L'ouvrage coup de cœur d'avril : Petit dictionnaire des Sales Boulots par Nicolas Méra

Gwangju, 18 mai 1980 : la colère des étudiants envers la dictature

Marquée par une répressive colonisation japonaise et victime des décisions des Alliés, la Corée du Sud connaît de nombreuses périodes d’instabilité politique au cours du XXème siècle. En 1980, le Soulèvement de Gwangju eu des conséquences majeures dans l’histoire de la démocratisation en Corée du Sud. Par la suite, le mouvement sera reconnu comme un symbole de la démocratisation sud-coréenne.
Photos des victimes du soulèvement dans le hall mémoriel du Cimetière national de Gwangju - Schlarpi | Domaine public
Photos des victimes du soulèvement dans le hall mémoriel du Cimetière national de Gwangju – Schlarpi | Domaine public

Célèbre pour l’une des révoltes les plus importantes du pays, la ville de Gwangju en Corée du Sud, porte le souvenir d’une tragédie nationale entre civils et militaires. Cet épisode de l’histoire sud-coréenne est synonyme de violentes répressions des forces armées sud-coréenne contre les manifestants, pour la plupart, étudiants. De nos jours, le nombre officiel de victimes de la répression reste confus malgré la mise en place d’une mémoire nationale depuis la reconnaissance de l’événement par l’État en 1988.

Le Soulèvement de Gwangju représente la finalité des multiples instabilités politiques au cours du XXème siècle. Afin de comprendre la portée symbolique du soulèvement, il est nécessaire de mentionner les différentes périodes politiques de la Corée du Sud depuis de la Seconde Guerre mondiale afin de réaliser l’importance du Soulèvement de Gwangju.

La Corée durant la Seconde Guerre mondiale

En 1910, suite à la guerre russo-japonaise, la Corée est annexée par le Japon. Le Japon impose une forte période de domination politique, économique et culturelle. La Corée est victime d’une japonisation visant à effacer toute identité culturelle coréenne et à promouvoir la culture japonaise : la langue japonaise est imposée dans les écoles, les noms coréens sont japonisés et les symboles culturels coréens sont censurés. Entre de 1910 à 1945, la Corée est privée de ses ressources naturelles et industrielles au profit de l’économie japonaise.

En 1940, suite à l’entrée du Japon dans la Seconde Guerre mondiale, les coréens ont l’obligation de travailler dans des conditions difficiles au nom de l’effort de guerre japonais et de leur expansion économique.

Manifestation pacifique à Séoul en 1919 - Bureau d'information | Domaine public
Manifestation pacifique à Séoul en 1919 – Bureau d’information | Domaine public

La Corée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale

En 1945, la défaite du Japon entraîne la fin de sa domination en Corée.

Carte de la péninsule coréenne suite à la division entre Soviétiques et Américains en 1945 | Domaine public
Carte de la péninsule coréenne suite à la division entre Soviétiques et Américains en 1945 | Domaine public

L’avenir du pays devient une question préoccupante parmi les vainqueurs : en 1945, à la conférence de Yalta, les Alliés (Royaume-Uni, Union soviétique, États-Unis) trouvent un commun accord.

Les pays vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale prennent la décision de diviser la Corée en deux zones d’occupations : les Soviétiques prennent le contrôle du nord de la Corée et les Américains, le sud.

Entre 1945 et 1950, la Corée connaît des événements majeurs pour son avenir : en 1948, la République de Corée du Sud et la République populaire démocratique de Corée du Nord sont créées avec deux gouvernements distincts.

Cette situation devait être temporaire en attendant des élections nationales afin de réunifier la Corée.

Cette division gouvernementale et territoriale idéologique provoque des tensions entre les deux Corées au point où les élections prévues sont annulées.

