Sur la place Tiananmen, à Pékin, les premières lueurs du soleil apparaissent et la cérémonie de levée du drapeau débute. À 4000 kilomètres de là, Kachgar, la préfecture de la province du Xinjiang, (la plus à l’ouest du territoire) est toujours plongée dans le noir complet. Pourtant, il est la même heure au deux extrémités du pays.
Cela fait 75 ans que la Chine n’a qu’un seul et même fuseau horaire sur son territoire. L’Empire du Milieu est le seul avec l’Inde à avoir adopté ce fonctionnement atypique, à la différence que celui-ci aurait en temps normal cinq fuseaux horaires, contre seulement deux en Inde. Ces anciens fuseaux horaires avaient été définis en 1912 par l’Observatoire central de Pékin.
Une mesure hautement politique
Après la guerre civile chinoise, le parti communiste prend le pouvoir et proclame la République Populaire de Chine en 1949, tandis que les nationalistes se réfugient sur l’île de Taïwan. Après des décennies de conflits et les « 150 années d’humiliations » (1799-1949) vécues sous les dominations coloniales des Occidentaux et des Japonais, le peuple chinois aspire désormais à une période de paix et de prospérité.
Unifier la nation
Mao Zedong et le parti communiste chinois sont convaincus qu’imposer un seul et unique fuseau horaire dans le pays permettrait de contribuer à l’unification nationale. Tous les citoyens utilisent la même heure officielle, facilitant ainsi la coordination et la communication à travers le pays.
Cette idée d’unification est l’un des piliers de la politique communiste chinoise que l’on retrouve encore aujourd’hui. Ainsi, depuis 1949, l’Empire du Milieu vit au rythme du même fuseau horaire, abritant aujourd’hui environ 1,3 milliard d’habitants sur plus de 5000 kilomètres d’est en ouest.
De plus, à compter de cette date symbolique de 1949, la capitale devient Beijing – aujourd’hui appelé Pékin – au détriment de Nankin, et le fuseau horaire désormais unique est nommé le Beijing Standard Time (BST). Mao Zedong cherche ainsi à montrer que la République Populaire de Chine vit désormais au rythme de sa nouvelle capitale. L’heure reste un symbole important du pouvoir politique, à fortiori en Chine, que certains qualifient encore d’empire.
Les territoires spécifiques de Macao, Hong Kong ou Taïwan, appliquent eux aussi le fuseau horaire, devenu la norme.
Des exceptions à la règle
Toutefois, le fuseau horaire UTC+8, n’est pas appliqué en tout lieu du territoire chinois. Dans la région autonome du Xinjiang, le peuple des Ouïghours a conservé son fuseau horaire à UTC+6, sans cela, les habitants auraient dû se lever aux alentours de minuit pour partir au travail.
D’ailleurs, certains Ouïghours parlent aujourd’hui en heure solaire et non en heure officielle, en signe de protestation contre le « colonisateur » chinois. Également, les communautés rurales vivant à l’extrême ouest de la région vivent à leur propre rythme : l’heure de Pékin n’y est pas en vigueur.
Les conséquences d’un fuseau horaire unique
La mise en place du Beijing Standard Time a permis une harmonisation des horaires de travail sur le plan national et de déterminer plus aisément les activités professionnelles. Ce système est plutôt bien vu de l’opinion publique chinoise.
L’utilisation d’un fuseau horaire unique est généralement vu comme un avantage économique pour la Chine. Le commerce et les échanges sont optimisés par un contact permanent entre l’« usine du monde » et le reste du globe.
Les entreprises se sont adaptées à la disponibilité 24/7 et le travail de nuit a été imposé dans une grande partie du pays. De plus, les hommes d’affaires et les entreprises étrangères peuvent organiser aisément des appels partout en Chine sans avoir à se soucier de l’heure qu’il y est.
Néanmoins, ce dernier peut-être surprenant pour les touristes : voyager dans un pays aussi immense sans avoir besoin de régler sa montre en fonction du fuseau horaire reste particulier.
Cette mesure présente aussi des effets négatifs sur la santé selon certains. En effet, le fuseau horaire serait désormais moins adapté à la période d’ensoleillement journalière dans certaines régions chinoises, or une exposition suffisante aux rayons du soleil contribue à la bonne santé de nos métabolismes, notamment en favorisant le sommeil et en renforçant notre système immunitaire.
Conclusion
L’adoption d’un unique fuseau horaire en Chine s’inscrit dans une volonté du Parti Communiste chinois d’unifier la nation, dès la proclamation de la République Populaire de Chine en 1949. Le pouvoir en place souhaite pérenniser la paix dans le pays après des décennies de conflits, et également redonner à l’Empire du Milieu sa place d’antan sur la scène internationale. Au début du XIXe siècle, la Chine représentait un tiers du PIB mondial contre moins de 5% au milieu du XXe siècle.
La suppression des cinq fuseaux horaires est ainsi une décision avant tout politique qui participe à la singularité du territoire chinois. Elle est perçue comme un avantage économique et même logistique, facilitant la communication et l’organisation du travail à l’échelle nationale.
Aussi, elle est vue comme un inconvénient pour le tourisme, et même du point de vue sanitaire pour certains, les horaires de la journée étant en mauvaise adéquation avec la lumière naturelle du soleil dans certaines régions du pays.
Quelques liens et sources utiles
Seaman, J. W. (2019). Il est midi à Pékin. Le monde à l’heure chinoise, Éric Chol et Gilles Fontaine, Paris, Fayard, 2019, 256 pages. Politique Étrangère, Hiver(4), XVII. https://doi.org/10.3917/pe.194.0183q
1er octobre 1949 : la naissance de la Chine communiste. (s. d.). ina.fr. https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/1er-octobre-1949-la-naissance-de-la-chine-communiste
