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L’histoire de la Gazette, une création à l’époque moderne

La création de la Gazette en 1631 est l'occasion de nombreux différends qu'il convient de connaître pour mieux aborder son contenu.
Gazette de France du mardi 26 decembre 1786 | Domaine Public
Gazette de France du mardi 26 décembre 1786 Domaine Public

Le 25 octobre 1653 s’éteignait Théophraste Renaudot, père de la Gazette, périodique français qui jouera un rôle essentiel durant les siècles de son existence. Sa publication, quelque peu différente depuis près de trois siècles, publie son dernier numéro le 30 septembre 1915, emportée dans le tourbillon de la Première Guerre mondiale. De cette longue existence, nous décidons de nous concentrer sur sa naissance, au XVIIe siècle, qui a été l’occasion de nombreuses complications.

Une création marquée par de nombreuses complications

Le père de la Gazette : Théophraste Renaudot

Le vendredi 30 mai 1631, le premier numéro de la Gazette paraissait. Son objectif était clair aux yeux de son auteur, Théophraste Renaudot : informer, de la guerre de Trente Ans qui fait alors rage en Europe et dans laquelle la France s’est embarquée.

Mais qui était vraiment Théophraste Renaudot ? Né en 1586, protestant, il suit une formation en médecine. S’il parvient à se rapprocher du milieu royal en devenant médecin ordinaire de Louis XIII en 1612, il est rapidement mis de côté : nous sortons des guerres de religion et la présence d’un protestant n’est pas du goût des puissants de la cour. Deux choses changent alors sa vie : sa conversion au catholicisme autour de 1625 et les liens qu’il commence à entretenir avec Richelieu qui est entre son évêché de Luçon et la cour. Ces deux bouleversements permettent plus tardivement de jouer un rôle important pour le pouvoir royal.

En parallèle, il est très investi dans la question de la pauvreté dans le royaume et essaye de venir en aide aux personnes démunies. C’est alors qu’il en vient à créer la Gazette en 1631, dans laquelle est contenue des nouvelles des villes étrangères. Son modèle est celui des gazettes déjà existantes à l’étranger, les corantos.

Gravure de Théophraste Renaudot vers 1644 | Domaine public
Gravure de Théophraste Renaudot vers 1644 | Domaine public

L’apparition des Nouvelles ordinaires

Mais si Renaudot commence à publier dès mai 1631, il doit rapidement faire face à une concurrence : les Nouvelles ordinaires de divers endroits. Le premier numéro que l’on retrouve de ce périodique est daté du 17 juillet 1631 et est numéroté comme étant le 27e. Cette publication est le fruit de l’association de trois hommes, tous calvinistes : Jean Epstein, traducteurs de gazettes étrangères, Jean Martin, imprimeur et Louis Vendosme, libraire.

Le contenu des Nouvelles est similaire à Renaudot : des évènements étrangers rassemblés dans une publication périodique. La seule différence semble être la zone géographique traitée. En observant les lieux d’où proviennent les évènements recensés, la Gazette se concentre sur un espace plus large que les Nouvelles.

La Gazette contre les Nouvelles

C’est par l’apparition de ce nouvel imprimé que naît un conflit avec Renaudot d’un côté et face à lui, la triade Epstein, Martin et Vendosme (qui sont soutenus par la communauté des imprimeurs et libraires de Paris). En septembre 1631, une procédure est lancée afin de résoudre cette querelle. Néanmoins, quelques semaines avant le début officiel des hostilités, Renaudot a réussi à inciter Epstein à quitter le projet concurrent et de le rejoindre lui, afin de renforcer sa position.

Tout l’intérêt de ce conflit est le suivant : lequel profitera du privilège d’impression aux dépens de l’autre ? Plusieurs arguments sont alors utilisés. D’abord, Vendosme et Martin critiquent Renaudot sur ce qu’il est : médecin. Quels sont ses droits à vendre le périodique ? Selon eux, cela est suffisant pour qu’il perde son privilège. Un autre argument joue un rôle important : laquelle de ces deux publications est la plus ancienne ?

Une querelle d’historiens

Ici, les historiens eux-mêmes n’ont pas toujours été d’accord. Au milieu du XXe siècle, les Débuts de la presse française. Nouveaux aperçus par Folk Dahl, Fanny Petibon et Marguerite Boulet affirment que les Nouvelles de Vendosme et Martin sont les premières à être publiées, avec un premier numéro qui serait daté du 16 janvier 1631. Ils se basaient pour cette affirmation sur différents arguments, mais notamment sur le fait que la première publication que nous possédons est le numéro 27 et qu’il en existait donc 26 autres. Une requête de 1634 venait, semble-t-il, corroborer cette version. Ainsi, Renaudot était donc tout simplement vu comme voleur de l’idée de Vendosme, Martin et Epstein.

