L'ouvrage coup de cœur d'avril : Petit dictionnaire des Sales Boulots par Nicolas Méra

Devenir français : du XIVe siècle à nos jours

Depuis la période médiévale, le droit à la nationalité et comment l'acquérir ont évolué. Aujourd'hui, ce sujet divise la société française.
Locaux de la permanence de l'Action française située 26 Place Bellecour dans le 2e arrondissement de Lyon durant les années 1920 - Almanach de l'Action française (Gallica) | Domaine public
Locaux de la permanence de l’Action française située 26 Place Bellecour dans le 2e arrondissement de Lyon durant les années 1920 – Almanach de l’Action française (Gallica) | Domaine public

Ce dernier mois, la suppression du droit du sol à Mayotte, un département français, a fait débat. Les différents bords politiques se sont emparés de la question pour mettre en avant leurs idéaux. Certains réclament une suppression généralisée au pays entier, tandis que d’autres dénoncent une violation d’une valeur républicaine fondamentale.

Pourtant, la question de la véracité du second propos peut se poser. Au cours de l’histoire, l’évolution de la société et des événements clés ont modifié les méthodes d’acquisition de la nationalité française. De l’époque féodale, où la gestion des terres était partagée entre propriétaires, à nos jours avec la suppression du fameux droit à Mayotte, voici un petit tour de l’évolution de l’acquisition de la nationalité française.

La nationalité française avant 1789

Au Moyen Âge, le principe de nationalité est inexistant. On est sujet du roi lorsqu’on naît sur ses terres. Nous parlons de « jus soli« , c’est-à-dire, du droit du sol.

La société est divisée en deux catégories d’appartenance au royaume : les regnicoles, qui sont les natifs, et les aubains, qui sont les personnes étrangères vivant sur ses terres. Ils peuvent se voir accorder la naturalisation uniquement par la main du roi. Pour cela, il doit délivrer des « lettres de naturalité ».

La différence entre les regnicoles et les aubains se constate dans le droit de propriété du roi. En effet, le droit d’aubaine, aboli au XIXe siècle, stipule ainsi que, lors du décès d’une personne d’origine étrangère vivant dans le périmètre de sa souveraineté, le roi hérite de ses propriétés.

Lettre de naturalité de Dame Valburg de Vander, la femme de Jean de Bonnot - Auteur inconnu | Creative Commons BY-SA 4.0
Lettre de naturalité de Dame Valburg de Vander, la femme de Jean de Bonnot – Auteur inconnu | Creative Commons BY-SA 4.0

Au début du XVIe siècle, trois conditions doivent être réunies pour prétendre au titre de Français : il faut être né en France, d’au moins un parent français et être regnicole. C’est le « jus sanguinis« , le droit du sang. Celui-ci est combiné au « jus soli » à la veille de la Révolution.

Le Français est maintenant aussi celui qui naît en France de parents étrangers et qui manifeste l’intention de demeurer dans le royaume, ou celui qui naît de parents français à l’étranger et qui revient s’installer définitivement dans le royaume.

De la Révolution Française au Code Civil Napoléonien (1789-1804)

La Révolution donne un nouveau souffle à la vie politique du pays. Elle introduit une nouvelle notion, celle de la citoyenneté, conférant ainsi une dimension politique à la nationalité.

La Révolution française : début du principe de citoyenneté

La Constitution de l’époque maintient le droit du sol et y ajoute de nouveaux critères. Le statut de citoyen est accordé aux personnes d’origines étrangères qui rendent service à la France, à condition d’y vivre et de prêter serment.

Le serment civique est la promesse de fidélité à la nation et de défense de la Constitution, récitée par le nouveau citoyen lors de la réception de la nationalité. La Constitution de 1791 dispose aussi, en son article 3, que

« sont français ceux qui, nés hors du Royaume de parents étrangers, résidant en France, deviennent citoyens français après cinq ans de domicile continu dans le Royaume, s’ils y ont acquis des immeubles ou épousé une Française, ou formé un établissement d’agriculture ou de commerce, et s’ils ont prêté le serment civique ».

Le droit du sang est lui atténué pour les Français nés à l’étranger. L’objectif est d’écarter de la nation ceux qui ont fui la Révolution, majoritairement les nobles.

Le Code Civil, innovation sous Bonaparte

Édition originale du Code Civil des français de 1804 - Imprimerie nationale | Domaine public
Édition originale du Code Civil des français de 1804 – Imprimerie nationale | Domaine public

En 1804, Napoléon Bonaparte, consul de France, fait rédiger le Code civil.

C’est un code juridique regroupant les règles définissant les droits et les devoirs des citoyens français.

Le Code civil favorise la filiation.

Cela est dû à la situation politique instable du pays depuis la Révolution, mais aussi à une montée de la xénophobie dans la population. La naturalisation est régie par des dispositions qui renouent avec les Lettres de naturalité de l’ancien régime. Elle peut être accordée suite à une demande et une décision de justice favorable.

Du Second Empire à la IIIe République

Avec la Révolution industrielle qui débuta en 1815, de nombreux travailleurs étrangers (belges, allemands, etc.) s’installent en France.

Un ensemble d’assouplissements de l’acquisition de la nationalité

À la même période, la démographie locale est en baisse, ce qui inquiète les pouvoirs publics. Pour y remédier, le droit d’acquisition de la nationalité fut assoupli. L’objectif était d’augmenter le nombre de Français. C’est ainsi que fut institué le double droit du sol en 1851. Le Code civil dispose à son article 19-3, toujours en vigueur aujourd’hui, qu’est français tout individu né sur le territoire de parents d’origines autres, eux-mêmes nés sur le territoire.

