant pragois, commit un ultime geste de désespoir : il s’immola par le feu afin de protester contre l’occupation soviétique en Tchécoslovaquie.
L’arrivée du communisme en Tchécoslovaquie
Nouvel et petit État depuis 1918, la Tchécoslovaquie souhaitait exercer une influence européenne et tentait de promouvoir sa propre identité culturelle, sociale et politique. Le communisme mit fin à cet essor.
Avant, pendant et après la Seconde Guerre mondiale
En 1918, à la suite de la dissolution de l’Empire austro-hongrois à la fin de la Première Guerre mondiale, l’État tchécoslovaque fut fondé à la suite de la fusion de deux groupes ethniques et linguistiques : les Tchèques et les Slovaques.
Tomáš Masaryk (1850-1937), premier président de la Tchécoslovaquie, souhaitait créer une démocratie multipartite où les deux groupes slaves pourraient vivre en harmonie. La vie politique était active dans le jeune État dont le Parti communiste, le KSČ.
Fondé en 1921, le Parti communiste tchécoslovaque restait marginal et ne possédait guère d’influence dans la sphère politique.
Cependant, suite aux conséquences sociales et économiques de la Grande Dépression dans les années 1930, le Parti communiste tchécoslovaque gagna en popularité auprès de la classe ouvrière et des mouvements étudiants. En 1929, Klement Gottwald (1896-1953), fondateur du KSC, chargé de propagande et leader du Parti, décida de suivre la ligne politique dictée par l’Union soviétique.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Tchécoslovaquie, occupée par les forces allemandes, vit émerger sur son territoire une résistance tchécoslovaque antifasciste, composée de divers groupes politiques dont les communistes, luttant contre l’occupation nazie.
En 1945, la Tchécoslovaquie retrouve sa liberté grâce à l’intervention des Soviétiques et des forces alliées occidentales.
En contrepartie, l‘Armée rouge s’installe dans le pays et exerce une influence politique significative.
En 1946, des élections dites démocratiques furent organisées en Tchécoslovaquie, marquant le retour à la vie politique normale après la guerre. Le Parti communiste et pro-soviétique tchécoslovaque participe à ces élections et les remporte sous l’influence de l’Union soviétique qui possédait un pouvoir significatif en Tchécoslovaquie.
La victoire du Parti communiste aboutit à la formation d’un gouvernement de coalition avec différents partis politiques tels que le Parti national social tchèque, le Parti populaire tchécoslovaque, le Parti social-démocrate tchèque ainsi que d’autres partis politiques.
Bien qu’on puisse constater une réelle volonté de représentation des différentes opinions politiques au sein du gouvernement de coalition, des tensions politiques et idéologiques entre les communistes et les non-communistes apparurent et persistèrent.
Le Coup d’État de 1948 en Tchécoslovaquie
En février 1948, le Parti communiste tchécoslovaque, avec l’aide de l’Armée soviétique, orchestre un coup d’État. Ils profitèrent des différentes tensions au sein du gouvernement de coalition pour mener leurs actions. Sous la pression de l’influence croissante en Tchécoslovaquie, le président Edvard Beneš (1884-1948) et le gouvernement démissionnèrent.
Le Parti communiste, dirigé par Klement Gottwald, prit le contrôle du gouvernement et établit un régime communiste durant 41 ans. La Tchécoslovaquie se conforma au régime politique soviétique et devint un « pays satellite » de l’Union soviétique.
La vie sous le régime communiste tchécoslovaque
Influencée par le modèle communiste en URSS, la Tchécoslovaquie emprunte plusieurs caractéristiques spécifiques au régime soviétique.
Tout comme dans les « pays satellites » contrôlés par l’Union soviétique, le régime communiste tchécoslovaque exerce un contrôle strict sur tous les aspects de la vie quotidienne : l’éducation, les arts, les médias et la culture furent soumis à une censure étatique et à une propagande procommuniste. L’idéologie du Parti est glorifiée et honorée par le biais de tous ces domaines.
De la même façon que le régime communiste en URSS, l’éducation est une arme de propagande tenace. Les plus jeunes citoyens tchécoslovaques, étant les plus vulnérables et manipulables, grandissent dans un système éducatif fortement idéologisé, mettant en avant les valeurs communistes.
Les manuels scolaires et les programmes d’études sont conformes à la doctrine du Parti communiste ; les enseignants ont pour obligation de promouvoir ces idéaux.
L’existence d’un parti unique va de pair avec l’instauration d’un régime totalitaire : l’existence d’une pluralité multipartite est réprimée, les opposants politiques sont torturés, emprisonnés ou contraints à l’exil.
La surveillance des citoyens tchécoslovaques est quotidienne : le service de renseignement tchécoslovaque, la StB, veille au maintien de la loyauté envers le Parti communiste et à la répression des dissidents anticommunistes. Une réelle méfiance émerge entre les citoyens : la dénonciation est pleinement intégrée dans le fonctionnement de la société tchécoslovaque.