Les nouvelles ordinaires de Renaudot du trente juillet 1633 | Domaine public
Les Nouvelles Ordinaires de Renaudot du 30 juillet 1633 | Domaine public

Pourtant, cette théorie s’est avérée être plutôt confuse, voire fausse. Aujourd’hui, il semble que Renaudot soit en vérité le premier à avoir imprimé la Gazette. D’abord, rien ne semble penser que Epstein, Martin et Vendosme aient collaboré dans une publication avant le 17 juillet 1631. Reste alors le mystère des 26 publications antérieures qui n’ont jamais été retrouvées.

Une hypothèse serait que ces publications soient plutôt manuscrites et non imprimées. On sait que Epstein était adepte de ces nouvelles manuscrites et cela laisse donc songer qu’il a rédigé les 26 premières à la main, pour un public restreint, pour finalement s’associer à un libraire et un imprimeur et transformer sa publication manuscrite en publication imprimée.

L’issue du débat de l’ancienneté

Il n’en demeure qu’à l’époque du procès, Renaudot en vient finalement à triompher en recevant l’exclusivité de la publication : les Nouvelles ordinaires finissent dans le giron de Renaudot, qu’il mélange donc à sa Gazette. Mais le pouvoir royal y est pour quelque chose dans cette victoire. Nous l’avons dit, Richelieu est une connaissance de Renaudot.

Le cardinal voit en Renaudot un fidèle et en sa publication, un bon moyen pour le pouvoir de mieux contrôler l’information. Ainsi, c’est grâce à l’intervention royale que Renaudot remporte cette victoire. Par cette action la monarchie vient faucher toutes les possibles initiatives de la presse périodique en France, en faisant de la Gazette de Renaudot la seule publication autorisée.

Les derniers conflits

D’autres conflits viennent pourtant opposer Renaudot et sa Gazette, par exemple face aux colporteurs, c’est-à-dire des marchands ambulants. Ces derniers voulaient distribuer la Gazette de Renaudot, bien que lui s’y oppose : il souhaitait avoir le droit de décider qui vendrait sa Gazette. L’opposition enfle et la prévôté de Paris, saisie par les colporteurs, tranche en faveur de ces derniers. Mais encore une fois l’intervention du pouvoir royal fait toute la différence :  le 4 août 1634 la décision est brisée. Renaudot est libre de diffuser son imprimé comme il le veut et par les personnes qu’il souhaite.

Recueil des Gazettes de l'année 1634 | gallica.bnf.fr
Recueil des Gazettes de l’année 1634 -gallica.bnf.fr | Domaine public

Il met alors en place, en 1633, un abonnement et diffuse la Gazette ainsi sur le territoire français. Un autre conflit l’oppose cette fois à la publication des textes officiels (édits, ordonnance, lettres patentes…). L’impression de ces derniers est normalement le privilège de certains imprimeurs, mais Renaudot les édite aussi.

Finalement, la voix des imprimeurs est mise de côté : le pouvoir royal tranche en faveur de Renaudot une nouvelle fois. Au terme de nombreux procès, c’est en février 1635 que toutes les oppositions sont définitivement écartées, avec des lettres patentes qui signalent que Renaudot peut publier l’information de la façon dont il le veut.

La Gazette au XVIIe siècle

Contrôler l’information

L’intérêt d’avoir un tel organe, publié de façon hebdomadaire (le vendredi jusqu’en 1632 puis après le samedi jusqu’au milieu du XVIIe siècle) permet au pouvoir royal de limiter les rumeurs et nouvelles incontrôlées. La diffusion de l’information, dans le début du XVIIe siècle, passe essentiellement par les occasionnels, des petites publications, format in-8°, surtout, rarement in-4° et qui diffusent des informations. Cela peut être des publications officielles, des canards… Ces occasionnels sont imprimés selon l’évènement, selon l’actualité et donc de façon irrégulière : il peut se passer des jours sans publications et tout d’un coup en avoir plusieurs.

