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Le procès du singe, illustration d’une Amérique divisée

En 1925, un procès original opposant fondamentalistes et libéraux secoua les Etats-Unis et plaça Dayton, petite ville du Sud, sous les projecteurs.
Procès Tenessee c. John T.Scopes Procedures en plein air le 20 juillet 1925 montrant William Jennings Bryan et Clarence Darrow. Watson Davis | Domaine public
Procès Tenessee c. John T.Scopes Procedures en plein air le 20 juillet 1925 montrant William Jennings Bryan et Clarence Darrow. Watson Davis | Domaine public

En 1925, un procès original opposant fondamentalistes chrétiens et libéraux secoua les États-Unis et plaça Dayton, petite ville du Sud, sous le feu des projecteurs. Procès médiatisé, celui-ci est révélateur d’une Amérique contrastée avec d’un côté les milieux urbains où les Roaring Twenties battent leur plein et de l’autre une Amérique de refus, touchant davantage les milieux ruraux.

Au banc des accusés se trouve un jeune professeur, John Thomas Scope, à qui on reproche d’avoir enseigné la théorie de l’évolution à ses élèves malgré une interdiction établie par une loi du Tennessee.

Loin d’être une simple affaire provinciale, le “procès du singe” ou “procès Scopes” dépasse les frontières de Dayton et retentit à travers le pays. Journalistes, prédicateurs et curieux se pressent dans la petite ville et dans son tribunal improvisé pour assister à ce procès symptôme d’une opposition profonde.

L’affaire Scopes, La Bible contre la théorie de l’évolution

En mars 1925, l’État du Tennessee fit passer une loi interdisant d’enseigner la théorie de l’évolution dans les écoles publiques car contraire à la Bible.

En effet, l’école est devenue la proie des politiques traditionalistes protestants souhaitant la protéger contre ce qu’ils considèrent être à l’origine des maux du pays : le darwinisme. Désormais, seul le créationnisme, c’est-à-dire la théorie biblique selon laquelle le monde fut créé en 6 jours, devait être enseigné. En expulsant ce “mal” des écoles, l’objectif était d’épurer la société américaine et de faire prévaloir les valeurs traditionalistes des petites villes et de la campagne.

Cette politique anti-darwiniste occupa les médias dans les années 1920 mais c’est avec le procès Scopes qu’elle atteignit son point culminant.

En mai 1925, le jeune Scopes, professeur à l’école publique de Dayton, décida d’enseigner la théorie de l’évolution à ses élèves malgré l’interdiction. Cette action n’était pas le fruit d’une initiative individuelle mais plutôt d’une stratégie portée par un mouvement plus large. Effectivement, il était prévu d’attaquer ces lois antiévolutionnistes dans plusieurs villes, l’American Civil Liberties Union (ACLU) ayant pour objectif de saisir la Cour suprême des États-Unis afin de faire déclarer la loi inconstitutionnelle.

Cette association, fervente défenderesse des droits civiques aux États-Unis, promit ainsi de fournir un soutien financier et juridique à la personne qui voudrait se porter volontaire pour contester cette loi au nom de la liberté d’expression. Ce volontaire fut finalement incarné par Scopes. Dénoncé pour avoir enseigné la théorie de l’évolution, ce dernier fut arrêté le 7 mai par les autorités de la ville, ce qui annonça le début d’un procès historique.

Dayton, théâtre d’un procès médiatisé

Avec ce procès, Dayton se voit placé sur le devant de la scène médiatique américaine. Journalistes, orateurs, marchands et curieux se pressent dans cette ville moyenne du Sud pour assister au procès. Une atmosphère de fête y règne peu à peu avec la multiplication de stands de libraires et vendeurs de hot-dogs et de limonade où on peut entendre aussi les sermons des prédicateurs antiévolutionnistes.

C’est une aubaine pour la ville qui voit dans cet engouement l’opportunité de se développer au niveau économique. Elle se voit rapidement dotée de technologies avancées telles que des câbles téléphoniques et de radio et des lignes télégraphiques installées par les médias pour la diffusion du procès, ou encore des pistes d’atterrissage afin d’accueillir les avions.

Bien qu’une ambiance de fête régnait dans la ville, le procès se déroula quant à lui dans un calme relatif. Il opposa pourtant deux grands avocats médiatiques avec, du côté de la défense, Clarence Darrow, un fervent opposant aux traditionalistes et un libéral connu pour avoir défendu des syndicalistes et des socialistes, et de l’autre, comme procureur, William Jennings Bryan, un fondamentaliste religieux endurci. Le tribunal était quant à lui composé d’un juge prédicateur et de douze jurés dont onze étaient fondamentalistes.

Le procès avait pris une si grande ampleur qu’il n’était plus vraiment question de savoir si Scopes devait être condamné mais de savoir qui avait raison entre la Bible et Darwin. L’argumentaire de la défense reposait principalement sur l’intervention de plusieurs savants mais cela fut refusé par le juge.

