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Justine Siegemund, une avancée dans l’obstétrique allemande

Les sages-femmes et matrones occupent une place importante dans la société moderne et se démarquent en se spécialisant dans l'obstétrique.
Une sage-femme présente un nouveau-né à son père - Auteur inconnu | Domaine public
Une sage-femme présente un nouveau-né à son père – Auteur inconnu | Domaine public

Les sages-femmes et matrones occupent une place importante dans la société moderne. La spécialisation de certaines praticiennes dans l’obstétrique leur permet de se démarquer, comme le fait Justine Siegemund en Allemagne.

Cette sage-femme de Basse-Silésie accorde de la valeur à l’instruction de ses consœurs afin de pallier leur manque de connaissances.

Une spécialisation dans le domaine obstétricale

Un attrait pour la discipline

Justine Siegemund (1636-1705) se marie à 19 ans. Deux ans plus tard, des sages-femmes lui diagnostiquent une grossesse. Ses fortes douleurs confortent les théories et les accoucheuses indiquent une naissance proche. Au bout de trois jours de douleur, Justine Siegemund n’a toujours pas accouché. Les sages-femmes finissent par la déclarer condamnée, elle et son enfant.

Toutefois, seules les douleurs font écho à la situation d’une femme enceinte. Une femme de soldat remet en cause le constat et après examen, lui apprend que c’est la présence d’un caillot dans son utérus qui provoque ses douleurs. Justine Siegemund est alors soignée par un médecin.

Cet événement marquant lui prouve le manque de connaissances des sages-femmes et matrones sur le corps de la femme et sur les pratiques à adopter. Justine décide alors de s’instruire à partir des ouvrages qu’elle peut se procurer.

Portrait de Justine Siegemund tiré de La sage-femme de la cour - Auteur inconnu | Domaine public
Portrait de Justine Siegemund tiré de La sage-femme de la cour – Auteur inconnu | Domaine public

Une figure particulière dans l’obstétrique

Justine Siegemund n’était pas destinée à devenir une sage-femme, car elle n’avait jamais été enceinte ce qui était une expérience exigée à l’époque. Pour pallier ce désavantage et gagner en crédibilité, elle effectue une formation de douze ans auprès d’une consœur. Elle défend également l’idée qu’il n’existe aucune corrélation entre le vécu d’un accouchement et la compréhension de ce dernier et ses difficultés.

Sa carrière sort de l’ordinaire en partie pour sa mobilité et sa diversification. Durant sa formation, elle assiste les pauvres alors qu’une fois confirmée, elle accompagne des accouchements princiers à travers toute l’Europe.

Ce qui fait sa grande singularité, c’est son rôle d’intermédiaire culturelle. Sa position de femme lui permet d’avoir accès aux activités des accoucheuses et au savoir des matrones. Son statut social, son instruction et son aisance financière lui donnent accès aux discours érudits qui se développent.

L’exercice de son travail, qu’elle consigne dans son traité, est une association des différentes cultures médicales qui montre tout de même l’opposition de deux savoirs à l’époque moderne.

L’obstétrique au XVIIe siècle, une discipline en développement

La science de l’obstétrique se développe au XVIe, ce qui en fait une discipline récente dans le domaine médical. Les médecins et chirurgiens s’emparent du travail jusque-là réservé aux matrones et aux accoucheuses et mettent en place des savoirs.

Une perception du métier souvent négative

Les sages-femmes, dans la société moderne, sont perçues avec méfiances et leur travail est analysé. Au XVIIe siècle, pour être une bonne accoucheuse, il est nécessaire d’avoir vécu une grossesse afin de comprendre le processus dans son ensemble et d’assister les autres femmes.

Cela ne suffit toutefois pas à être reconnu. Il faut d’abord prouver aux autorités religieuses qu’elles sont dignes de confiance. Les accoucheuses étaient fréquemment soupçonnées d’utiliser des pratiques magiques et non la science. Elles justifiaient donc leur métier par l’amour envers son prochain.

Avec l’étude de l’obstétrique par les médecins, les sages-femmes voient leurs connaissances remisent en cause. En effet, le savoir des matrones et des accoucheuses n’est pas écrit, mais oral ce qui le rend moins concret. Les chirurgiens parlent alors d’accoucheuses ignorantes, n’étant pas capable de produire de savoir écrit. Elles sont également accusées de ne pas connaître les traditions savantes anciennes et l’anatomie. Les médecins décident donc d’écrire des règlements pour les accoucheuses ; ils nient totalement les pratiques qu’elles avaient déjà et l’évolution de ces dernières.

La pratique des accoucheuses

Lors de l’accouchement, les sages-femmes sont plusieurs à assister la mère, afin de pouvoir intervenir en cas de difficulté. Elles interviennent quand la grossesse arrive à terme. Pour s’assurer du bon déroulement, les accoucheuses commencent examine avec attention le col de l’utérus. Elles utilisent des objets du quotidien (aiguille à tricoter, épingle à cheveux) comme instrument médicaux n’ayant pas souvent à disposition du matériel médical.

