Située à 300 km au nord-ouest de Buenos Aires, dans la province de Santa Fe, la très belle ville de Rosario, de plus d’un million d’habitants, est la troisième plus grande ville du pays. Elle est néanmoins confrontée à une situation sécuritaire catastrophique liée à l’explosion du trafic de drogue.
La violence extrême des trafiquants, et l’absence totale de contrôle des autorités, amènent à considérer Rosario comme “une anomalie de la drogue en Argentine”.
Un point sur la situation actuelle à Rosario
Réputée pour son histoire (c’est ici que le drapeau argentin a été hissé pour la première fois) et sa forte activité économique (70% des exportations céréalières argentines partent de son port), Rosario est à présent sous les feux des projecteurs pour des raisons bien moins enviables.
Avec un taux d’homicides de 22,1 pour 100 000 habitants, et 471 assassinats entre 2022 et 2023, c’est la ville la plus dangereuse d’Argentine, rivalisant même avec certaines villes du Mexique et de la Colombie.
Véritable centre névralgique du trafic de drogue, son développement est facilité par l’emplacement stratégique de la ville de Rosario sur le fleuve Paraná. La violence, concentrée dans certains quartiers, est exacerbée par une lutte sans pitié entre différents gangs locaux, plus d’une trentaine selon les estimations. Malheureusement, on observe petit à petit une diffusion de ces effets à d’autres pans de la société, certains civils innocents allant même jusqu’à être assassinés.
Face à cette crise sans précédent, le gouvernement a été contraint d’adopter des mesures drastiques. En effet, la situation à Rosario est si critique qu’elle est comparée au Salvador d’avant Bukele, la région étant même surnommée le Sinaloa argentin.
Hélas, le problème ne se limite plus à la ville de Rosario. Une recrudescence de la violence liée au trafic de drogues est observée dans l’ensemble des centres urbains du pays. L’inquiétude croissante que d’autres métropoles tombent à leur tour sous le joug des narcotrafiquants est réelle.
Autrefois discret et sous contrôle, le trafic de drogue à Rosario et en Argentine a basculé et constitue à présent un défi sécuritaire majeur pour le nouveau gouvernement de Milei, déjà aux prises avec une terrible crise économique.
Pour mieux comprendre l’étendue de la malversation il faut se pencher sur les chiffres. Le trafic de drogue à Rosario est estimé à plus de 100 millions de dollars par an, d’autres rapports le chiffrant même à 115 millions. Ce commerce illicite inclut non seulement la cocaïne et la marijuana, mais aussi des drogues synthétiques comme le MDMA, l’ecstasy, les amphétamines et le fentanyl. L’implication de policiers, juges, hommes d’affaires, procureurs et hommes politiques dans ce commerce illégal complique encore plus la lutte contre ce fléau.
Les statistiques sont alarmantes : plus de 70 % des homicides intentionnels sont liés à des organisations criminelles, et près de 75 % sont planifiés. En 2022, près de 90 % des homicides ont été commis avec des armes à feu, et le nombre de femmes victimes a doublé par rapport aux années précédentes, atteignant 22,3 %. Les jeunes de 15 à 29 ans représentent plus de la moitié des victimes, et 75 % des homicides ont eu lieu sur la voie publique. Cette situation démontre bien l’ampleur du défi sécuritaire auquel est confrontée la ville de Rosario.
Aux origines de l’escalade
Le trafic de drogue n’est pas nouveau à Rosario. Historiquement, la ville servait de point de transit pour la cocaïne, acheminée de la Bolivie au Paraguay, puis chargée sur des bateaux pour être envoyée à Buenos Aires, via le fleuve Paraná. Principale zone d’exportation du pays dans le secteur agro-alimentaire, la ville et ses alentours disposent de près de trente ports reliés à l’océan, et donc au reste du monde.
L’origine de cette escalade tient à peu de choses : l’explosion du marché intérieur de la cocaïne. Alors qu’elle n’était qu’une zone de transit pour la marchandise, l’Argentine est aujourd’hui le premier consommateur de cocaïne d’amérique du sud. De plus, la consommation de marijuana a augmenté de 300% en dix ans. Le pays s’est donc transformé de point de passage à véritable zone de vente pour ces substances illégales.
