L'ouvrage coup de cœur d'avril : Petit dictionnaire des Sales Boulots par Nicolas Méra

La Guerre des émeus : la honte de l’armée australienne

En 1932, un évènement insolite se déroule : une guerre entre émeus et humains éclate dans l’Ouest Australien, avec pour vainqueur les émeus.
Soldats se reposant durant la Guerre des émeus | Inconnu - Domaine Public
Soldats se reposant durant la Guerre des émeus | Inconnu – Domaine Public

En 1932 les fermiers australiens de Campion et de Walgoolan font appel à l’armée australienne pour faire face à un ennemi des plus incongrus : des émeus. En effet, la migration de ce grand oiseau terrestre est redoutable pour les cultures agricoles de la région affectée, surtout qu’elle fait suite à une période économique difficile pour les fermiers. C’est pourquoi lorsque aucune de leur solution ne semble faire effet pour dissuader ou tuer les émeus qui détruisent leurs récoltes, ces derniers font appel à l’armée. Et pourtant, malgré l’emploi d’un minigun, la participation de l’armée et l’utilisation de techniques d’embuscades, les émeus demeurent. Les médias déclarent alors que la Guerre des émeus s’est soldée par la victoire des émeus.

L’histoire est jonchée de conflits et de guerres qui ont forgé le cours de l’humanité. Il y a néanmoins des épisodes qui sortent de l’ordinaire. La Guerre des émeus de 1932 en Australie en est un. Malgré son nom, cette « guerre » était en réalité une opération militaire menée contre une population d’émeus. Cet épisode historique intrigue et amuse, mais il illustre aussi la complexité de la coexistence entre l’homme et la faune sauvage.

Les origines de la Guerre des émeus

La situation agricole des années 30 en Australie

Au début des années 30, l’Australie-Occidentale fut confrontée à des conditions agricoles et économiques difficiles. En effet, si les récoltes de blé étaient fructueuses en quantité, à la demande du gouvernement, la Grande Dépression mondiale a eu un impact significatif sur l’économie de l’Australie-Occidentale, entraînant une baisse des prix des produits agricoles considérable.

Ne pouvant pas vendre leur quantité conséquente de blé à un prix correct, beaucoup de fermiers ont entreposé leur récolte en attendant que le prix du blé augmente. Ce qui n’arriva pas. Le prix du blé entre 1929 et 1932 ne fit que baisser. Les fermiers ont alors dû vendre leur blé à un prix encore plus dérisoire que celui qui leur avait été proposé quand ils ont décidé d’entreposer.

En 1932, les fermiers sont donc engrangés dans cette succession de difficultés financières liées à la Grande Dépression. Cependant, les choses s’empirent pour les fermiers de Campion et Walgoolan. En effet, les agriculteurs, déjà confrontés à une crise économique, voient désormais les émeus en pleine migration détruire leurs cultures, aggravant ainsi leurs problèmes financiers.

La migration des émeus

Depuis aussi longtemps que l’on sache, les émeus migrent au Nord en été et au Sud en hiver. Ce phénomène est d’ailleurs plus étudié dans l’Australie-Occidentale, car ils suivent un trajet spécifique. Lors de ces migrations, les émeus voyagent en large troupeau. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle des barrières empêchant les émeus, et d’autres nuisibles, de passer furent construites dans la plupart de l’Ouest Australien au début du XXe siècle. Cependant, en 1932, la dégradation de ces barrières et une sècheresse poussèrent les émeus à s’aventurer plus au centre des terres australiennes qu’à leur habitude pour chercher de l’eau. Leur migration a alors touché les terres agricoles de la région du Campion et de Walgoolan, pourtant assez loin des côtes.

L’appel à l’aide

Face à la destruction de leurs récoltes, les fermiers de ces régions, ayant pour la plupart un bagage militaire, ont tenté diverses solutions pour dissuader ou éliminer ces oiseaux. Cependant, aucune de ces mesures n’a été efficace, poussant les fermiers à faire appel à l’armée australienne. Ils espéraient ainsi obtenir des armes plus adéquates, comme un minigun, pour faire face à cette menace inattendue. Le minigun, arme proche de la mitraillette bien que plus lourd, permet une vitesse de tir bien supérieure à celle d’une arme à feu régulière. C’est d’ailleurs pourquoi les fermiers de ces régions se sont tournés vers l’armée, qu’on leur prête au moins une arme plus adéquate contre les émeus.

Soldats armés d’un minigun lors de la Guerre des émeus | Inconnu - Domaine Public
Soldats armés d’un minigun | Inconnu – Domaine Public

Une guerre entre émeus et militaires australiens

L’intervention militaire

Ce fut tout d’abord 2 militaires, le sergent McMurray et l’artilleur O’Halloran armés chacun d’un minigun qui furent déployés par le ministre de la Défense Australienne, George Pearce, pour gérer la situation. Cependant, dès le début, les choses ne se sont pas déroulées comme prévu.

Les émeus se sont avérés rapides et agiles, rendant difficile leur élimination. De plus, les miniguns ont rapidement montré des signes de dysfonctionnement en raison du sable du désert australien. Leurs adversaires aviaires se dispersaient donc rapidement au moindre bruit de tir, rendant la tâche encore plus compliquée pour les soldats. Les émeus sont également particulièrement résistants aux balles. L’un des émeus abattus vers les dernières opérations militaires fut retrouvé avec cinq balles enfouies dans son corps, n’ayant succombé qu’à la dernière. Les autres balles dataient de plusieurs affrontements précédents.

