Au cours de la première croisade, la prise d’Antioche fut un moment décisif pour les croisés, tant par la relique qu’elle révèle au monde chrétien : la Sainte Lance ; que par la défaite cuisante qu’elle inflige à Kerbogha.
En 1098, après un long et éprouvant siège, les croisés parvinrent à s’emparer de la ville stratégique. Cette victoire majeure renforce leur détermination et leur permit de poursuivre leur avancée vers Jérusalem, ouvrant ainsi un nouveau chapitre dans l’histoire des croisades et des relations entre l’Orient et l’Occident.
La prise d’Antioche par les croisés
Au cœur de la Première croisade, la ville d’Antioche, aux confins de l’Orient et de l’Occident, devint l’objet de toutes les convoitises. Au fil des mois, la cité fortifiée résista vaillamment aux assauts répétés des croisés venus de l’Europe lointaine. Dans l’air, une tension palpable se mêlait à la poussière soulevée par le piétinement des soldats. L’attente était insoutenable, et la détermination des deux camps ne cessait de croître.
Les croisés, menés par des figures emblématiques telles que Godefroy de Bouillon et Bohémond de Tarente, encerclèrent la ville en octobre 1097, faisant face à une résistance farouche. Les mois passèrent, et les conditions de vie devinrent de plus en plus difficiles pour les assiégeants, confrontés à la faim et aux épidémies. Les tensions au sein de l’armée croisée se faisaient également sentir, mais la volonté de libérer les Lieux saints ne faiblissait pas.
Au printemps 1098, les croisés établirent un contact secret avec un commandant arménien de la garnison d’Antioche, Firouz, qui accepta de leur ouvrir une porte dérobée de la cité en échange de garanties pour sa famille.
Dans la nuit du 2 au 3 juin, une poignée de croisés audacieux escaladèrent les remparts et ouvrirent les portes de la ville, permettant à leurs compagnons de s’y engouffrer. La prise d’Antioche fut alors achevée, et les croisés s’emparèrent de la cité dans un tumulte indescriptible.
L’arrivée du chef de guerre Kerbogha
Cependant, les croisés n’eurent guère le temps de savourer leur victoire. À peine quelques jours après leur entrée triomphante, ils apprirent l’arrivée imminente de l’armée de Kerbogha, l’atabeg de Mossoul, qui venait secourir Antioche. Les croisés, désormais assiégés à leur tour, se préparèrent à affronter cet ennemi redoutable.
Le moral des croisés était au plus bas, les désertions nombreuses, notamment celle d’Étienne II de Blois, mais une découverte inattendue allait changer la donne. Un moine du nom de Pierre Barthélemy prétendit avoir eu une vision de saint André, qui lui révéla l’emplacement de la Sainte Lance, l’arme ayant percé le flanc du Christ en croix. Les croisés, galvanisés par cette découverte providentielle, se réunirent derrière cette relique sacrée et se préparèrent à livrer bataille.
Le 28 juin 1098, les croisés, portant la Sainte Lance en étendard, sortirent d’Antioche pour affronter les forces de Kerbogha dans une bataille épique. Leurs rangs semblaient bien moins nombreux que ceux de leurs adversaires, mais leur foi et leur détermination leur insufflèrent une vigueur surhumaine. Les croisés, unis et animés par une ferveur indomptable, parvinrent à mettre en déroute l’armée de Kerbogha. La victoire, aussi inespérée qu’éclatante, confirma le statut de la Sainte Lance comme symbole divin et renforça la conviction des croisés d’être guidés par la main de Dieu.
Ainsi, la prise d’Antioche et la défaite de Kerbogha marquèrent un tournant décisif dans la première croisade. Les croisés, forts de cette victoire empreinte de mysticisme et d’héroïsme, continuèrent leur périple vers Jérusalem, où ils accompliraient leur objectif ultime : la libération des Lieux saints.
Dans les mémoires, le siège d’Antioche et la bataille contre Kerbogha demeurent des épisodes inoubliables de bravoure et de foi. Les croisés, animés par un idéal chevaleresque, affrontèrent l’adversité avec courage et détermination, inscrivant leur nom dans les annales de l’histoire. Leur périple, jonché d’épreuves et de sacrifices, reste un témoignage poignant de la force de l’esprit humain face à l’impossible.
