L'ouvrage coup de cœur d'avril : Petit dictionnaire des Sales Boulots par Nicolas Méra

La bataille de Dorylée durant la première croisade

L'Anonyme des Gesta Francorum offre un témoignage direct sur les événements de la bataille de de Dorylée durant la première croisade.
Arrivée des croisés à Constantinople, par Jean Fouquet | Domaine public
Arrivée des croisés à Constantinople, par Jean Fouquet | Domaine public

La bataille de Dorylée, qui s’est déroulée le 1er juillet 1097, demeure gravée dans les mémoires comme l’un des épisodes les plus marquants de la première croisade. Au cœur de cette épopée médiévale, des personnages légendaires, tels que Bohémond de Tarente, Godefroy de Bouillon et Raymond de Toulouse, viennent affronter les redoutables forces turques seldjoukides, dirigées par le sultan Kilij Arslan I. Le théâtre de cette confrontation épique se situe aux abords de la ville de Dorylée, en Asie Mineure, aujourd’hui en Turquie.

Un contexte méditerranéen religieusement tendu

Sur les traces de ces valeureux chevaliers, plongeons-nous dans l’atmosphère électrique de cette époque tumultueuse. L’année 1096 marque le début de la première croisade, un moment clé de l’histoire médiévale dont l’objectif principal est la reconquête de la Terre Sainte, alors sous domination musulmane. Les esprits sont enflammés par les appels au combat du pape Urbain II, et des milliers de personnes répondent à cet appel, qu’ils soient chevaliers, nobles ou simples paysans. Tous sont animés par un désir ardent de libérer les lieux saints et de prouver leur bravoure.

Au fil des pages de l’histoire, nous suivons les pas des croisés qui, bravant les déserts et les montagnes, se dirigent vers l’Orient. Ils savent que de nombreuses épreuves les attendent, mais rien ne peut ébranler leur détermination. Un jour, alors qu’ils progressent vers la Terre Sainte, les forces croisées rencontrent l’armée seldjoukide près de la ville de Dorylée. L’air est lourd, empreint d’une tension palpable, tandis que les deux armées se préparent au combat.

Une scène de la bataille de Dorylée, bataille racontée par Raoul de Caen dans sa Gesta Tancredi - Auteur inconnu | Domaine public
Une scène de la bataille de Dorylée, bataille racontée par Raoul de Caen dans sa Gesta Tancredi – Auteur inconnu | Domaine public

C’est en ce lieu, que notre récit prend ses sources. En effet, la bataille de Dorylée est connue par les historiens, notamment avec la source médiévale intitulée Bataille de Dorylée, vue par l’Anonyme des Gesta Francorum. Découvrez cette histoire épique, grâce à la traduction de Louis Bréhier, dans Histoire anonyme de la première croisade, Paris, Éditions « Les Belles Lettres », 1964 (1924), pp. 45-51.

Bataille de Dorylée, vue par l’Anonyme des Gesta Francorum

Le troisième jour, les Turcs attaquèrent violemment Bohémond et ses compagnons. Aussitôt les Turcs commencèrent à grincer des dents, à pousser des huées et des cris retentissants, répétant je ne sais quel mot diabolique dans leur langue. Le sage Bohémond, voyant ces innombrables Turcs poussant au loin des clameurs et criant d’une voix démoniaque, fit aussitôt descendre les chevaliers de leurs montures et dresser rapidement les tentes. Avant que les tentes furent dressées, il répéta à tous les chevaliers : « Sires et vaillants chevaliers du Christ, voici que de tous côtés nous attend une bataille difficile. Que tous les chevaliers aillent donc droit devant eux avec courage et que les piétons dressent prudemment et rapidement les tentes. »

Quand tous ceci fut accompli, les Turcs nous entouraient déjà de tous côtés, combattant, lançant des javelots et tirant des flèches à une distance merveilleuse. Et nous, bien qu’incapables de leur résister et de soutenir le poids d’un si grand nombre d’ennemis, nous nous portâmes cependant à leur rencontre d’un cœur unanime. Jusqu’à nos femmes qui, ce jour-là, nous furent d’un grand secours en apportant de l’eau à boire à nos combattants et peut-être aussi en ne cessant de les encourager au combat à la défense. Le sage Bohémond ne tarda pas à mander aux autres, c’est-à-dire au comte de Saint-Gilles, au duc Godefroi, à Hugue le Mainsné, à l’évêque du Puy et à tous les autres chevaliers du Christ, de se hâter et de marcher rapidement au combat, leur faisant dire : « Si aujourd’hui ils veulent prendre part à la lutte, qu’ils viennent vaillamment. » Et le duc Godefroi, connu pour son audace et son courage, puis Hugue le Mainsné arrivèrent d’abord ensemble avec leurs troupes, puis l’évêque du Puy les suivit bientôt avec sa troupe et, après lui, le comte de Saint-Gilles avec une armée nombreuse.