On remonte aux années 1990 l’apparition de l’Argentine sur la carte sud-américaine des drogues. Cela coïncide avec la restructuration du marché de ces années-là, lorsque l’effondrement des grands cartels colombiens a laissé la place à ceux du Mexique pour contrôler le trafic de cocaïne en direction des Etats-Unis. C’est alors que les grandes organisations centralisées ont laissé place à de plus petits groupes segmentés, fractionnant leurs opérations pour mieux se protéger.
Bien que l’Argentine ne soit pas un grand producteur de drogues en raison de ses conditions climatiques, son territoire optimal et son réseau d’itinéraires interconnectés facilitent l’établissement de partenaires de redistribution. Les Colombiens et les Mexicains paient leurs partenaires locaux en nature, permettant à ces derniers de se développer en tant que fournisseurs importants du marché intérieur. Les grands trafiquants, souvent liés à la police provinciale et à la justice, gèrent les opérations d’expédition. Les drogues restantes sont distribuées localement.
Cette transformation a exacerbé la rivalité entre les gangs étrangers, intéressés par le marché extérieur, et les petits gangs locaux, concentrés sur le marché intérieur. Les clans de narco se concentrent sur la vente en gros alors que les locaux, plus petits, sur celle au détail.
Les gangs locaux s’enrichissent de plus en plus, versant des pots-de-vin, extorquant les commerçants et étendant leur contrôle territorial, contribuant ainsi à la violence globale. L’assassinat du chef du gang de Los Monos en 2012 a marqué le début de la guerre de gangs, transformant le trafic de drogues en narco-violence. Les guerres de gangs depuis 2013 ont entraîné la mort ou l’arrestation de nombreux leaders, qui continuent à gérer leurs subordonnés depuis les prisons.
La baisse du pouvoir d’achat général due à la récession a également entraîné une diminution de la consommation et de la qualité des produits sur le marché clandestin des drogues. Beaucoup de ceux qui vivaient de la vente de marchandises ont perdu leur commerce et se sont lancés dans le vol de motos et de voitures pour compenser la baisse de la consommation. Cette violence accrue est souvent sans motif, augmentant l’insécurité.
La violence de Rosario inquiète les grands cartels régionaux qui nécessitent discrétion et calme pour mener à bien leur trafic à l’échelle mondiale. Paradoxalement, ils appellent à des opérations conjointes des forces provinciales et fédérales pour reconstruire le contrôle territorial, protéger les citoyens clients et endiguer la violence. Le risque est que l’échec de l’État incite les grands cartels internationaux, notamment du Brésil et du Paraguay, à intervenir directement pour apaiser la situation, menaçant ainsi la souveraineté nationale de l’Argentine.
Le Plan Bandera contre le trafic de drogue à Rosario
Dès décembre 2023, avec l’élection du nouveau gouvernement de Milei en Argentine et l’arrivée au pouvoir de Maximiliano Pullaro comme nouveau gouverneur de Santa Fe, le ministère de la Sécurité nationale lance le Plan Bandera pour contrer la violence montante du trafic de drogue de la province. Ce plan d’action décisif comprend un large panel de mesures drastiques, largement inspiré du modèle du Salvador de Nayib Bukele. Cependant, les narcotrafiquants ont violemment répondu en proférant des menaces contre le gouverneur de la province et en ciblant des civils pour faire pression sur les pouvoirs publics.
Le plan Bandera inclut par exemple la reprise en main des prisons avec le principe de lockdown pour empêcher les chefs de gangs de diriger leurs opérations depuis l’intérieur des établissements. Cette approche, qui prévoit un isolement total des installations carcérales, est inspirée de l’initiative similaire de Bukele avec le Centre de Confinement du Terrorisme (CECOT), une méga prison de 25 000 détenus. En intensifiant le contrôle carcéral avec la création de pavillons de sécurité maximale et des fouilles rigoureuses des cellules, le gouvernement semble déjà atteindre partiellement ses objectifs.