Puisque l’affrontement frontal s’est avéré inutile dû à la rapidité des émeus, et ce dès la première opération militaire le 2 novembre 1932, les artilleurs ont alors tenté l’embuscade. Cependant, les dysfonctionnements des miniguns ont été un frein conséquent à quelconque tentative militaire, y compris les embuscades.

Du côté des émeus, une organisation militaire se créait également comme l’écrit le major Meredith, en charge des opérations militaires de la Guerre des émeus, dans l’un de ses rapports :

Les émeus ont prouvé qu’ils n’étaient pas aussi stupides qu’on le croit généralement. Chaque groupe a son meneur, un gigantesque oiseau à plumes noires mesurant près d’un mètre quatre-vingts, qui monte la garde pendant que ses congénères s’occupent du blé. Au premier signe suspect, il donne le signal et des douzaines de têtes se dressent hors de la culture. Quelques oiseaux prennent peur et se lancent dans une course effrénée vers les broussailles, tandis que le chef de file reste toujours en place jusqu’à ce que ses compagnons aient atteint la sécurité.

Major Gwynydd Purves Wynne-Aubrey Meredith

La défaite humaine de la Guerre des émeus

Le bilan militaire de la Guerre des émeus est désastreux pour les humains. En effet, bien que les militaires n’aient compté aucune perte, chaque opération s’est soldée par un nombre de balles utilisées énormément supérieur au nombre d’émeu abattu. Le meilleur ratio obtenu ne dépassa pas 1 émeu abattu pour 10 balles tirées.

Alors, après plusieurs jours de tentatives infructueuses, l’opération a été abandonnée. Seules quelques centaines d’émeus ont été tués, et les dégâts aux cultures n’ont pas été significativement réduits. La Guerre des émeus s’est donc soldée par une victoire pour les grands oiseaux australiens, qui ont continué à parcourir la région à leur guise.

Un homme tenant un émeu abattu durant la Guerre des émeus | Inconnu - Domaine Public
Un homme tenant un émeu abattu | Inconnu – Domaine Public

La représentation médiatique de la guerre des émeus

De par sa nature insolite, la Guerre des émeus a suscité l’intérêt des médias locaux et internationaux. Cependant, l’émeu est l’animal symbolique de l’Australie. De fait, bien que les évènements de la Guerre des émeus furent suivis avec attention par les reporters et les lecteurs, l’attention fut vite transformée en dérision. Cette solution offensive fut vivement critiquée que ce soit à l’international ou au niveau local.

Comme le fait savoir Murray Johnson dans son article, l’intervention militaire fût une tentative de propagande, notamment car les militaires étaient accompagnés de caméraman. Le but de cette opération était donc de montrer que malgré les temps économiques difficiles, le gouvernement restait à l’écoute et à disposition des fermiers australiens. Malheureusement pour le gouvernement australien, cette tentative de propagande a échoué.

En effet, le gouvernement a été largement critiqué et même moqué pour avoir choisi l’offensive contre ces oiseaux symboles de l’Australie plutôt qu’une solution moins immédiate mais plus durable. Rowland James, président du Parti ouvrier Australien Lang Labor, s’est même permis de se moquer ouvertement de cette guerre des émeus lors d’une conférence de presse en novembre 1932. Il a pour cela demandé au Premier ministre si le gouvernement affublerait les soldats ayant combattu dans cette « guerre » d’une médaille.

De nos jours, la Guerre des émeus reste un sujet assez récurrent dans les pays anglophones et surtout en Australie. En effet, la défaite militaire australienne face à un adversaire qui n’a jamais riposté est source d’hilarité, au point même de rentrer dans le panthéon anglophone des mèmes, références culturelles reproduites généralement en photo ou en dessins sur le web.

Bien que cette opération militaire apparaisse futile et même humoristique, elle soulève cependant des questions plus profondes sur les relations entre l’homme et la faune sauvage, ainsi que sur la manière dont les gouvernements gèrent les conflits liés à la nature. La Guerre des émeus est devenue un mème culturel en Australie justement car elle symbolise l’absurdité de certains choix gouvernementaux.

Dans son article intitulé « Tell me, mate, what were emus like ? », ou en français « Dis-moi, à quoi ressemblaient les émeus ? », Adrian Burton apporte une approche écologique à cet affrontement. Il critique alors le choix d’exterminer une espèce animale, et spécifiquement l’espèce symbolique de leur pays, alors que celle-ci reproduisait un chemin de migration datant d’avant la colonisation humaine du territoire Australien. Il mentionne également que cette guerre des émeus a signé la raréfaction des émeus.

Après la défaite face à l’espèce aviaire, le gouvernement a choisi d’offrir une récompense à tous ceux qui tueraient un émeu. Rien que sur une période de six mois en 1934, environ 57 000 émeus furent tués pour cette récompense. Ces chiffres indiquent par ailleurs que la technique purement offensive et immédiate des militaires australiens était inefficace par rapport à celle de la chasse à la prime au vu de la différence flagrante de résultat.

Toutefois, on peut faire un parallèle entre l’opération militaire Highjump, qui a contribué à développer l’imaginaire de l’Antarctique, et la Guerre des émeus. En effet, cette dernière a développé l’imaginaire de l’Australie en intensifiant le sentiment d’indomptabilité des animaux qui y vivent.

Quelques sources et liens utiles :

A Special Correspondent, “New Strategy in a War on the Emu.” Sunday Herald, 5 Juillet 1953, p. 13.

Johnson, Murray, “‘Feathered foes’: Soldier settlers and Western Australia’s ‘Emu War’ of 1932.” Journal of Australian Studies, Vol. 30, N°88, 2006, pp. 147-157.

Burton, Adrian, “Tell me, mate, what were emus like?” Frontiers in Ecology and the Environment, Vol. 11, N°6, 2013, p. 336.

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