En utilisant un imprimé périodique, l’information est plus corsetée, régulière et laisse moins de mauvaises surprises, cela permet un contrôle social de la demande d’information. Néanmoins, la Gazette n’est pas ce bête instrument de propagande que l’on peut imaginer. Elle est un organe officiel mais l’information qu’elle diffuse doit profiter d’une certaine liberté pour que son lectorat (essentiellement une noblesse d’épée, de robe, des parlementaires…) ne soit pas tenté d’aller s’informer ailleurs.

La matérialité de la Gazette

Nous l’avons dit, avant l’apparition de la Gazette, l’information passait par l’occasionnel. Son format est principalement in-8 et ainsi, lorsque l’on voit un livret in-8°, on pense instinctivement à l’occasionnel et aux informations, parfois fausses, qu’il diffuse. Renaudot veut utiliser ce regard que l’on a sur l’occasionnel dans son intérêt.

Ainsi, il fait un tout autre choix : il adopte un format in-4°. Cette décision est particulièrement habile car il vient créer un fossé entre l’occasionnel et la Gazette. Il entend faire de l’occasionnel la publication peu sérieuse et faire de la Gazette, au contraire, la parfaite publication. Pour que cette différence soit visible, il adopte donc un format différent. Ainsi, au simple coup d’œil, on peut différencier les deux et voir que si c’est un in-4°, l’information est forcément sérieuse.

La Gazette est assez sobre et la principale décoration de celle-ci est la façon dont son titre est stylisé. Incertain encore dans les premières années, à la fin de l’année 1633 et au début 1634, il y a une stabilisation d’un style on retrouve alors :

Un « G » ou un « N » évidé, accompagné d’un globe terrestre et de l’aiguille d’une boussole, le tout sommé par les sept étoiles de la Petite Ourse, l’aiguille indiquant l’étoile polaire

selon Gilles Feyel

On peut aussi lire : « Guidé du ciel, j’adresse et par mer et par terre », symbolisant l’ambition de Renaudot de vouloir informer le plus de monde.

Style de la Gazette | gallica.bnf.fr
Style de la Gazette | gallica.bnf.fr

Que contient la Gazette ?

Le contenu de la Gazette, on l’a vu, est composé de nouvelles de différentes villes. En cela aussi, il tranche avec les occasionnels, ces derniers, surtout les canards, aiment parfois tomber dans le surnaturel, dans le miraculeux. Chez Renaudot, ce n’est pas l’objectif premier. Certes, des miracles demeurent parfois, à condition qu’ils suscitent la dévotion et respectent les prescriptions induites par la Réforme catholique. Tout ce qui se rapporte aux fantômes, aux monstres, est supprimé : Renaudot vise la rationalisation de l’information.

En dehors de cela, la Gazette peut reprendre tout ce que son auteur estime légitime et digne d’intérêt. Cela peut aller du fait divers à la décision royale, en passant par une quelconque bataille ou la déclaration d’un militaire… Par exemple la Gazette du 27 mai 1645 revient sur des batailles de la guerre de Trente Ans, une élection dans un couvent, la situation des étrangers à Londres, une affaire de sacrilège… Toute l’Europe est visée, en passant par Rome, Paris, Londres, Amsterdam…

On le voit donc à travers tous ces aspects, la naissance de la Gazette a été le fruit d’une longue lutte entre différents organes de presse qui voulaient tous informer. Néanmoins, le pouvoir royal, dans sa logique de vouloir contrôler l’information, a protégé la Gazette en échange d’une certaine obéissance de celle-ci. La Gazette, a ainsi pu développer ses publications et a joué un rôle essentiel, que cela soit la guerre de Trente Ans, mais aussi dans des publications plus localisées et avec moins d’enjeux, tout en restant toujours dans cette volonté de rationaliser l’information.

Quelques liens et sources utiles

CHARTIER Roger (dir.), Les usages de l’imprimé (XVe-XIXe siècle), Paris, Fayard, coll. « Nouvelles Études Historiques », 1987.

FEYEL Gilles, L’annonce et la nouvelle : la presse d’information en France sous l’Ancien Régime, 1630-1788, Oxford, Voltaire Foundation, 2000.

HAFFEMAYER Stéphane, L’information dans la France du XVIIe siècle : la « Gazette » de Renaudot de 1647 à 1663, Paris, Honoré Champion, coll. « Bibliothèque d’Histoire Moderne et Contemporaine », 2002.

SGARD Jean (dir.), Dictionnaire des journaux, 1600-1789, Paris Oxford, Universitas Voltaire Foundation, 1991.

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