La Tchécoslovaquie suit le modèle économique soviétique : l’économie est planifiée et contrôlée par l’État. La nationalisation des entreprises et des industries, la planification du quota de production, de la distribution et la décision des prix des biens et services, provoquent des pénuries récurrentes et une inefficacité économique.
Privée de la liberté de circulation, les citoyens ne pouvaient voyager librement, devaient posséder une autorisation spéciale pour sortir du territoire. Il va de soi que les voyages dans les pays occidentaux étaient durement surveillés et limités.
Ainsi, la vie quotidienne des citoyens tchécoslovaques était compliquée en raison des pénuries récurrentes, de l’absence de liberté individuelle et des restrictions politiques.
La nouvelle politique de Alexander Dubček
Le 5 janvier 1968, Alexander Dubček (1921-1992), homme politique tchécoslovaque et slovaque, devint Premier secrétaire du Parti communiste tchécoslovaque. Dès les premiers mois de son mandat, A. Dubček tenta de diffuser un « socialisme à visage humain » en Tchécoslovaquie.
Il souhaitait mettre en place une série de réformes comprenant une plus grande liberté d’expression, la participation du peuple tchécoslovaque à la vie politique, une décentralisation du pouvoir, la réintroduction d’un gouvernement multipartite et la fin du monopole du Parti communiste à la tête du pays.
Le renforcement des libertés civiles tel que l’assouplissement de la censure médiatique et politique, la mise en place d’une liberté d’expression et médiatique, était une volonté de A. Dubček.
Une décentralisation de l’économie était également prévue : A. Dubček voulait donner aux entreprises une plus grande autonomie dans l’économie locale. Profondément socialiste, A. Dubček souhaitait s’écarter du modèle soviétique, créer un modèle socialiste tchécoslovaque et établir des relations plus indépendantes avec d’autres pays, y compris ceux appartenant au bloc occidental.
Enfin, A. Dubček approuvait l’existence d’autres idéologies politiques en Tchécoslovaquie et favorisait la coexistence entre elles. Ainsi, la politique de libéralisation politique et culturelle de A. Dubček suscitait un grand espoir parmi de nombreux citoyens tchécoslovaques.
Cette période, caractérisée par une vague de liberté économique et sociale en Tchécoslovaquie, est appelée le « Printemps de Prague ».
Comment les dirigeants soviétiques ont-ils réagi face au mouvement de libéralisation politique en Tchécoslovaquie ?
La fin du Printemps de Prague
L’espoir du peuple tchécoslovaque d’un pays libre et démocratique s’effondre suite à un événement majeur. Le communisme se réimpose en tant que modèle politique unique.
L’invasion militaire de Prague
L’assouplissement du régime socialiste en Tchécoslovaquie et l’augmentation des différentes libertés économiques, sociales et individuelles prennent fin le 21 août 1968.
Profondément inquiets des nouvelles réformes en Tchécoslovaquie, les dirigeants soviétiques ainsi que d’autres membres du bloc de l’Est craignent une perte de contrôle et d’influence sur cet État satellite. Les représentants politiques des pays “satellites” redoutent une expansion d’un mouvement réformiste dans leur pays respectif.
Du 20 août 1968 au 21 août 1968, l’Armée soviétique ainsi que d’autres forces militaires du Pacte de Varsovie, une alliance militaire composée de pays du bloc de l’Est, envahissent les rues de Prague. L’objectif de cette intervention militaire : réprimer le mouvement réformiste en Tchécoslovaquie et rétablir un contrôle des plus stricts du Parti communiste tchécoslovaque sous la domination soviétique.
Les troupes militaires emploient la violence afin d’écraser toute forme de résistance. Des affrontements d’une grande brutalité entre les forces d’occupation et les citoyens tchécoslovaques marquent les rues de Prague.
À ce jour, le nombre de décès dans les deux camps varie en fonction des sources : selon les données, plusieurs centaines de personnes, comprenant citoyens tchécoslovaques et soldats soviétiques, perdirent la vie durant les affrontements.
Le mouvement étudiant lors du Printemps de Prague
Le mouvement étudiant joue un rôle significatif lors de l’invasion militaire. Les étudiants tchécoslovaques furent les premiers à exprimer leur mécontentement à l’égard du régime communiste en place et à soutenir les réformes politiques initiées par le dirigeant tchécoslovaque Alexandre Dubček.
Enthousiastes à l’idée d’un avenir démocratique, à la fin de la censure et à plus de libertés individuelles et économiques, les étudiants tchécoslovaques organisent des manifestations et des protestations massives à travers le pays afin d’exprimer leur soutien aux réformes de A. Dubček.
Les rues pragoises et celles d’autres villes sont occupées par les étudiants, exigeant une plus grande autonomie tchécoslovaque et la fin de l’influence soviétique dans le pays.
Après une journée de violentes confrontations, l’intervention militaire soviétique marque la fin du Printemps de Prague et ramène la Tchécoslovaquie sous un contrôle strict du Parti communiste. Les dirigeants tchécoslovaques, ceux qui étaient favorables aux réformes, furent contraints de démissionner ; les réformes établies par A. Dubček furent supprimées.
