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Julie-Victoire Daubié, première bachelière française

Au XIXe siècle, la réussite d’une femme au baccalauréat était impensable. C’est pourtant la victoire que va obtenir Julie-Victoire Daubié.
Portrait de Julie-Victoire Daubié - Pierre PETIT | Domaine public
Portrait de Julie-Victoire Daubié – Pierre PETIT | Domaine public

De nos jours, le baccalauréat est accessible à tous et chaque année un nombre important de Français et de Françaises sont lauréats de cet examen. Pourtant, cela n’a pas toujours été le cas. Il représente même pour certains une victoire après un long combat. En effet, il n’y a pas si longtemps, au XIXe siècle, il était impossible d’envisager la réussite d’une femme à cet examen. C’est pourtant le combat que mène Julie-Victoire Daubié pendant une partie de sa vie. 

Un combat pour l’accès à une meilleure éducation pour les filles

Le cadre scolaire : un cadre limité pour les jeunes filles

Au XIXe siècle, le cadre scolaire reste très restreint et encore plus pour ce qui concerne l’instruction féminine. En effet, il se scinde entre le primaire et le secondaire. Le primaire permet aux enfants d’apprendre à lire, écrire et compter. Il se termine par l’acquisition du certificat d’étude vers l’âge de 12 ou 13 ans. Le secondaire est, quant à lui, réservé, sauf exception, à la classe bourgeoise et dominante, car il n’est ni obligatoire ni public. C’est à la fin du secondaire que les étudiants obtiennent leur baccalauréat.

Une leçon de couture dans une classe de filles à Hellemmes - Inconnu | Domaine public
Une leçon de couture dans une classe de filles à Hellemmes – Inconnu | Domaine public

Au cours du XIXe siècle, des lois viennent faire évoluer le système scolaire du primaire. Ainsi, en 1833, la loi Guizot oblige la création d’au moins une école primaire de garçon dans toutes les communes de plus de 500 habitants.

Cette loi est complétée, en 1850, par la loi Falloux qui oblige la création d’une école de filles dans toutes les communes de plus de 800 habitants. Le seuil est mis à égalité en 1867 par la loi Duruy.

Ces lois permettent de rendre l’école primaire plus accessible, mais elle reste inégalitaire. L’enseignement est, en effet, toujours différencié entre les filles et les garçons. Les jeunes filles apprennent à réaliser des travaux d’aiguilles et des tâches domestiques alors que les jeunes garçons s’attellent à des tâches pratiques et scientifiques.

Être une femme : un statut particulier dans la France du XIXe siècle

À cette époque, les femmes sont perçues comme des êtres fragiles à protéger. Les représentations prêtent aux femmes une fragilité naturelle et biologique qui s’oppose, selon la logique de l’époque, à la force naturelle des hommes. Cette « fragilité naturelle » permet de servir la théorie d’une nécessaire éducation spécifique pour celles-ci. Cette théorie permet aussi de définir le rôle spécial des femmes dans la société : un rôle d’épouse et de mère. Cette époque entretient donc la promotion du rôle de la « ménagère ». Ce terme désigne les femmes qui s’occupent de l’entretien de leur maison et du soin de ses enfants. L’éducation des jeunes filles est ainsi orientée vers ce rôle idéalisé par la société du XIXe siècle.  

Par l’exception qu’elle représente, Julie-Victoire Daubié déconstruit ses stéréotypes de genre. En effet, elle parvient à prouver que les femmes sont également capables de réfléchir. En réussissant cet examen prestigieux qui fait la fierté de nombreux hommes, elle dément la théorie d’une infériorité naturelle des femmes.

Julie-Victoire Daubié : une exception dans le système scolaire du XIXe siècle

Portrait de Julie-Victoire Daubié - Pierre PETIT | Domaine public

Des origines vosgiennes

Julie-Victoire Daubié voit le jour en 1824, dans une commune de l’est de la France, Bains-les-Bains. Son père y occupe un poste dans la Manufacture royale. Elle est la huitième enfant de la famille.

Cependant, son père décède avant ses deux ans. Sa mère déménage alors, à quelques kilomètres, chez ses beaux-parents à Fontenoy-le-Château. Julie-Victoire Daubié y grandit dans un milieu de la petite bourgeoisie catholique.

Comme l’indiquent les registres paroissiaux, elle suit, par ailleurs, tout comme ses frères et sœurs des leçons de catéchisme à Fontenoy.

Portrait de Julie-Victoire Daubié – Pierre PETIT | Domaine public

Une étudiante pas comme les autres

Son parcours débute pourtant de façon commune. Julie-Victoire Daubié est scolarisé en primaire. Elle décide, à la fin de celui-ci, de poursuivre ses études pour devenir institutrice. Elle obtient en 1844 son brevet de capacité. Cependant, la féminisation de la profession reste difficile et aucun poste ne s’offre à elle. C’est ainsi qu’elle devient préceptrice dans la région de Bâle. En parallèle, son frère séminariste lui fait des leçons particulières de Grec et de Latin. Ces matières ne font, en effet, pas partie des matières enseignées aux jeunes filles.