Malgré la difficulté évidente qui se présentait à Darrow, celui-ci trouva un stratagème pour y faire face. Il demanda à interroger comme témoin l’avocat général, c’est-à-dire Bryan, du fait de ses connaissances religieuses étendues.

Après avoir établi que Bryan croyait en une interprétation littérale de la Bible, il passa une heure et demie à exposer tous les miracles de l’Ancien Testament en insistant sur l’impossibilité de ces événements. En forçant Bryan à admettre les lacunes d’une interprétation littérale de la Bible, Darrow referma son piège et humilia l’avocat général qui ne put émettre des arguments contraires.

Médiatiquement, cette humiliation de Bryan fut une victoire pour Darrow dans cette bataille culturelle entre traditionalistes et modernistes.

Scopes perdit cependant le procès et fut condamné à payer une amende de 100 dollars. Néanmoins, ce fut une victoire dans la bataille de l’opinion. La loi antiévolutionniste du Tennessee n’a cependant pas pu être examinée devant la Cour suprême et resta en vigueur pendant encore quarante-cinq ans.

Ce procès entre tout de même dans la liste des procès historiques des États-Unis, au même titre que le procès de Salem.

L’opposition profonde d’une Amérique bicéphale

Après la Première Guerre mondiale, une période de profondes mutations économiques, sociales et culturelles s’ouvre aux États-Unis dans les années 1920 ; c’est l’ère des “roaring twenties“. Cette période d’insouciance et de croissance économique se caractérise par sa modernité sociale et culturelle. Un vent de liberté souffle alors sur une Amérique en quête de plaisirs, de loisirs et d’émancipation.

Cette période voit cependant naître une profonde opposition entre deux Amériques, l’une favorable au changement qu’elle perçoit comme positif et l’autre, une Amérique du refus, qui perçoit le changement comme un déclin des mœurs et de la société américaine qu’il faut alors protéger de cette dégénérescence. Cette opposition dépasse la dichotomie Nord-Sud mais exacerbe les différences entre ces deux régions.

Les roaring twenties battent leur plein dans les milieux urbains qui se multiplient et s’étalent à cette période. Les villes deviennent alors un des symboles du capitalisme vrombissant avec leurs gratte-ciels, leurs industries et leur population grandissante. Une nouvelle culture, populaire et impersonnelle s’y développe alors : la culture de masse.

Effectivement, on assiste alors à un développement des loisirs, tels que le cinéma et le sport, et des médias tels que la radio. C’est aussi le temps du jazz alors issu de la culture afro-américaine qui, partant des villes du Sud, gagne peu à peu les grandes villes du Nord.

Ce genre musical transcende les villes du pays et devient un symbole de l’effervescence et de l’euphorie des années 1920 comme le montre notamment les peintures d’Archibald Motley. Le jazz représente une modernité non seulement musicale mais aussi sociale, les hauts lieux du jazz mélangeant blancs et noirs le temps d’un concert.

Les années 1920 sont aussi une période d’émancipation pour les femmes qui se manifeste notamment par une plus grande fluidité de genre. Les femmes apparaissent cheveux courts avec des vêtements plus proches du corps et fument des cigarettes. Une autonomie naissante qui se concrétise aussi par le travail, les femmes représentant 20% de la population active dans la première moitié du XXe siècle, ce qui permet une certaine autonomie financière.

Ainsi, les années 1920 représentent une ère de modernité dans les milieux urbains où naît une culture plus égalitaire. Ce n’est cependant pas le cas de tout le pays.

Blues, 1929 - Archibald Motley Jr. Creative Commons
Blues, 1929 – Archibald Motley Jr. Creative Commons

Dans l’Amérique “profonde”, naît un mouvement réactionnaire qui refuse cette modernité, cette mixité et diversité sociale et culturelle. Dans les milieux ruraux et dans les petites villes, le vrombissement des villes se fait loin et est surtout vu d’un mauvais œil.

L’Amérique du refus voit alors resurgir des mouvements racistes, tels que le KKK, nationalistes et fondamentalistes religieux. Ces derniers rejettent la modernité et maintiennent une interprétation littérale de la Bible d’où le rejet des avancées scientifiques et de la théorie de Darwin. Ces mouvements sont très influents dans le Sud et le Midwest où naissent alors de nombreuses législations conservatrices et créationnistes.

Le procès du singe, opposant fondamentalistes et libéraux, est ainsi une illustration de cette dichotomie profonde entre une Amérique de la modernité et l’Amérique du refus.

Quelques liens et sources utiles

Ginger Ray, Six days or forever? Tennessee v. John Thomas Scopes, London, Oxford University Press, 1974.

Golding Gordon, Le procès du singe : la Bible contre Darwin, Bruxelles, Éditions Complexe, Nouv. éd. rev. et augm, 2006.

Kaspi André. Les États-Unis au temps de la prospérité : 1919-1929. La vie quotidienne. Paris: Fayard, 2013.

Procès du singe, France culture, émission Une histoire particulière.

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