Autre mesure, le renforcement de la police provinciale par des renforts de la police fédérale. Les effectifs et les capacités opérationnelles ont significativement augmenté, passant par exemple de 20 à 290 unités motorisées en quelques mois. Cette coordination poussée entre les forces étatiques et provinciales a pour objectif de sécuriser l’espace public à travers un contrôle effectif du territoire, en augmentant les saisies d’armes et de drogues.
De plus, il a été envisagé de réformer l’article 34 du code pénal afin d’assouplir les règles d’usage de la force létale. Cela dans le but de permettre aux forces de l’ordre de répondre plus efficacement à la violence des gangs sans craintes de répercussions juridiques postérieures. Ces efforts ont bénéficié d’un soutien transpartisan, y compris de la part des gouverneurs du parti péroniste, marquant une rare unité politique face à la crise jusqu’à la restauration de la paix sociale.
Une réussite en dent de scie ?
En réponse à l’ampleur de la situation sanitaire, le gouvernement a fait preuve d’un déploiement massif de ressources, tant économique qu’humain. Malgré des progrès initiaux, comme la baisse drastique des homicides sur la voie publique (-60% sur le premier trimestre 2024), les violences ont repris début juin.
La riposte des gangs aux mesures du plan Bandera a entraîné une nouvelle vague de violence et de pertes civiles. Les narcotrafiquants demandent la fin des mesures d’isolement carcéral sous peine de poursuivre les assassinats de civils. Face à cette nouvelle escalade, le gouvernement a réagi en mettant en place un comité de crise et en déployant des forces armées pour renforcer le soutien logistique et tactique déjà en place avec les forces fédérales.
La riposte des gangs au Plan Bandera a suscité un débat sur l’implication appropriée de l’armée dans la lutte contre le trafic de drogue à Rosario. Les critiques portent sur le manque de formation spécifique des militaires pour cette tâche et les limitations budgétaires qui entravent leur efficacité.
Bien que les forces de police continuent de recevoir un soutien logistique et tactique primordial dans cette lutte cruciale pour la sécurité publique, la proposition d’élargir les pouvoirs de l’armée à Rosario à travers une nouvelle loi sur la sécurité intérieure a déclenché une vive controverse. Les préoccupations concernant une militarisation accrue et les risques de répéter les erreurs du passé, notamment pendant les années de plomb, ont été exprimées tant par la société civile que par les réserves internes des forces armées quant à leur rôle dans les opérations de sécurité intérieure.
Certains quartiers particulièrement touchés par le trafic ont bénéficié d’importants investissements de la part du gouvernement de province, tant par des aménagements urbains que des politiques sociales. Les experts soulignent que pour contrer efficacement les trafiquants de drogue, une approche globale est nécessaire, intégrant un renforcement des capacités de renseignement pour démanteler les réseaux de corruption et financiers, ainsi qu’une présence renforcée de l’État dans les quartiers défavorisés où les gangs recrutent activement.
En parallèle, certains défis persistent au sein du système judiciaire. Le débat sur l’abaissement de l’âge de la responsabilité pénale ou la lutte contre la corruption au sein des forces de police, sont d’autres obstacles supplémentaires. Face à cette complexité, le gouvernement Milei est confronté à un dilemme crucial : comment garantir la sécurité publique tout en évitant les écueils d’une militarisation excessive et les conséquences sociales et politiques qui en découlent.
Quelques liens et sources utiles
Jacquelin, Claudio. La violencia narco en Rosario: un desafío tan grande como la economía. La Nación.
Florez, Alicia. Cómo Rosario se convirtió en el epicentro de la violencia en Argentina. InSight Crime.
Tarricone Manuel. Narcotráfico en Rosario: datos para entender la violencia que se vive. Chequeado.
Criales, Jose Pablo. La narcoviolencia estalla en Argentina. El País.
De los Santos, German. Quién manda en los barrios de Rosario donde el Estado no logra competir con el narcotráfico. La Nación.