La pratique des sages-femmes, malgré les interventions sur le corps, n’est pas considérée comme purement médicale. Les sages-femmes ne sont pas des médecins, n’ayant reçu aucune formation, et ne peuvent donc pas prescrire des médicaments où distribuer des remèdes. Elles sont juste autorisées à administrer des médicaments si une urgence absolue survient lors de l’accouchement. Les accoucheuses sont donc présente pour aider et ne sont pas censé intervenir lors d’opération.

Justine Siegemund, La sage-femme de la cour, un ouvrage sur l’obstétrique

Avec son expérience auprès des cours princières, Justine Siegemund est reconnue pour son travail et obtient le titre de sage-femme de la cour. Elle devient une spécialiste dans l’obstétrique. Elle souhaite utiliser son influence pour transmettre son savoir et former d’autres sages-femmes.

Page de titre de  La Sage-femme de la cour – Justine Siegemund | Domaine public
Page de titre de  La Sage-femme de la cour – Justine Siegemund | Domaine public

Elle décide donc d’écrire un traité sur l’accouchement, « La sage-femme de la cour de Brandebourg » (1690) . Cet ouvrage pédagogique prend forme avec un dialogue entre une sage-femme et l’autrice. Justine Siegemund essaie de transmettre ses connaissances en utilisant des exemples précis afin de guider les accoucheuses dans leur diagnostic.

Elle aborde également les accouchements problématiques, permettant ainsi de justifier les gestes des sages-femmes.

Pour rendre ses propos plus concrets, elle utilise des illustrations, estimant que c’est grâce à ces représentations qu’elle a pu se faire une idée de l’anatomie féminine. Cet ouvrage n’est pas représentatif du savoir de toutes les sages-femmes, mais il montre un développement des connaissances des accoucheuses, en particulier les pratiques plus médicales.

Justine Siegemund montre à travers son traité qu’il est possible pour les sages-femmes de s’instruire et d’exercer l’obstétrique sans avoir les études d’anatomie des médecins.

Un renouveau dans la pratique, l’influence de l’obstétrique

Dans son traité, Justine Siegemund aborde également de nouvelles pratiques à mettre en place durant l’accouchement.

Une relation sage-femme/mère

Elle développe en grande partie l’importance du lien entre la sage-femme et la mère. Pour elle, l’accoucheuse doit avoir une surveillance régulière des mères qui est nécessaire à la survie. En effet, à cette époque, seul un examen touché permet de connaître la position de l’enfant.

La sage-femme doit également prodiguer un accompagnement psychologique. Elle doit laisser la mère seule de temps en temps si besoin ; et lorsque l’accouchement se passe mal (mort du fœtus) elle doit être à l’écoute et apporter des paroles réconfortantes. Enfin, la sage-femme doit porter un accompagnement physique lors de l’accouchement en diversifiant les positions.

Des interventions médicales

La sage-femme de la cours présente également de nouveaux moyens d’intervention lorsqu’une difficulté se présente en accouchement. Dans le cas où un bébé se présenterait mal et qu’il est nécessaire de le bouger, Justine Siegemund utilise un ruban attaché à un pied pour changer la position du bébé.

Elle invente en plus une technique pour retirer les tumeurs de l’utérus. À l’époque, il était commun d’ouvrir le ventre des patientes pour retirer la tumeur, mais les risques de morts étaient élevés. Justine Siegemund propose d’utiliser un ruban, comme lors des grossesses compliquées, qu’elle entoure autour de la tumeur pour pratiquer une ablation.

Justine Siegemund est donc une figure majeure dans le développement de l’obstétrique allemande. Elle combine le savoir des matrones et accoucheuses à celui des médecins pour améliorer les pratiques.

Planche obstétrique tirée de La sage-femme de la cour  – Justine Siegemund | Domaine public
Planche obstétrique tirée de La sage-femme de la cour  – Justine Siegemund | Domaine public

Elle permet à une partie des sages-femmes de compléter leurs connaissances et surtout d’avoir accès à des informations écrites par l’une des leurs. La sage-femme de la cour reste l’un des ouvrages allemand les plus lus, publié par une femme.

Quelques sources et liens utiles

CHAPUIS­-DESPRES Stéphanie, « La sage-femme aux petites mains », Prendre corps, 12.03.2015,

PULZ Waltraud, « Aux origines de l’obstétrique moderne en Allemagne (XVIe-XVIIIe siècle) : accoucheurs contre matrones ? », Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine, vol. 43, no 4,

RIAZUELO Hélène, « Chapitre 1. La grossesse, ses représentations figurées et la prise en charge de la femme enceinte à travers les siècles », in 35 grandes notions de Périnatalité, Paris : Dunod, 2017, p. 15‑61

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