Sous le règne de Louis XIV, l’administration s’enrichit avec des ministres spécialisés dans les affaires étrangères, la guerre ou encore la marine à l’image du ministre Louvois.
Dans le même temps, la guerre se modernise et elle devient de plus en plus technique. Ces deux mouvements à l’œuvre font émerger une demande importante en informations rigoureuses afin que le gouvernement puisse appliquer les décisions les plus avantageuses.
La diplomatie joue un rôle important dans la politique étrangère de la France à l’image de la maréchale de Guébriant mais l’espionnage prend de l’ampleur et il devient un atout indispensable à cette époque.
Qui sont les espions au service du roi ?
Recrutement des espions
Il existe deux catégories d’espion. Certains se mettent au service de souverains étrangers pour divers motifs parmi lesquels il est possible de trouver l’ambition, la rancœur, la conviction ou encore le goût de l’argent.
Ainsi, ces espions se proposent d’eux-mêmes pour ce rôle. Toutefois, cela nécessite une certaine influence de ces derniers pour que leur proposition soit prise en compte.
Dans toutes ces situations de recrutement, le principal objectif est de saisir le degré de loyauté et de fidélité de l’espion envers le prince, la cause ou la nation en question pour estimer sa fiabilité.
De plus, la plupart des espions agissent pour le compte de plusieurs puissances. Il s’agit alors d’agent double voire triple ou quadruple.
Ce fonctionnement implique soit la trahison de toutes les puissances qu’il l’engage soit le partage des services d’un espion entre états alliés.
Comment sont perçus les espions ?
Être espion, c’est souvent trahir son souverain. Ce métier est donc principalement perçu comme honteux. De plus, la principale motivation des espions reste l’argent qu’ils peuvent recevoir par ces missions.
Malgré cette perception négative, l’espionnage nécessite des qualités particulières que sont la connaissance approfondie de langues étrangères ainsi qu’un sens aiguisé de la stratégie et de la politique. L’image de l’espion est donc ambivalente puisqu’elle est à la fois emprunte de cupidité et de lâcheté tout en étant reconnaissant des qualités particulières en politique en stratégie.
Qu’est-ce qu’un bon espion ?
Dans l’espionnage, il n’y a pas de profils précis recherchés. Il s’agit de trouver la personne qui a les bonnes relations et qui se situe au bon endroit stratégique (militairement ou politiquement). Les correspondances politiques font ainsi appel à des « aventuriers ». Cette expression, employée par l’historien Lucien Bély, est assimilée surtout à des hommes de la noblesse qui voyagent à travers l’Europe. Ces derniers peuvent ainsi se mettre au service de princes rencontrés et ils bénéficient des codes et du mode de vie nécessaire pour ne pas se faire démasquer.
Un bon espion n’est pas, contrairement à ce qu’on pourrait penser, un espion qui ne rapporte que des informations vraies et cruciales. En effet, ce qui est attendu, c’est avant tout une information nouvelle et originale pour qu’elle soit considérée comme une information de qualité.
Les informations fausses ne sont pas prises en compte, tant que dans la masse d’informations rapportées, contient des informations nouvelles et confirmées. Toutes ces informations rapportées par les espions sont ensuite triées par des commis. L’informateur n’est pas au courant de ce tri postérieur. Ce dernier prend en compte la situation de l’informateur par rapport aux renseignements récoltés et il s’effectue par recoupement et vérification.
Quelles sont les missions des espions et comment agissent-ils ?
Les motifs d’espionnage
L’objectif de l’espionnage est de combler le manque d’information qui peut permettre être préparé à toutes éventualités politiques comme militaires. L’espionnage a un rôle crucial dans le domaine militaire puisqu’il permet d’anticiper une attaque de l’adversaire ou au contraire de connaître le bon moment pour attaquer.
Il permet de connaître les forces et les faiblesses de l’adversaire ou de venir enrichir la connaissance du territoire où les opérations se déroulent. De cette façon, posséder de bons espions est capital pour un chef d’armée, car elle lui assure une maîtrise de l’espace et de la situation.
Les formes de l’espionnage
L’espionnage, notamment l’espionnage militaire, peut prendre plusieurs formes et plusieurs échelles. Il peut s’agir d’un espionnage local pour des actions ponctuelles d’observation d’une zone. Pour cela, les chefs d’armée emploient des « guides » locaux. Ceux-ci obtiennent des informations sur les troupes ennemies et le territoire de l’opération en échange d’une rétribution d’environ 7 à 10 livres.
Il peut également s’agir d’un espionnage sur le terrain et de ce fait au cœur des opérations militaires. Celui-ci s’effectue par le biais d’un homme chargé de rendre compte des informations qui lui parviennent. Il fait donc le lien entre les espions et les chefs des opérations militaires.
Il existe aussi une forme d’espionnage qui ne fait pas appel à des espions et qui concerne le réseau des chefs d’armée. Ce réseau d’amitiés politiques et de correspondances entretenues permet tout aussi bien de collecter des informations stratégiques. Ce réseau est une source précieuse d’information nécessaire à tout chef d’armée et à tout diplomate.