Le récit d’une bataille anthologique et mystique
Le texte qui suit est extrait de la Gesta Francorum et aliorum Hierosolimitanorum (ou « Geste des Francs et des autres pèlerins »), une chronique anonyme écrite au début du XIIe siècle qui relate les événements de la première croisade (1096-1099). L’auteur de cette chronique, qui se présente comme un chevalier participant à la croisade, est souvent désigné comme l’Anonyme des Gesta Francorum. Ce texte est une source précieuse pour l’étude de la Première croisade, car il offre un témoignage direct des événements vécus par les croisés eux-mêmes. Le récit de cet événement provient de la traduction de Louis Bréhier, dans l’ouvrage Histoire anonyme de la première croisade, Paris, Éditions « Les Belles Lettres », 1964 (1924).
Et nous, écoutant les discours de celui qui nous avait rapporté la révélation du Christ par les paroles de l’apôtre, nous parvînmes en toute hâte à l’endroit de l’église Saint-Pierre qu’il avait désigné. Treize hommes creusèrent du matin jusqu’au soir et cet homme découvrit la lance, comme il l’avait indiquée ; et on la reçut avec beaucoup de joie et de crainte, et une immense allégresse régna dans toute la ville.
[…]
Enfin, après avoir, pendant trois jours, accompli des jeûnes et suivi des processions d’une église à l’autre, tous confessèrent leurs péchés et, une fois absous, communièrent fidèlement au corps et au sang du Christ, distribuèrent des aumônes et firent célébrer des messes.
Puis, six corps de bataille furent établis à l’intérieur de la ville. Dans le premier qui marchait en tête se trouvait Hugue le Mainsné avec les Français et le comte de Flandre ; dans le second le duc Godefroi avec sa troupe ; dans le troisième Robert de Normandie avec ses chevaliers ; le quatrième était commandé par l’évêque du Puy, qui portait avec lui la lance du Sauveur : il avait avec lui sa gent et la bande de Raymond, comte de Saint-Gilles, qui demeura en haut à la garde du château, par crainte des Turcs, pour les empêcher de descendre dans la ville ; le cinquième corps comprenait Tancrède, fils du marquis, avec sa gent ; le sixième le prud’homme Bohémond et sa chevalerie. Nos évêques, prêtres, clercs et moines, revêtus des ornements sacrés, sortirent avec nous en portant des croix, priant et suppliant le Seigneur de nous sauver et de nous garder de tout mal. D’autres, montés au haut de la porte, la croix sainte dans leurs mains, faisaient sur nous le signe de la croix et nous bénissaient. Disposés ainsi et protégés du signe de la croix, nous sortîmes par la porte située devant la Mahomerie.
Lorsque Courbaram vit les corps de bataille des Francs si bien ordonnés sortir l’un après l’autre, il dit : « Laissez-les sortir, nous les aurons que mieux en notre pouvoir. » Mais lorsqu’ils eurent franchi les portes et que Courbaram vit l’immense armée des Francs, il fut saisi de crainte. Sur-le-champ, il manda à son amiral chargé de la surveillance générale que, s’il voyait un feu allumé sur le front de l’armée, il fît sonner la retraite, car, dans ce cas, les Turcs auraient perdu la bataille.
Aussitôt, Courbaram commença à reculer lentement vers la montagne et les nôtres les poursuivaient du même pas. Puis les Turcs se divisèrent : une partie se dirigea vers la mer, tandis que les autres restaient sur place dans l’espoir de nous cerner entre eux. Les nôtres s’en aperçurent et firent de même. Un septième corps de bataille fut ordonné avec des troupes du duc Godefroi et du comte de Normandie et placé sous le commandement de Rainaud. On l’envoya à la rencontre des Turcs qui arrivaient de la mer. Les Turcs engagèrent le combat avec eux et tuèrent beaucoup des nôtres à coup des flèches. D’autres bataillons furent disposés depuis le fleuve jusqu’à la montagne sur un espace de deux milles.
