C’est via FaceTime, sur CNN Turk, que le président Erdogan a pris la parole pour appeler le peuple à contrer le soudain coup d’État de l’armée nationale. Ce putsch inattendu a vu l’armée turque se déployer délibérément dans les rues d’Ankara et d’Istanbul dans le but de renverser le chef de l’État.
Le pont du Bosphore, autrefois fréquenté uniquement par des visiteurs curieux de son histoire remarquable, a vu ce jour-là de nombreux chars l’envahir lors de la rébellion militaire. Une intrusion qu’ils auraient espérée historique s’est pourtant révélée vaine.
Le président perspicace
Depuis 1990, le nom d’Erdogan commence à se faire remarquer dans le paysage politique turc. Perspicace et éloquent, il gravit rapidement les échelons de la sphère politique. Il devient d’abord maire d’Istanbul en 1994, puis co-fondateur du célèbre parti politique “Justice et Développement” (AKP) en 2001. En 2003, il accède déjà au poste de Premier ministre de la Turquie, sa popularité dépassant alors les frontières du pays pour devenir mondiale.
Recep Tayyip Erdogan est resté à la tête du gouvernement turc en tant que Premier ministre jusqu’en 2014, année où il a de nouveau gravi les échelons pour devenir le chef de l’État. Le scrutin présidentiel ne laissait aucun doute sur le succès bien mérité d’Erdogan qui jouissait d’un populisme flagrant à l’échelle nationale.
Bien qu’il puisse paraître majoritairement admiré, Erdogan est néanmoins critiqué par une partie de la population qui lui reproche son autoritarisme. L’arrivée d’Erdogan a été aussi caractérisée par des mutations significatives dans la sphère politique turque. Ce changement n’a pas été salué par les puristes et les habitués des anciens préceptes.
Le revers de la médaille
Dans un pays qui se veut civilisé et qui aspire à incarner, à l’instar de l’Occident, un régime démocratique, les arrestations d’opposants et la censure des journalistes étaient parmi les raisons qui ont suscité le mécontentement d’une partie de la population. Le populisme dont jouit Erdogan et son parti politique AKP contribue plutôt à une image où l’on reproche une “dérive autoritaire”.
Sous prétexte de “propagande terroriste”, le régime politique turc censure des journalistes, leur retirant ainsi leur droit à la liberté d’expression. Comme certains journalistes du journal Zaman qui ont été accusés de liens avec le terrorisme et d’avoir comploté avec l’imam Fethullah Gülen, un opposant vivant à l’étranger.
La plupart des journalistes turcs ont été contraints de quitter leur pays en raison de menaces de poursuites judiciaires les visant en cas de non-comparution devant les tribunaux.
Des frictions ayant provoquer le putsch
L’armée, qui se félicitait jusqu’ici de son rôle historique en se proclamant garante de la laïcité et de la stabilité politique, voit sa contribution se réduire sous le règne d’Erdogan. Les tensions sont donc devenues inéluctables, entraînant des discordes au sein des forces armées.
La supposition d’une possible collusion avec la communauté de “Hizmet” n’a pas été écartée, une secte comptant cinq millions de membres dirigée par Fethullah Gülen.
Qui est Fethullah Gülen ?
À l’aube de la tentative du coup d’État, Erdogan l’accuse systématiquement. Cette rupture, qui peut sembler brutale, était en réalité tout le contraire, car depuis 2000, les deux hommes étaient du même camp.
Fethullah Gülen est un érudit de l’islam, un intellectuel qui a longtemps prôné un islam “modéré” à la fois nationaliste et fondamentaliste. Il est à l’origine de l‘organisation du mouvement Gülen, qui s’est progressivement infiltré en Turquie dans les années 1970 et 1980. Gülen était initialement allié à Erdogan, alors fondateur du parti politique AKP. De nombreux adeptes de Gülen ont ainsi pu accéder à des postes de responsabilité, y compris au sein de l’armée, où un certain nombre de militaires étaient partisans du mouvement de Fethullah Gülen.