Les nôtres se demandaient avec étonnement d’où avait pu sortir une pareille multitude de Turcs, d’Arabes, de Sarrasins et autres, impossible à énumérer, car toutes les hauteurs et les collines et les vallées et toutes les plaines, à l’intérieur et à l’extérieur, étaient entièrement couvertes de cette race excommuniée. Il y eut entre nous un entretien intime, dans lequel, après avoir loué Dieu et pris conseil, nous disions : « Soyez de toute manière unanimes dans la foi du Christ et dans la victoire de la sainte croix, car aujourd’hui, s’il plaît à Dieu, vous deviendrez tous riches. »

Sur-le-champ nos batailles furent ordonnées. À l’aile gauche étaient le sage Bohémond, Robert de Normandie, le prudent Tancrède, Robert d’Ansa et Richard du Principat ; l’évêque du Puy dut s’avancer par une autre hauteur, afin de cerner les Turcs incrédules. À l’aile gauche aussi chevauchait le très vaillant chevalier Raymond, comte de Saint-Gilles. À l’aile droite étaient le duc Godefroi, puis le vaillant chevalier qu’était le comte de Flandres et Hugue le Mainsné et plusieurs autres dont j’ignore les noms.

À l’approche de nos chevaliers, les Turcs, les Arabes, les Sarrasins, les Angulans et tous les peuples barbares s’enfuirent à travers les défilés des montagnes et les plaines. Le nombre de Turcs, des Persans, des Pauliciens, des Sarrasins, des Angulans et autres païens s’élevait à 360 000, sans compter les Arabes, dont nul, si ce n’est Dieu, ne connaît le nombre. Ils s’enfuirent avec une vitesse extraordinaire jusqu’à leurs tentes, mais ils ne purent y demeurer longtemps. Ils reprirent leur fuite et nous les poursuivîmes en les tuant pendant tout un jour ; et nous fîmes un butin considérable, de l’or, de l’argent, des chevaux, des ânes, des chameaux, des brebis, des bœufs et beaucoup d’autres choses que nous ignorons. Si le Seigneur n’eût été avec nous dans cette bataille, s’il ne nous avait pas envoyé rapidement l’autre armée, aucun des nôtres n’eût échappé, car, de la troisième à la neuvième heure, le combat fut ininterrompu. Mais Dieu tout-puissant, pitoyable et miséricordieux, ne permit pas que ses chevaliers périssent ou tombassent entre les mains de leurs ennemis, et il nous envoya ce secours en toute hâte. Deux chevaliers des nôtres, plein d’honneur, Godefroi de Monte-Scabioso et Guillaume, fils du Marquis, frère de Tancrède, et d’autres chevaliers et piétons dont j’ignore les noms trouvèrent ici la mort.

Auteur de cette source historique

La source évoquée précédemment est l’Anonyme des Gesta Francorum, un récit anonyme du début du XIIe siècle qui raconte les événements de la première croisade (1096-1099). Cet ouvrage est considéré comme l’une des sources les plus précieuses et les plus détaillées sur cette période de l’histoire. Elle a également la chance d’être rédigée contemporainement à la bataille, et donc de se vouloir être la plus précise possible.

L’auteur de ce récit est inconnu, mais il est généralement admis qu’il était un chevalier qui a participé à la première croisade. Il pourrait être originaire d’Italie, selon le récit qu’il fait du voyage vers Jérusalem, mais aussi par la manière qu’il a de parler des chevaliers français. Le texte a été écrit en latin et est parfois appelé Gesta Francorum et aliorum Hierosolimitanorum, qui se traduit par « Les gestes des Francs et des autres pèlerins de Jérusalem ».

L’Anonyme des Gesta Francorum offre un témoignage précieux et direct sur les événements, les motivations et les défis de la première croisade bien que son point de vue soit celui d’un participant, ce qui peut parfois biaiser la représentation des faits. Néanmoins, il reste une source incontournable pour les chercheurs et les passionnés d’histoire médiévale.

Les acteurs de cet événement

Dans ce récit, plusieurs personnages-clés de la première croisade sont mentionnés, tels que :

  • Godefroy de Bouillon : noble franc et l’un des principaux chefs de la première croisade. Il est devenu le premier souverain du royaume de Jérusalem après la prise de la ville en 1099.
  • Bohémond de Tarente : un autre chef important de la croisade, originaire d’Italie du Sud. Il a joué un rôle central lors de la prise d’Antioche en 1098 et est devenu le premier prince d’Antioche.
  • Raymond IV de Toulouse : comte de Toulouse et l’un des principaux leaders de la croisade. Il a également été impliqué dans la prise d’Antioche et a tenté, sans succès, de prendre la ville de Tripoli.
  • Adhémar de Monteil : évêque du Puy-en-Velay, légat pontifical et chef spirituel de la première croisade. Il est décédé avant la prise de Jérusalem en 1099.

