L'ouvrage coup de cœur d'avril : Petit dictionnaire des Sales Boulots par Nicolas Méra

Le génie de Napoléon au siège de Toulon (1793)

Alors que la France est plongée en pleine période de Révolution Française, le jeune Napoléon Bonaparte se distingue dans la prise de la ville de Toulon, véritable citadelle militaire et point stratégique de la Marine française qui s’est révoltée contre la Convention.
Vue générale du siège de Toulon le 30 novembre 1793 - Sigismond Himely | Domaine public
Vue générale du siège de Toulon le 30 novembre 1793 – Sigismond Himely | Domaine public

Alors que la France est plongée en pleine période de Révolution Française, Napoléon Bonaparte n’est qu’au tout début de sa carrière militaire. Mais le jeune officier de 24 ans va se distinguer dans la prise de la ville de Toulon, véritable citadelle militaire et point stratégique de la Marine française qui s’est révoltée contre la Convention. Ce véritable fait de guerre de l’année 1793 constituera le premier échelon dans la carrière du futur grand stratège et homme d’Etat Français.

Une période trouble en France et en Europe

Depuis 1792, la France est en pleine guerre de la 1ère coalition. De nombreuses nations comme l’Autriche, la Prusse puis à partir de 1793 l’Angleterre, l’Espagne, la Sardaigne et bien d’autres se sont alliées contre la France. La coalition organise de multiples attaques, blocus maritimes, prises des colonies et soutien des rébellions qui mettent à mal la stabilité du pays et entraînent des périodes de disette agitant la population.

Mais l’année 1793 marque un tournant dans la Révolution Française. L’exécution de Louis XVI, le 21 janvier 1793 a déclenché des révoltes royalistes notamment en Vendée et Bretagne. Mais le 31 mai 1793 ont lieu les arrestations de 29 députés girondins, groupe politique majoritaire à la Convention, commanditées par les Montagnards et les Sans-Culottes qui veulent prendre le pouvoir. Le scandale éclate et des foules de partisans fédéralistes se soulèvent à leur tour dans toute la France en apprenant la nouvelle.

Ainsi, un nombre important de régions de France, où se concentrent de nombreux partisans royalistes et fédéralistes, se rebellent contre la Convention : de nombreuses villes se soulèvent dans toute la vallée du Rhône de Lyon à Marseille mais aussi Bordeaux, tout comme des régions entières dans tout l’Ouest de la France.

La République voyant que son autorité est sur le point de basculer, ordonne début juin 1793 la levée de milliers d’hommes, la reconquête des villes révoltées et une répression immédiate.

« Le souper de Beaucaire »

Napoléon Bonaparte, à ce moment-là âgé de 24 ans, vient d’être nommé capitaine-commandant chargé d’une compagnie d’artillerie, poste qu’il a essayé plusieurs fois de quitter sans succès, malgré des demandes d’affectation dans l’armée du Rhin. L’officier doit traverser la Provence insurgée avec son régiment pour réapprovisionner l’arsenal militaire de Nice et ainsi préparer la campagne d’Italie (1796-1797) contre l’Autriche et leurs alliés. Nous avons déjà traité de la rivalité entre L’Autriche et la France dans l’article suivant : Napoléon et Metternich : une rencontre historique

Napoléon, fervent partisan de la République voit ces révoltes comme une menace pour le nouveau régime, d’autant plus que sa famille a été chassée de Corse en juin par des partisans paolistes révoltés contre la Convention. C’est à cette occasion qu’il écrit, dans un village situé non loin d’Avignon, « Le souper de Beaucaire », pamphlet politique racontant une conversation entre un militaire et quatre marchands de Nîmes, Montpellier et Marseille.

Le souper de Beaucaire - Jean-Jules-Antoine Lecomte du Nouÿ | Domaine public
Le souper de Beaucaire – Jean-Jules-Antoine Lecomte du Nouÿ | Domaine public

Dans cette histoire contée par le militaire, les marchands de Nîmes et Montpellier s’interrogent sur la nécessité d’une révolte et s’insurgent contre les Marseillais, ouvertement favorables à une sécession, qu’ils légitiment et soutiennent jusqu’à demander le secours des ennemis espagnols. Le militaire apparait comme un médiateur et convainc ses interlocuteurs de l’inutilité d’une rébellion vouant à être écrasée par les forces révolutionnaires.