L’art de la transparence par le déguisement
L’habit est un signe d’appartenance sociale. Il est donc important que l’espion se fonde par ce moyen dans l’environnement social où il cherche ses informations. L’habit et l’impression qu’il dégage lui ouvre par conséquent plus ou moins de porte et ils sont capitaux dans sa quête d’information.
Néanmoins, il ne faut que le subterfuge du déguisement soit travaillé, car il existe une grande méfiance pour le déguisement et la dissimulation à cette époque. D’ailleurs, selon les idées reçues de l’époque, un espion ne s’habille que de vêtement noir. D’autre part, l’habit religieux constitue le meilleur déguisement, car il peut se trouver dans toutes les sphères de la société sans être inquiété.
Le plus important pour espion consiste dans le fait de ne pas avoir une apparence singulière, car cela permet d’accéder à tous les lieux importants.
Un cas singulier d’espionnage : Louise de Penancoët de Keroual
Contre toute attente, le Roi Soleil ne prend pas que des hommes à son service à l’image de Louise de Penancoët de Keroual qui devient les yeux et les oreilles du roi en Angleterre.
Qui est-elle ?
Sa famille appartient à la petite noblesse et son père est un soldat décédé pendant la guerre de Trente Ans.
Elle fait ses études au couvent de Lesvenen et elle est envoyée au cours de son adolescence chez la belle-sœur de sa mère, la maîtresse en titre de François de Bourbon-Vendôme.
Celui-ci détient alors le titre de grand-maître de la Navigation du royaume de France. Ce dernier lui promet, d’ailleurs, de parvenir à lui décrocher le rôle de dame d’honneur de Henriette d’Orléans : sœur du roi Charles II et épouse de Philippe d’Orléans, le frère de Louis XIV.
Il ne parvient pas à tenir sa promesse puisqu’il meurt en 1669 au combat, mais l’un des marquis à son service s’en acquitte. Comme de nombreuses femmes de la cour de Louis XIV, elle fait forte impression pour sa beauté et attire ainsi l’attention du roi. Celui-ci lui confie un rôle diplomatique.
Le rôle d’une femme : un atout possible
Elle est, dans un premier temps, chargée d’accompagner Henriette d’Orléans envoyée par Louis XIV en mai 1670 en Angleterre pour une mission diplomatique. La belle-sœur de Louis XIV doit apporter le traité secret négocié entre Arlington et l’ambassadeur français Croissy à son frère Charles II.
Ce traité de Douvres instaure une alliance entre les deux rois contre les Provinces Unies et le soutien du roi d’Angleterre à Louis XIV pour les droits de ce dernier sur la couronne d’Espagne.
C’est au cours de cette entrevue que l’ambassadeur Croissy perçoit l’intérêt du roi Charles II pour Louise de Penancoët de Keroual. Il transmet l’impression qu’elle a laissée à Charles II à Louis XIV qui décide de l’envoyer en Angleterre comme son agent auprès du roi d’Angleterre. Charles II fait rapidement de Louise de Keroual sa favorite et la nomme par commodité dame d’honneur de son épouse : Catherine de Bragance.
Une agente au service de la France
Par le pouvoir qu’elle détient sur le roi d’Angleterre, elle devient une agente de renseignement de haut niveau. Elle collecte des informations du roi confiées dans l’intimité en tant que favorite de celui-ci.
Elle en obtient également par sa simple présence à la cour d’Angleterre grâce à son sens pointu de la politique.
Elle les transmet ensuite au Roi Soleil par le biais de l’ambassadeur Cressy en Angleterre. Elle parvient aussi à influencer les décisions royales dans le sens de la France.
Sa principale mission est d’ailleurs de vérifier la sincérité de Charles II et de surveiller la bonne application du traité de Douvres. Son mode d’espionnage est décrit par le journaliste Rémi Kauffer comme un espionnage « à ciel ouvert ».
Cette dénomination désigne la fausse naïveté de l’espionne et sa prétention de ne pas pouvoir garder de secret. Cette technique lui permet d’acquérir les secrets anglais les mieux gardés pour le compte du roi de France.
Ainsi, l’espionnage prend de l’importance sous le règne de Louis XIV. En 1715, l’espionnage est, de ce fait, devenu un véritable outil au service du royaume. Toutes les puissances sont alors dans l’obligation de faire appel à un réseau d’informateurs compétents et efficaces. Il s’agit même, dans une certaine mesure, d’une arme à la disposition du royaume.
C’est, par ailleurs, toujours le cas aujourd’hui puisque l’Etat français, à l’instar de nombreuses puissances, détient ses propres services de renseignements comme la DGSI ou de la DGSE.
Quelques liens et sources utiles
Bély Lucien, « Secret et espionnage militaire au temps de Louis XIV », Revue historique des armées, N°263, 2011
Bély Lucien, Espions et ambassadeurs au temps de Louis XIV, Fayard, 1990
Kauffer Rémi (dir.), « 3. Femme de lettres, femme de cour », Les femmes de l’ombre, Paris, Perrin, « Tempus », 2021, p. 45-58.