Ces bataillons commencèrent à s’avancer des deux côtés et enveloppèrent les nôtres en les blessant à coups de javelots et de flèches. On voyait aussi sortir de la montagne des troupes innombrables, montées sur des chevaux blancs, et blancs aussi étaient leurs étendards. À la vue de cette armée, les nôtres ne savaient ce qui arrivait ni quels étaient ces soldats, puis ils reconnurent que c’était un secours du Christ, dont les chefs étaient les saints Georges, Mercure et Démétrius. Ce témoignage doit être cru, car plusieurs des nôtres virent ces choses.
Les Turcs placés du côté de la mer, voyant qu’ils ne pouvaient tenir plus longtemps, allumèrent un feu d’herbes, afin que ceux qui étaient restés dans les tentes le vissent et prissent la fuite. Ceux-ci, de leur côté, reconnaissant le signal, s’emparèrent de tous les objets de valeur et s’enfuirent. Les nôtres s’avançaient peu à peu en combattant vers le gros de leur armée, c’est-à-dire vers leur camp. Le duc Godefroi, le comte de Flandre, Hugue le Mainsné chevauchaient le long du fleuve où se trouvait le gros de leur armée. Munis d’abord du signe de la croix, ils dirigèrent contre eux une attaque d’ensemble ; à cette vue, les autres batailles les chargèrent de même. Les Turcs et les Perses poussaient des cris et nous, invoquant le Dieu vivant et véritable, nous chargeâmes contre eux et, au nom de Jésus-Christ et du Saint-Sépulcre, nous engageâmes le combat et, avec l’aide de Dieu, nous les vainquîmes.
Les Turcs, épouvantés, prirent la fuite et les nôtres les poursuivirent jusqu’à leurs tentes. Mais les chevaliers du Christ aimaient mieux les poursuivre que de faire du butin et ils les poursuivirent jusqu’au pont du Far, puis jusqu’au château de Tancrède. L’ennemi abandonna ses pavillons, de l’or, de l’argent, un mobilier abondant, des brebis, des boeufs, des chevaux, des mulets, des chameaux, des ânes, du blé, du vin, de la farine et beaucoup d’autres choses qui nous étaient nécessaires. Les Arméniens et les Syriens qui habitaient dans cette région, instruits de notre victoire sur les Turcs, coururent vers la montagne pour leur barrer la route et tuèrent tous ceux qu’ils purent prendre.
La découverte de la sainte lance
Pierre Barthélémy, un moine provençal raconta au Comte de Toulouse, à l’évêque de Puy et à Pierre-Raymond de Hautpoul qu’il avait eu une vision de saint André, qui lui avait révélé que la Sainte Lance était enfouie dans la cathédrale Saint-Pierre d’Antioche.
Les fouilles débutèrent et, après une journée entière de recherche, Pierre Barthélémy découvrit la précieuse relique. La découverte eut un impact incontestable sur le moral des troupes. Les croisés, galvanisés par cette révélation providentielle, jeûnèrent durant cinq jours et préparèrent leur riposte.
La trouvaille miraculeuse et fort opportune de la lance ne parvint pourtant pas à convaincre l’ensemble des croisés. Plusieurs seigneurs et prélats, tels que Bohémond de Tarente et Adhémar de Monteil, évêque du Puy-en-Velay et légat du pape, nourrissaient un certain scepticisme.
Ils avaient en effet déjà contemplé la Sainte Lance (celle de Jérusalem) à Constantinople. La probabilité d’une supercherie orchestrée par Pierre Barthélémy ne saurait également être écartée.
Quelques liens et sources historiques
René de La Croix de Castries, La conquête de la Terre sainte par les croisés, Paris, Albin Michel, 1973
Recueil des historiens des croisades écrit pendant les Croisades et édité à Paris par l’Académie des inscriptions et belles-lettres de 1841 à 1906.
Jonathan Riley-Smith, Les croisades : idéologie, propagande et réalité, Presses universitaires de France, 1997
Jean Leclercq, La première croisade, Éditions du Cerf, 1957
Jacques Heers, La première croisade, Tempus Perrin, 2002
Peter Frankopan, La première croisade, Tempus Perrin, 2021
Max Gallo, Dieu le veut (Hors collection), XO, 2015