Cette histoire sera distribuée directement à la population et remarquée par les supérieurs de Napoléon, ce qui contribuera à son avancement.

Le débarquement de la Coalition à Toulon

Pendant ce temps, la révolte est peu à peu écrasée en Provence. Après Avignon et Nîmes début juillet, Marseille est libérée le 25 août 1793. Les royalistes et fédéralistes marseillais se réfugient alors à Toulon et prennent le pouvoir. La ville se présente alors fin août 1793 comme le dernier symbole de la révolte contre la Convention.

Le 29 août, le chef de la Marine française en Méditerranée, l’amiral Jean-Honoré de Trogoff, un aristocrate ouvertement royaliste, livre le port de Toulon à la flotte anglaise ainsi qu’à leurs alliés espagnols et napolitains, initialement chargés du blocus naval, qui y font débarquer 20 000 hommes.

Le général républicain Carteaux, désigné chef de l’armée assiégeante rassemble alors ses hommes au Beausset, à 15 km de Toulon, avant de commander le siège et l’attaque de la dernière ville insurgée. Mais il lui manque un capitaine d’artillerie car le précédent a été blessé.

Bonaparte qui a suivi les événements de loin se rend le 16 septembre 1793 au quartier général de l’armée républicaine et propose ses services. Le militaire connaît bien les fortifications de la ville, qu’il a eu le temps d’observer ces dernières années lorsqu’il attendait le bateau pour la Corse.

Le député Saliceti, délégué de la Convention en Provence chargé de la reconquête des territoires insurgés qui a lu « Le souper de Beaucaire » fait confiance à Napoléon et l’affecte comme capitaine d’artillerie.

Toulon, dernier symbole de la révolte, est un véritable point stratégique militaire qui concentre une bonne partie de la flotte française.

Extrait d'une carte des fortifications de Toulon en 1793 - Auteur inconnu I Domaine Public
Extrait d’une carte des fortifications de Toulon en 1793 – Auteur inconnu I Domaine Public

Toulon est par ailleurs une citadelle imprenable. Elle est dotée d’un réseau de fortifications très développé avec une vingtaine de forts et batteries qui la protègent, côté terre mais également côté mer en contrôlant les seuls accès à la mer : la grande rade et la petite rade.

Début septembre, l’état des forces révolutionnaires est préoccupant tant pour l’infanterie que pour l’artillerie : l’infanterie compte près de 10 000 hommes, la plupart étant peu expérimentés car réquisitionnés.

L’artillerie ne possède quant à elle que 4 canons et 2 mortiers. Bonaparte la réorganise et fait des réquisitions lui permettant d’obtenir au bout de 3 jours 14 canons, 4 mortiers et du matériel pour construire des batteries sur des points stratégiques.

Les premiers signes chez Napoléon d’un grand stratège et homme de terrain

Napoléon fait ce qu’il fera plus tard à la veille de chaque bataille : il se promène de nuit sur les hauteurs surplombant la rade de Toulon, évalue le terrain et cherche les points stratégiques. Il comprend vite que pour prendre Toulon, il faut chasser la flotte anglo-espagnole. La clé est alors de se saisir du fort de l’Eguillette qui relie la petite rade de Toulon à la grande. Pour y arriver, l’artillerie doit être au centre du dispositif et mettre les défenses ennemies sous un feu convergent.

Mais Napoléon n’a pas tout le pouvoir qu’il souhaite. Son chef, le Général Carteaux n’apprécie pas l’ambition du jeune capitaine et rejette son plan de prendre l’Éguillette.

Fin septembre, il consent finalement sous la pression des représentants Saliceti, Gasparin, convaincus par Bonaparte, d’attaquer ce promontoire stratégique mais ne lui confie pas le commandement. De plus Carteaux ne fournit que 400 hommes pour la prise du promontoire. L’attaque échoue donc et les batteries anglaises se refortifient.

Le capitaine sait pourtant que ce fort est la seule solution pour s’emparer de la ville insurgée et se résout à une deuxième attaque.