En 1950, la tension entre les deux Corées atteint son point culminant : les forces nord-coréennes, soutenues par l’Union soviétique et la Chine communiste, déclenchent une guerre en envahissant la Corée du sud, soutenue par les États-Unis. En 1953, un cessez-le-feu est signé ; après trois ans de conflits, le bilan humain est lourd et le territoire inchangé. Cette guerre engendre de profondes conséquences géopolitiques et sociétales entre les deux Corées jusqu’à aujourd’hui.

L’expansion de la Corée du Sud à la sortie de la guerre

Entre 1953 et 1980, la Corée du Sud voit des changements significatifs dans le domaine politique, économique et social.

Le premier président de la Corée du Sud : Syngman Rhe (1875-1965)

À la fin de la guerre, le pays connaît une stabilisation politique et une rapide croissance économique. Syngman Rhee, président de 1948 à 1960, souhaite une reconstruction économique instantanée et l’ouverture de la Corée du Sud aux investissements étrangers. Cette nouvelle politique provoque un développement industriel et hisse le jeune pays parmi les grandes puissances économiques.

Cependant, le président Syngman Rhee fut accusé de fraudes électorales et de répressions politiques. En réponse à ce régime autoritaire, des manifestations massives éclatent dans le pays. L’opinion publique réclame la démission du président Syngman Rhee : le pays plonge dans une instabilité politique qui ne cesse d’évoluer…

La politique de général de Park Chung-Hee (1917-1979)

En 1961, le général Park Chung-Hee, par un coup d’État militaire, renverse le gouvernement civil (gouvernement qui fonctionne selon les principes de la démocratie populaire) mis en place après la démission du président Syngman Rhee. Durant près de vingt ans, le général Park Chung-Hee instaure un régime répressif : il limite les libertés civiles et politiques, censure les médias et instaure des élections frauduleuses. Cette politique autoritaire existe en parallèle à un développement économique fulgurant. La Corée du Sud connaît une croissance économique et une modernisation impressionnante en investissant dans le progrès éducatif et technologique.

Le 26 octobre 1979, le chef, Kim Jae-Gyu, agence de renseignement sud-coréenne assassine le général Park Chung-Hee. Cet assassinat marque la fin de la répression politique et des violations des droits de l’Homme : les opinions divergent concernant l’héritage de sa présidence

Dans les années 1970, le peuple coréen demande des réformes politiques pour une démocratisation du pays. En réponse à ces protestations, en 1972, Park Chung-Hee renforce son autorité avec la promulgation d’une nouvelle constitution. Pour autant, les protestations et les mouvements démocratiques persévèrent.

Visite du président coréen Park Chung-Hee en 1964 en République fédérale d'Allemagne | Domaine public
Visite du président coréen Park Chung-Hee en 1964 en République fédérale d’Allemagne | Domaine public

Le responsable du Soulèvement de Gwangju : le général Chun Doo-Hwan (1931-2021)

Après le décès de Park Chung-Hee, s’ensuit une période d’instabilité politique.

Le général Chun Dwoo-Hwan en 1985- AL Chang | Domaine public
Le général Chun Dwoo-Hwan en 1985- AL Chang | Domaine public

Son successeur, Choi Kyu-Ha (1919-2006), Premier ministre sous Park Chung-Hee, devient président de la Corée du Sud ; le pays subit des manifestations et des troubles civils dû aux turbulences politiques.

Les mouvements étudiants et les mouvements pro-démocratiques demandent la fin du régime autoritaire instauré par l’ancien président, Park Chung-Hee, et des réformes politiques pour une démocratisation du pays.

Ainsi, sous Choi Kyu-Ha, la Corée connaît une brève phase de démocratisation jusqu’à son renversement.

En décembre 1979, Chun Doo-Hwan, chef de la sécurité militaire, organise un coup d’État militaire mettant fin à la brève présidence de Choi Kyu-Ha.