Les tensions se sont rapidement installées entre les deux parties et les pourparlers n’ont fait qu’éloigner les deux camps. L’année 2013 a marqué un tournant, lorsque Erdogan a accusé Gülen et ses alliés d’avoir comploté un coup judiciaire visant à impliquer son entourage proche dans une affaire de détournement de fonds publics. Cette rivalité n’a laissé aucun doute à Erdogan quant à l’implication des Gülenistes dans le coup d’État de 2016, bien que Gülen lui-même rejette cette accusation et condamne à son tour le putsch.
Tentative de coup l’État
Dans la nuit du 15 juillet 2016, le peuple turc a été surpris de voir le président Erdogan sur FaceTime, diffusé sur la chaîne de télévision CNN Turk. Cette apparition a eu un impact majeur sur le cours du putsch. Les putschistes ont donc été confrontés à une résistance historique de la part des civils, qui ont répondu à l’appel du chef de l’État.
Un mouvement inhabituel de l’armée turque a été remarqué dès les premières heures du 15 juillet 2016, mais personne ne se doutait de la gravité de la situation. Ce n’est qu’aux alentours de 21 heures que la possibilité d’un coup d’État a commencé à devenir de plus en plus plausible. Des troupes de l’armée ont commencé à envahir les villes d’Ankara et d’Istanbul. Le pont du Bosphore a été rapidement bloqué par les soldats turcs, et plusieurs autres endroits sensibles ont été ciblés par les putschistes.
Une série d’attaques aériennes a été lancée simultanément sur la capitale du pays. D’abord, le palais présidentiel d’Ankara, le siège de la Grande Assemblée Nationale de Turquie, ainsi que plusieurs quartiers généraux de la police, ont été ciblés.
La couverture médiatique des événements chaotiques dans la région n’a pas tardé à se faire entendre. La TRT a été la première chaîne à mentionner le nom adopté par les putschistes, le “Conseil de la Paix dans le Pays“, confirmant ainsi qu’il s’agissait bien d’une tentative de coup d’État.
Erdogan était en vacances à Marmaris lorsqu’il a été informé de la situation. Dès lors, il a pris la parole pour exhorter le peuple à mettre fin à l’incursion de l’armée. Cette intervention a déclenché une mobilisation populaire visant à stopper l’assaut militaire. Des affrontements violents ont éclaté entre les civils et les militaires à Istanbul et Ankara. Confrontés à une population déterminée et inflexible, les putschistes n’ont pas réussi à accomplir leur dessein, déjà voué à l’échec.
L’épilogue du putsch
Outre la rébellion vigoureuse du peuple qui a confronté les putschistes, les autorités ainsi que de nombreux militaires loyaux se sont joints à la vague de sédition. Un sous-officier a tué l’un des principaux instigateurs du coup d’État, le général Semih Terzi, ce qui a encore plus découragé les troupes putschistes.
Dès le lendemain du début de la tentative, l’histoire du coup d’État était déjà scellée par un échec total. Le jour même de son déclenchement et à son retour, Erdogan a officiellement annoncé l’échec du coup d’État.
La purge militaire et civile
Après la tentative de coup d’État de 2016, l’armée turque a été soumise à une répression sévère. Cette répression a entraîné la mort de 104 putschistes et a laissé plus de 1000 personnes blessées, tandis que 25 917 individus ont été placés en garde à vue. Les mesures répressives n’ont pas seulement visé les militaires, mais aussi les civils, avec plus de 5000 fonctionnaires renvoyés lors d’une épuration politique. Le gouvernement turc a lancé de nombreuses vagues de licenciements sans merci.
En ce qui concerne les putschistes, ils ont été publiquement lynchés dans des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux.
Quelques liens et sources utiles :
Léo Géhin, Putsch manqué en Turquie : entre fragilisation de l’État et renforcement du pouvoir, 2016
Ronan Tésorière, Turquie : ce que l’on sait sur la tentative de putsch, juillet 2016
Le Monde, En Turquie, chronique d’un coup d’Etat raté, juillet 2016