Napoleon à Toulon - Edouard Detaille I Domaine public
Napoleon à Toulon – Edouard Detaille I Domaine public

Pour cela, il réquisitionne toutes les pièces d’artillerie avoisinantes et tout le matériel et personnel nécessaire pour construire des batteries.

Il réorganise les troupes d’artillerie, refait l’approvisionnement du stock de munitions ainsi que la construction d’un arsenal pour fournir les armes des hommes.

Le capitaine fait ensuite construire des batteries à portée du fort de l’Éguillette et de la rade en même temps afin d’empêcher tout renfort par la mer.

L’officier fait aussi preuve de son sens du terrain. Il visite ses batteries en pleine bataille quitte à se baisser pour éviter les obus de l’adversaire ou à prendre la place d’un canonnier pour montrer l’exemple.

Face au retard du siège, Carteaux est renvoyé et remplacé peu de temps par le Général Doppet, qui se révèle tout aussi incompétent. Il est alors remplacé par le Général Dugommier le 16 novembre qui est un homme d’expérience.

L’attaque et la prise de Toulon

Des renforts arrivent le 24 novembre et c’est un total de près de 35 000 hommes qui est prêt à se battre. Malheureusement, un grand nombre n’a pas d’expérience et seuls 15 000 ont la confiance de l’état-major. Les coalisés forment de leur côté environ 20 000 hommes.

Dugommier opère une réorganisation de l’armée, défend le gaspillage de poudre et rappelle aux soldats les lois militaires.

Le 25 novembre a lieu le conseil de guerre : le Général Dugommier approuve sous les conseils de son adjoint le Général Du Teil, le plan de prendre l’Éguillette dont Napoléon aura la charge. S’ajoutera à cela au même moment une attaque sur le Mont Faron, sommet stratégique qui domine Toulon. À la fin du conseil, Dugommier mime à Bonaparte la sentence qui l’attend en cas d’échec : la guillotine. Le capitaine reste impassible. Il est certain de la réussite de son plan.

Le 16 décembre 1793, par une nuit très obscure, l’attaque est lancée. Le combat est rude et la riposte de l’ennemi met à mal les troupes de la République. Napoléon prend part à la charge. Son cheval est tué et il reçoit un coup de baïonnette à la cuisse. Mais les révolutionnaires finissent par prendre le contrôle du fort. La prise de l’Éguillette met enfin les batteries républicaines à portée de feu des frégates anglo-espagnoles regroupées dans la rade.

Ce que Bonaparte avait prévu s’enclenche : cette défaite capitale pour l’ennemi compromet la défense de la ville. La nouvelle de l’échec se répand et entraîne l’abandon de tous les forts entourant Toulon.

Des centaines de Toulonnais tentent de fuir par la mer tandis que les coalisés, après avoir fait incendier plusieurs bâtiments français et l’arsenal de la ville, quittent la rade sous le feu nourri des batteries de la République avec quelques-uns des plus beaux navires de le flotte française.

Le 19 décembre 1793, l’armée révolutionnaire rentre dans Toulon. Commencent alors les pillages et exécutions de masse de centaines de traîtres et ennemis capturés.

Le 22 décembre 1793, Bonaparte est nommé général de brigade grâce à son action pour la prise de Toulon. La réputation de Napoléon Bonaparte grandit avec cette victoire. Le militaire s’est forgé un nom même si la victoire à Toulon ne lui est pas attribuée. Le nouveau général est rapidement nommé en mars 1794 commandant de l’artillerie à l’armée d’Italie et son ascension n’en est qu’à ses débuts, jusqu’à sa chute en 1815. Nous avons évoqué cette période dans l’article suivant : L’histoire de France, de la chute de l’Empire à la Restauration.

Quelques liens et sources utiles

Jacques Bainville, Napoléon , TALLANDIER, 2020

Maréchal Victor, Extraits des Mémoires inédits de feu Claude-Victor Perrin, duc de Bellune, Hachette, 2017

Napoléon, Édouard Driault, Le Souper de Beaucaire, par le capitaine Napoléon Bonaparte. Introduction d’Édouard Driault, Editions A. Morance, 1929

Max Gallo, Le chant du départ : Napoléon, Editions Robert Laffont, 1997

Arthur Chuquet, Bonaparte à Toulon 1793 : Les prémices d’un destin, Editions Laville, 2013

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