Les Russes sont un peuple touché par la censure et la propagande depuis des siècles, sans aucune interruption, sans jamais avoir pu embrasser la liberté de penser et de s’exprimer. Cette situation est tellement systémique et au cœur de la pensée politique russe, qu’une expression est née : le village Potemkine. Elle fait référence à un trompe-l’œil utilisé à des fins de propagande.
Une expression aux multiples origines
Il est toujours difficile de faire le lien entre les réalités historiques et les expressions populaires. Dans le cadre de l’expression “village de Potemkine”, plusieurs origines sont proposées.
Le voyage de Catherine II aux sources du village de Potemkine
L’expression du village de Potemkine prend ses sources au XVIIIe siècle, avec le voyage de Catherine II en Crimée.
Selon la légende, le ministre russe Grigori Potemkine aurait fait refaire les façades des bâtiments sur l’itinéraire de l’impératrice. Ces améliorations auraient été conçues en carton-pâte. Cet artifice devait pouvoir camoufler l’état d’extrême pauvreté des villages criméens.
Un pamphlet saxon sur l’état de la Russie
Comme deuxième source de cette expression, il y a la lettre d’un diplomate saxon à charge du ministre russe Grigori Potemkine. L’objectif était de discréditer ce ministre auprès de l’impératrice Catherine II.
Ainsi, ce diplomate serait le créateur de cette expression, il mettait notamment en avant l’ensemble des artifices utilisés par Potemkine pour embellir la Crimée. Plus grave, il déclarait même que celui-ci avait créé de toutes pièces de faux villages. Ces déclarations ont été faite en 1797, dix ans après les faits.
La défense de Griogiri Potemkine
Ce pamphlet a été lu et confronté, et très vite, Grigori Potemkine est amené à s’expliquer. Il doit avouer avoir embelli les villages que Catherine II a traversé. Cependant, il nie complètement avoir construit des faux. Il affirme avoir fleuri les villages, habillé les villageois, mais certainement ne pas les avoir construits.
Pour lui, il n’était aucunement nécessaire de faire ce genre de tromperie puisqu’il n’y avait soi-disant aucune misère à cacher en Nouvelle-Russie.
Un témoignage objectif ?
Le prince Charles-Joseph de Ligne participe à ce voyage en tant que dignitaire privilégié. Il partage une correspondance avec la marquise de Coigny durant son voyage en Crimée.
Ceux même d’entre les Russes qui sont fâchés de n’avoir pas été avec nous prétendront qu’on nous a trompés et que nous trompons. On a déjà répandu le conte ridicule qu’on faisoit transporter sur notre route des villages de carton de cent lieues à la ronde ; que les vaisseaux et les canons étoient en peinture, la cavalerie sans chevaux, etc. […] Je sais très bien ce qui est escamotage : par exemple, l’impératrice, qui ne peut pas courir à pied comme nous, doit croire que quelques villes, pour lesquelles elle a donné de l’argent, sont achevées ; tandis qu’il y a souvent des villes sans rues, des rues sans maisons et des maisons sans toit, porte ni fenêtres. On ne montre à l’impératrice que les boutiques bien bâties en pierres, et les colonnades des palais des gouverneurs généraux, à quarante-deux desquels elle a fait présent d’une vaisselle d’argent de cent couverts. On nous donne souvent, dans les capitales des provinces, des soupers et des bals de deux cents personnes.
Charles-Joseph de Ligne
C’est un témoignage intéressant, qui permet à la fois de comprendre les réalités et même tempérer les attaques du diplomate saxon. Cependant, de véritables aspects de pauvretés et de violences sont éludés notamment les camps de Roms, ou les mendiants.
Le village Potemkine en URSS
Les États communistes ont été nombreux à utiliser cette pratique pour montrer aux touristes du bloc de l’Ouest les bienfaits du système communiste. Cette pratique consistait à développer des espaces balnéaires exclusivement réservés à ces touristes. Les commodités étaient nombreuses et bien au-dessus de la moyenne russe, comme l’eau courante, l’électricité, les ascenseurs ou encore l’eau chaude.
Les gratte-ciel staliniens sont un exemple de ce genre d’artifice pour montrer la grandeur de l’URSS.
Le village de Kijong en Corée du Nord est aussi un exemple de village Potemkine. Cependant, il n’y a pas que les régimes communistes qui usent de ce genre de pratiques. Au Cameroun, durant la colonisation française dans les années 1950, lorsque les institutions onusiennes venaient, l’ensemble du parcours était valorisé, mis à propre et rénové.
Dernièrement, c’est l’annexion des républiques séparatistes en Ukraine par la Russie qui est un véritable village de Potemkine. La situation dans les oblasts est dramatique, l’intervention spéciale russe est un échec. Vladimir Poutine se cache derrière des illusions de grandeur, qui galvanisent sa propagande.
Quelques liens et sources utiles
Grigory Potemkin | Biography, Villages, & Facts | Britannica