Quelle était la situation de la Tchécoslovaquie après le Printemps de Prague ?
Pendant plusieurs mois, les troupes soviétiques restèrent sur le territoire tchécoslovaque afin de rétablir un contrôle strict. Les dirigeants soviétiques voulurent s’assurer qu’un nouveau gouvernement, fidèle au régime soviétique, soit de nouveau à la tête du gouvernement.
La Tchécoslovaquie connaît alors une période de répression politique connue sous le nom de « normalisation ». La politique autoritaire du pays fit naître des protestations dans certains pays.
Durant cette période répressive, les autorités tchécoslovaques, favorables à l’influence soviétique, répriment toutes formes d’oppositions politiques et sociales. Sous ce nouveau régime répressif et pro-soviétique, les arrestations, les emprisonnements et la discrimination deviennent plus fréquents et intenses.
La censure et le contrôle de l’information sont rétablis ; les médias, sous contrôle du régime communiste, sont contraints de propager l’idéologie du Parti communiste. L’économie du pays, décentralisée sous A. Dubček, repasse à une économie planifiée avec une intervention du régime dans tous les secteurs. La Tchécoslovaquie replonge dans une économie instable et insuffisante pour le bien-être de ses citoyens. L’émigration est l’unique solution pour de nombreux intellectuels, artistes et citoyens opposés au régime, afin d’échapper à ce mode de vie dictatorial.
L’invasion soviétique à Prague laisse une profonde cicatrice dans la mémoire collective tchécoslovaque, symbolisant la répression brutale par une puissance étrangère. Un sentiment de méfiance et d’amertume envers l’Union soviétique persiste pendant de nombreuses années.
L’ultime geste de désespoir de Jan Palach
Étudiant tchèque en histoire à l’université Charles de Prague, Jan Palach (1948-1969) se sacrifie par auto-immolation afin de protester contre l’occupation soviétique de la Tchécoslovaquie et la répression politique qui a suivi le Printemps de Prague en 1968.
Le sacrifice de l’étudiant
Comme expliqué précédemment, la jeunesse tchèque de cette époque était préoccupée par la situation politique et sociale de la Tchécoslovaquie.
À la suite de l’intervention soviétique en août 1968, les étudiants étaient affectés et préoccupés par l’occupation répressive des Soviétiques dans le pays. Le 16 janvier 1969, Jan Palach se rendit sur la place Venceslas à Prague, s’aspergea d’essence et s’immola par le feu. Des passants tentèrent de le secourir : il fut transporté à l’hôpital avec de graves brûlures.
À travers ce geste extrême, il souhaitait attirer l’attention sur la suppression des libertés civiles et la répression politique sous le régime communiste en Tchécoslovaquie.
L’étudiant voulut dénoncer l’inaction de la société tchécoslovaque face à la suppression des libertés civiles et l’occupation totalitaire soviétique. Cette immolation était un appel à la résistance et à la communauté internationale sur la situation en Tchécoslovaquie.
L’étudiant voulait dénoncer l’inaction de la société tchécoslovaque face à la suppression des libertés civiles et l’occupation totalitaire soviétique. Cette immolation était un appel à la résistance et à la communauté internationale sur la situation en Tchécoslovaquie. Jan Palach décède de ses blessures le 19 janvier 1969.
Le décès de Jan Palach suscite de vives réactions en Tchécoslovaquie ; son sacrifice eut l’effet escompté. Son geste de désespoir éveille une conscience de résistance au sein de la population. Des manifestations et des rassemblements de protestations par le peuple tchécoslovaque sont réprimés par le gouvernement communiste.
Le sort tragique de Jan Palach attire également l’attention de la communauté internationale sur le gouvernement autoritaire communiste en Tchécoslovaquie. Le régime communiste renforce alors son autorité suite à l’immolation de l’étudiant, ce qui suscite davantage de critiques internationales envers les pouvoirs communistes.
Jan Palach est devenu un symbole de la résistance et du désir de liberté face à l’oppression politique.
La figure nationale tchéque de Jan Palach
À ce jour, Jan Palach est un symbole de résistance et de liberté face à l’oppression soviétique en 1968. Perçu comme un héros national en Tchéquie, son immolation est considérée comme un sacrifice au nom de la démocratie.
La figure de Jan Palach est dans la mémoire collective tchèque : son image est représentée dans la culture moderne que ce soit dans des œuvres artistiques, des films, des livres ou dans des manifestations publiques.
Dans les programmes scolaires, l’héritage de Jan Palach est enseigné et valorisé.
Chaque année, le 19 janvier, anniversaire de la mort de Jan Palach, a lieu une commémoration en hommage à Jan Palach en République tchèque.
Plusieurs événements sont organisés pour rappeler son sacrifice et son rôle symbolique dans la lutte pour la liberté tchécoslovaque.
Quelques sources et liens utiles
MARES Antoine, Histoire des Tchèques et des Slovaques, Tempus Perrin, 2005.
MAYER Françoise, Palach 1969, anatomie d’une réception. Communication & management, 2018.
SITRUK Anthony, La vie brève de Jan Palach, Le Dilettante, 2018.