Cette source permet d’apporter des éléments de contextualisation pour la vie de personnages essentiels dans le bon déroulement de la première croisade.

Une victoire décisive des croisés

Les croisés, bien qu’en infériorité numérique, parviennent à surprendre les Turcs en attaquant leur campement à l’aube, lorsque les premiers rayons du soleil se lèvent sur la plaine. Les combattants s’élancent dans la mêlée, les épées s’entrechoquent, et les cris de guerre résonnent dans les airs. Malgré la peur qui les tenaille, les forces croisées font preuve d’une ténacité et d’une bravoure sans pareilles. Leurs exploits font écho à ceux de leurs prédécesseurs, comme Charles Martel lors de la bataille de Poitiers en 732, où les Francs avaient réussi à repousser les envahisseurs musulmans.

Au terme de cette lutte acharnée, les croisés remportent une victoire décisive contre les forces turques. La bataille de Dorylée constitue un tournant majeur pour les croisés, qui voient leurs rangs renforcés et leur moral boosté par cette victoire. Leur succès les rapproche un peu plus de leur objectif ultime : la libération de Jérusalem, la ville sainte. Cette victoire est également un symbole fort pour la chrétienté, qui se sent galvanisée par cette démonstration de force et d’unité face à un adversaire redoutable.

Lorsque Tatikios, avec sa troupe, et tous les comtes, avec les multitudes innombrables de Celtes qu’ils commandaient, furent arrivés au bout de deux jours à Leukai, sur sa demande expresse on confia à Bohémond l’avant-garde, tandis que les autres suivaient par derrière en lignes et à marche lente. Comme Bohémond avançait plus rapidement, lorsque les Turcs l’aperçurent dans la plaine de Dorylée, ils crurent avoir affaire à l’armée entière des Celtes et, plein de mépris pour elle, lui livrèrent aussitôt bataille. Alors le Latin gonflé d’orgueil qui avait osé s’asseoir sur le trône impérial, oubliant la recommandation de l’autocrator, s’élança en tête des lignes de Bohémond et, stupidement, courut en avant des autres. Le résultat fut que quarante de ses compagnons périrent alors ; lui-même, grièvement blessé, tourna le dos aux ennemis et courut jusqu’au milieu des lignes, proclamant par sa conduite, même s’il n’eût voulu le faire de vive voix, combien les conseils de l’autocrator étaient sages.

Quand Bohémond vit que les Turcs combattaient avec acharnement, il envoya appeler à son aide les forces celtes. Celles-ci arrivèrent en hâte; après quoi une lutte farouche et terrible s’engagea. La victoire resta à l’armée romaine et celte. De là, les bataillons reprirent en rangs serrés leur marche en avant […]

La bataille de Dorylée, selon Anne Comnène, traduction par Bernard Leib, Alexiade, Paris, Les Belles Lettres, 1945, livre XI, p. 18.

La bataille de Dorylée demeure un épisode marquant de la première croisade, rappelant les hauts faits d’armes des héros médiévaux et les défis auxquels ils ont dû faire face. Cet événement historique nous invite à nous immerger dans l’atmosphère passionnante et envoûtante de l’époque, où les hommes et les femmes étaient animés par des idéaux de bravoure, de foi et de détermination.

Aujourd’hui encore, les récits de cette bataille continuent de nourrir notre imaginaire, nous faisant voyager à travers le temps et l’espace, sur les traces de ces chevaliers intrépides qui ont marqué l’histoire. Puissions-nous nous inspirer de leur courage et de leur abnégation pour affronter les défis de notre époque avec la même ardeur et la même conviction.

Rappelons néanmoins, que le récit laisse entrevoir sans filtre du racisme et de la xénophobie. En ce sens nous ne galvanisons pas ce sentiment, l’histoire ne doit pas être vue au travers des yeux de contemporain. L’histoire présente des valeurs et des comportements archaïques qu’il faut pouvoir laisser de côté pour réaliser une analyse pertinente d’un événement historique.

Ainsi se clôt notre récit, laissant place à la contemplation de la grandeur et de la complexité de l’histoire humaine, où chaque événement, chaque bataille, chaque victoire et chaque défaite ont contribué à façonner le monde tel que nous le connaissons aujourd’hui.

Quelques liens et sources historiques

René de La Croix de Castries, La conquête de la Terre sainte par les croisés, Paris, Albin Michel, 1973

Recueil des historiens des croisades écrit pendant les Croisades et édité à Paris par l’Académie des inscriptions et belles-lettres de 1841 à 1906.

Jonathan Riley-Smith, Les croisades : idéologie, propagande et réalité, Presses universitaires de France, 1997

Jean Leclercq, La première croisade, Éditions du Cerf, 1957

Jacques Heers, La première croisade, Tempus Perrin, 2002

Peter Frankopan, La première croisade, Tempus Perrin, 2021

Max Gallo, Dieu le veut (Hors collection), XO, 2015

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