En réponse à cette dictature militaire, des mouvements étudiants s’intensifient dans les universités du pays. En parallèle, des manifestations pro-démocratie sont organisés dans le pays. Leurs mécontentements sont réprimés et les militants arrêtés. La Corée du Sud devient la scène de nombreuses protestations contre le régime de Choi Kyu-Ha ; l’étouffement des manifestations provoque le mécontentement général du pays.

Le Soulèvement de Gwangju (18 mai-27 mai 1980)

La chronologie du soulèvement

Gwangju, capitale de la province du Jeolla du Sud, est l’un des foyers de l’opposition contre la dictature militaire. Les habitants de Gwangju sont particulièrement actifs dans la lutte contre le gouvernement militaire et en faveur d’un régime démocratique. La ville connaît de fortes manifestations de la part des étudiants de l’Université nationale de Chonnam. Les protestations s’intensifiant, la ville devient une préoccupation majeure pour le gouvernement militaire.

En réponse à la propagation des manifestations dans le pays, l’autoritarisme de Choi Doo-Hwan atteint son apogée lors de la déclaration de la loi martiale d’urgence le 17 mai 1980 à minuit dans l’entièreté du pays.

Qu’est-ce que la loi martiale ?

Cette loi permet de placer le pays sous contrôles des forces armées. Les réglementations militaires suppriment les droits civils tels que la mise en place d’un couvre-feu, la fermeture des universités et un contrôle des médias accentué. Avec ou sans la collaboration de la police, l’armée assure le maintien de l’ordre et gère les troubles politiques.

La promulgation de cette nouvelle loi provoque une colère grandissante chez les étudiants, les travailleurs et les citoyens dans la ville de Gwangju.

Le 18 mai 1980, premier jour du soulèvement, les étudiants de l’Université national de Chonnam manifestent contre la loi martiale en vigueur dans le pays depuis vingt-quatre heures. En réponse à la colère des étudiants, le gouvernement envoie les forces armées, ordonne une répression violente et instaure la loi martiale au sein même de Gwangju. Ce jour-ci, des centaines d’étudiants sont arrêtés par les forces de l’ordre.

Bien que toute diffusion d’information sur la situation de Gwangju soit contrôlée par le gouvernement, les répressions militaires subies par les citoyens de Gwangju circulent dans le pays. Des groupes pro-démocratiques et des citoyens montrent leur soutien et leur solidarité envers les citoyens de Gwangju en manifestant, à leur tour, dans les autres régions du pays.

Le 21 mai 1980, depuis le début des brutalités, des armes à feu sont employés par les forces de l’ordre. Des balles réelles remplacent les matraques et les armes blanches, utilisées jusqu’alors. Dans la ville de Jeonju, ville située à 80 km de Gwangju, une fusillade de masse devant un des bâtiments administratifs de la ville cause la mort de citoyens et d’étudiants venus protester contre la dictature militaire et les répressions subies par les citoyens de la ville de Gwangju.

Cette tuerie entraîne une indignation croissante parmi les habitants de Gwangju : les manifestations s’intensifient, les ouvriers et les syndicats rejoignent le mouvement, les chauffeurs de taxi et de bus participent à l’évacuation des blessés.

Les manifestants décident de s’armer, les forces militaires connaissent une forte résistance de la part des citoyens de Gwangju : l’armée reçoit l’ordre de se retirer dans la périphérie de la ville.

Bien que la ville traverse des tensions majeures, la solidarité entre les habitants ne ternit pas. Les citoyens font preuve d’entraide et de civisme. Aucun cambriolage n’est signalé dans les banques et dans les magasins. Devant les hôpitaux, la file pour donner son sang s’allonge. Dans les rues, des aides alimentaires sont distribués et certains participent aux nettoyages des rues.

Le 27 mai 1980, les forces armées reviennent dans la ville. Cette date marque la fin du soulèvement de Gwangju : la lutte dura dix jours et fut réprimée dans la violence par les forces militaires. Le soulèvement finit dans la tragédie.