Elle devient une femme de lettres puisqu’elle rédige et un publie un mémoire : La femme pauvre au XIXe siècle. Il lui vaut le prix du concours de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon en 1859. Elle y dénonce le manque d’éducation des ouvrières.

Julie-Victoire Daubié a donc les capacités intellectuelles pour obtenir le baccalauréat. Il lui faut, néanmoins, de la ténacité et de la volonté. Le chemin n’est pas simple pour venir à bout du combat qui se dresse devant elle quand elle demande à passer le baccalauréat.  

Le baccalauréat : son combat

Les difficultés rencontrées par Julie-Victoire Daubié

Elle décide de se présenter aux épreuves du baccalauréat car, rien ne l’en empêche au niveau formel. Il n’est inscrit nulle part qu’il est interdit à une femme de s’y inscrire. De plus, elle possède les connaissances pour l’obtenir.

Cependant, à la suite de cette décision, elle se confronte à plusieurs obstacles. Le premier est le refus de nombreuses universités à cette candidature hors norme. Parmi elles, on retrouve l’université de Paris ou encore l’université d’Aix-en-Provence. L’université de Paris donne d’ailleurs le prétexte que ce diplôme est contraire au rôle des femmes dans la société et donc complètement inutile.

C’est finalement l’université de Lyon qui lui permet de concourir à l’examen. Elle a alors 37 ans. Deux hommes ont permis cette évolution. M. Francisque Bouillier, le doyen de l’université, à accepter la responsabilité de cette décision et le saint-somoniste, M. Arlès Dufour, à plaider la cause de la jeune femme à Paris. Avec cinq boules rouges, une boule noire et une boule blanche (système de notation de l’époque), son examen est jugé passable. Elle obtient, de cette façon, le grade de bachelier ès-lettres sous le nom de « sieur Daubié ».

Cependant, l’obtention du diplôme qui rend compte de cette réussite représente une deuxième difficulté. Le ministre de l’instruction publique, Gustave Rouland, fait obstruction, car il juge déshonorant qu’une femme obtienne ce diplôme. Le diplôme est, tout de même, délivré à Julie-Victoire Daubié le 17 mai 1862 grâce à l’intervention de l’impératrice Eugénie.  

La victoire de Julie-Victoire Daubié et ses conséquences pour les futures étudiantes

Julie-Victoire Daubié devient donc en 1861 la première lauréate du baccalauréat en France. Toutefois, le mot « bachelier » obtient sa féminisation de « bachelière » seulement en 1871. Comme Ada Lovelace, la première programmeuse informatique ou, plus tard, Mary Treat, pionnière de la biologie, Julie-Victoire Daubié devient une pionnière dans l’accès à l’éducation des jeunes filles. De cette façon, elle ouvre la voie à d’autres étudiantes. Celles-ci sont, cependant, peu nombreuses et de nouveaux obstacles entravent l’obtention de ce diplôme après cette victoire.

Après le baccalauréat, Julie-Victoire obtient une licence de lettres. Elle poursuit sa carrière d’enseignante et d’auteur d’essais. Elle persévère aussi dans le combat pour la défense de la condition féminine. Elle milite, dans ce but, pour le travail des femmes et leur instruction. Ce combat se retrouve dans la publication d’un nouveau mémoire : Du progrès dans l’enseignement primaire. Justice et Liberté !

Pour conclure, Julie-Victoire Daubié mène un combat qui crée une brèche dans le système scolaire peu ouvert aux femmes au XIXe siècle. Cette exception créée par Julie-Victoire illustre les combats féministes de ce siècle. Ils s’intéressent de plus en plus à l’éducation des filles et de ses possibles facteurs d’autonomisation des femmes.

De nouvelles lois scolaires voient le jour dans les années suivantes. La loi Camille See, qui garantit un enseignement secondaire féminin, en est un exemple. Cependant, cet enseignement continue d’être essentialisé à la formation du rôle de future épouse et de mère. Il faut également noter que malgré cette avancée, le baccalauréat féminin n’apparaît qu’en 1919. C’est véritablement en 1924 que l’épreuve du baccalauréat est uniformisée. Elle devient, par conséquent, identique pour les garçons comme pour les filles.

Quelques liens et sources utiles

Beauvalet-Boutouyrie, Scarlett, et Emmanuelle Berthiaud. Le Rose et le Bleu. La fabrique du féminin et du masculin. Cinq siècles d’histoire. Belin, 2016

Christen-Lécuyer, Carole. « Les premières étudiantes de l’Université de Paris », Travail, genre et sociétés, vol. 4, no. 2, 2000, pp. 35-50.

Perrot, Michelle. Les femmes ou Les silences de l’histoire. Nouvelle édition. Flammarion, 2020

Ripa, Yannick. Femmes d’exception. Les raisons de l’oubli. Le Cavalier Bleu, 2018

 Gilles Laporte, Julie Victoire le roman de Julie Victoire Daubie première bachelière de France, ESKA, 2013

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