Entre 1975 et 1979 dans le Kampuchéa démocratique ou plus communément appelé Cambodge, un régime politique communiste maoïste s’est installé au pouvoir sous l’égide de Pol Pot. Ce régime dictatorial applique une politique de répressive violente à l’égard des cambodgiens issus des classes supérieures et moyennes vivant dans les villes.
Humiliations, privations, déportations, massacres, violences physiques et psychologiques sont le lot quotidien des cambodgiens victimes du régime. Rithy Panh, un cambodgien né en 1964, immigre en France à l’âge de 17 ans. Lorsque les Khmers Rouges arrivent au pouvoir il a onze ans. Il vit l’horreur et perd sa famille. Il devient cinéaste et réalisateur et dédie son art à la mémoire du génocide au Cambodge, en France et dans le monde.
Les Khmers Rouges : un mouvement politique violent
Le Cambodge est une ancienne colonie française et devient indépendant en 1953. Une monarchie constitutionnelle s’installe au pouvoir et Norom Sihanouk prend la tête de ce nouveau régime politique.
Une guerre civile éclate en 1967 dans le pays et oppose monarchistes conservateurs et communistes, les Khmers arrivent au pouvoir en 1970 : la République khmère est née.
Pol Pot ou de son vrai nom Saloth Sâr devient le leader politique du régime des Khmers rouges et contrôle le Kampuchéa démocratique du 15 avril 1975 au 6 janvier 1979. Les Khmers parviennent à prendre le contrôle du pays en entrant dans la capitale Phnom Penh le 15 avril 1975.
Le régime des Khmers rouges repose sous l’influence communiste maoïste ainsi, selon eux, le labeur de la vie paysanne et agricole est ce qu’il y a de plus important. Les classes intellectuelles et les professions qui les représentent sont impures. La ville, représente l’idéal même de la classe intellectuelle, ils ont évacué toutes les villes et déporté les habitants dans des camps de campagnes sous le nom de “nouveau peuple“.
La propriété privée, la valeur monétaire, les croyances, la religion sont réprimés et sévèrement punis par le nouveau régime. L’ordre au sein de la famille et la hiérarchie familiale, très ancré dans les sociétés asiatiques est remplacé par “l’Angkar“. Tous les membres sont égaux et prennent la nomination de “mit” qui signifie “camarade“. L’âge n’importe plus, des jeunes adolescents se voient confier des responsabilités telles que persécuteurs dans les prisons notamment le centre pénitentiaire S-21. Toujours dans cette logique d’égalité, l’apparence physique doit être la même pour tous : habillés en noir dans des vêtements déjà utilisés et teint à l’occasion.
Pendant quatre ans, les Cambodgiens les plus malchanceux sont considérés comme de la vermine à rééduquer et dont il faut se débarrasser. La torture, les exécutions sommaires, les privations, les humiliations sont choses courantes dans les camps de campagnes et les prisons. Les plus aisés sont considérés comme des traîtres à la nation et par conséquent ennemis du régime.
L’art d’un rescapé : le cinéma comme mémoire
Rithy Panh est né en 1964 au Cambodge. Lorsque le régime des Khmers Rouges prend le pouvoir, il a 11 ans. Il se retrouve alors plongé dans la machine infernale qu’est la politique des Khmers Rouges. Il perd sa famille, victime de la déportation et des camps de campagne, pendant quatre années il endure le supplice de milliers d’autres cambodgiens. Il se réfugie dans un camp situé en Thaïlande : le camp Mairut et immigre en France à 17 ans.
Sa vocation pour l’art cinématographique n’est pas immédiate et il se tourne vers des études de maçonnerie. Il tend à rejeter ses origines et son histoire personnelle pendant quelques années et c’est à l’âge de 25 ans qu’il décide de réaliser son premier documentaire en tant que réalisateur : Site 2, Aux abords des frontières.
Il y a abordé les conditions de vie des camps de réfugiés cambodgiens, camps qui lui sont familiers. Cela marque le début de carrière cinématographique. Le jeune réalisateur qui reprend petit à petit ses marques réalise sa première fiction en 1994 : Les gens de la rizière, c’est le premier film cambodgien qui accède à la compétition du Festival de Cannes. Au travers de son œuvre, le franco-cambodgien s’attelle à rendre la mémoire à son pays. Il entreprend un projet de reconstruction collective et personnelle. Il rédige un ouvrage avec Christophe Bataille : L’élimination, 2012. Il décrit son parcours personnel et l’élimination des membres de sa famille et du peuple cambodgien
À douze ans, je perds toute ma famille en quelques semaines. Mon grand frère, parti seul à pied vers notre maison de Phnom Penh. Mon beau-frère médecin, exécuté au bord de la route. Mon père, qui décide de ne plus s’alimenter. Ma mère, qui s’allonge à l’hôpital de Mong, dans le lit où vient de mourir une de ses filles. Mes nièces et mes neveux. Tous emportés par la cruauté et la folie khmère rouge. J’étais sans famille. J’étais sans nom. J’étais sans visage. Ainsi je suis resté vivant, car je n’étais plus rien.
Panh Rithy, L’élimination, Paris, Grasset, 2012
Rithy Panh représente une histoire personnelle au milieu d’une mémoire collective difficile d’accès. Grâce à son œuvre cinématographique, le rescapé cinéaste crée le pont entre la société civile mondiale et la mémoire des cambodgiens morts et rescapés pendant le génocide. Il met en scène le passé de son histoire et reste en arrière, ne s’expose pas à la violence du souvenir.
C’est très tardivement dans sa carrière, qu’il commence à s’exposer directement à son passé et à nous le partager. Un poids qu’il choisit de partager grâce à son art et qu’il veut engager, dénonciateur parfois, mais toujours humain.
Son art, il le souhaite réaliste et soucieux de montrer la réalité d’un pays qui a oublié son passé. Rendre la mémoire pour refonder son pays natal. Son art est porteur de la mémoire collective d’un peuple meurtri et d’une histoire personnelle brisée.
Quelques liens et sources utiles
Bataille Christophe, Panh Rithy, La paix avec les morts, Paris, Grasset, 2012
Locard Henri, Pourquoi les Khmers rouges, Paris, Révolution, 2013
Panh Rithy, L’élimination, Paris, Grasset, 2012