Le bilan humain

À ce jour, les chiffres officiels de morts, de blessés, d’emprisonnés et de disparus soulèvent un débat. Le nombre de victimes du soulèvement varient selon différentes les sources : selon les sources officielles, des centaines de civils furent tués, emprisonnés, ou blessés. Les rapports indépendants, quant à eux, estiment près de 1 000 morts durant le soulèvement de Gwangju. Les sources officielles tentent de minimiser le nombre exact de victimes ; il reste compliqué de rendre un bilan humain précis du nombre de victimes de cette tragédie.

L’hommage aux victimes

En 1997, le Cimetière national de Gwangju, grand complexe funéraire, est construit afin d’honorer la mémoire des personnes ayant perdu la vie lors du soulèvement.

Cimetière national de Gwangju - Rhythm | Domaine public
Cimetière national de Gwangju – Rhythm | Domaine public

Le cimetière devient un lieu de recueillement et de commémoration pour les familles et pour les citoyens sud-coréens.

Par la suite, le 18 mai est décrété comme une journée nationale en Corée du Sud. Des cérémonies et des événements sont organisés afin de rendre hommage aux défenseurs de la liberté.

Quel avenir pour la Corée du Sud suite au Soulèvement de Gwangju ?

Les conséquences politiques

Le Soulèvement de Gwangju eut un tournant crucial dans l’histoire politique et sociale en Corée du Sud.

Les répressions militaires à Gwangju éveillent une attention de la communauté internationale sur la situation politique et sociale en Corée du Sud. Le président Chun Doo-Hwan connaît des pressions diplomatiques internationales condamnant fermement les violences de Gwangju et le régime autoritaire du pays.

La même année que le Soulèvement de Gwangju, Chun Doo-Hwan annonce l’organisation des élections démocratiques. En 1987, la Corée du Sud connaît ses premières élections présidentielles démocratiques : Chun Doo-Hwan ne soumet aucune candidature mais Roh Tae-Woo (1932-2021), un de ses proches collaborateurs, se présente et devient président de la Corée du Sud par voie démocratique.

Bien que Roh Tae-Woo soit proche de Chun Doo-Hwan, sa présidence, entre 1988 et 1993, marque le début d’un état démocratique en Corée du Sud. La fin progressive du régime autoritaire est remplacée par l’instauration d’un gouvernement civil et d’une nouvelle constitution mettant un terme la succession automatique du pouvoir entre généraux.

Les conséquences sociétales

En 1988, le gouvernement sud-coréen reconnaît le massacre du 18 mai 1980 à Gwangju. Le peuple sud-coréen demande réparation pour préjudice moral. En 1997, huit hommes dont Chun Doo-Hwang et Roe Tae-Woo sont condamnés à une réclusion à perpétuité pour leurs responsabilités durant le Soulèvement de Gwangju. Contre toute attente, en 1997, Chun Doo-Hwan et Roe Tae-Woo seront graciés par le président Kim Young-Sam (1929-2015). Cette décision provoque des critiques au sein du peuple sud-coréen.

À ce jour, la société sud-coréenne honore la mémoire du Soulèvement de Gwangju : les événements du 18 mai 1980 appartiennent à la mémoire collective du pays et symbolisent la lutte pour la démocratie et les droits de l’Homme en Corée du Sud.

Le soulèvement de Gwangju joua un rôle essentiel dans le processus de démocratisation en Corée du Sud affirmant la nécessité de mettre fin à l’autoritarisme militaire et en conduisant à des réformes politiques majeures. Il est considéré comme un moment clé de l’histoire sud-coréenne qui a contribué à façonner la Corée du Sud moderne en tant que démocratie.

Quelques liens et sources utiles

DAYEZ-BURGEON Pascal, Histoire de la Corée : des origines à nos jours, 2019.

DU BOISBAUDRY Cédric, Dictionnaire insolite de la Corée du Sud, 2018.

HYUN Jeong-Im, Mouvement étudiant en Corée du Sud, 2005.

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