De plus, en 1871, la France perd l’Alsace-Lorraine suite à sa défaite contre l’Allemagne, guerre engagée par la France elle-même un an plus tôt. Désireux de se venger et de récupérer ses terres, la loi est réformée pour une préoccupation de défense nationale en 1889. Est désormais français tout jeune étranger né en France et résidant en France à l’âge de sa majorité. Cette réforme apaise aussi un ressentiment des jeunes Français envers les étrangers, car eux n’effectuaient pas le service militaire. Cette loi de 1889 impose les bases d’acquisition que nous connaissons aujourd’hui.

Mais la Première Guerre mondiale, qui se termine en 1918, a laissé le pays en ruine, engendré la mort d’un million et demi d’hommes et laissé près de deux millions d’handicapés. Pour se reconstruire, l’État fait massivement appel à de la main-d’œuvre de pays tiers. Afin de les intégrer au mieux, la loi du 10 août 1927 est passée. Elle assouplit encore les conditions de naturalisation en définissant la période de résidence sur le territoire à 3 ans. Elle consacre aussi le principe d’indépendance de la femme mariée. En d’autres termes, elle n’acquiert plus la nationalité directement par le mariage mais doit en faire la demande si elle est d’origine autre.

La femme française qui épouse un étranger ne perd plus sa nationalité, contrairement à la loi de 1889, et peut ainsi la transmettre à son enfant. Entre 1927 et 1938, environ 81 000 personnes sont naturalisées.

Les évolutions sous le régime de Vichy

Cette loi fut effective jusqu’en 1940. Le pays, sous le régime de Vichy, suspend la naturalisation. Son gouvernement reprochait à la loi de 1927 « de faire trop facilement des Français« . Il fit passer une loi le 22 juillet 1940 qui impose une révision générale des naturalisations accordées depuis la dernière loi.

Une Commission de Révision de Naturalisation fut mise en place et statuait sur le retrait de leur nationalité aux principaux concernés (environ 15 000 personnes). Par cette même loi, de nombreux résistants furent déchus de leur nationalité, comme le général de Gaulle.

L’après-guerre et les 30 glorieuses

En 1945, la décision de créer un Code de la Nationalité Française est prise.

Le Code de la Nationalité Française

Il regroupe différentes règles relatives à la nationalité de manière institutionnalisée. Ces règles concernent le droit à la nationalité (attribution, acquisition, perte), des principes généraux (résolution de conflits dans l’espace et le temps) et les compétences judiciaires (preuve de nationalité, compétences préjudicielles de nationalité française ou autres).

Certaines dispositions de l’ordonnance prévoient, par exemple, l’acquisition de plein droit de la nationalité à la majorité pour l’enfant né en France de parents étrangers s’il justifie de sa résidence sur le territoire les cinq années précédentes. Ou encore, le refus d’attribution de la nationalité à la personne ayant encouru une peine de prison supérieure à un an pour crime ou délit de droit commun (ne portant pas atteinte à l’ordre politique).

Par la suite, le Code est presque entièrement réformé en 1973. La décision vise à le concilier avec le Code Civil qui a évolué entre-temps. Il aborde, entre autres, l’égalité entre les époux pour la transmission de la nationalité, l’égalité entre les enfants légitimes et naturels, et la modalité d’acquisition par naissance et résidence en France. La loi est passée le 9 janvier 1973 et fait l’unanimité de la classe politique.

Des années 80 aux années 2000

Toutefois, au début des années 80, la législation commence à faire débat.

Les conséquences de la guerre du Kippour

En effet, l’année de l’adoption de la loi de refonte du Code de la Nationalité coïncide avec le début de la guerre du Kippour, une offensive contre Israël organisée par une coalition de pays arabes. En riposte à l’aide américaine à Israël, les pays membres de l’OPEP (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole) faisant partie de la coalition, augmentent le prix du pétrole de 70%.

Ce choc pétrolier entraîne une crise économique et une augmentation du chômage. La situation de crise favorise l’émergence de thèses défendant le principe d’une « identité nationale menacée par une immigration incontrôlée et l’attribution simpliste de la nationalité à cette population« . Cependant, en 1984, une loi est passée permettant de souscrire à une déclaration de nationalité après six mois de mariage.

Une montée du nationalisme et régulation de l’immigration

La montée des revendications nationalistes mène aux lois dites Pasqua-Debré.

Article du journal "Droit de vivre", 6 juin 1993 - Droit de Vivre
Article du journal « Droit de vivre », 6 juin 1993 – Droit de Vivre

La première, passée le 9 septembre 1986 et nommée d’après le ministre de l’Intérieur de l’époque, Charles Pasqua, modifie les conditions d’entrée et de séjour sur le territoire.

Elle accroît le nombre de formalités et de conditions à remplir pour entrer sur le territoire, restreint l’attribution de la carte de résident en limitant les catégories d’étrangers auxquels elle est attribuée de plein droit et permet à l’administration de reconduire immédiatement à la frontière les étrangers en situation irrégulière, sans contrôle judiciaire.

Elle facilite les expulsions décidées par le ministre de l’Intérieur en restreignant les garanties de procédure et en aggravant les risques d’arbitraire.

La seconde loi, datée du 22 juillet 1993, réintroduit le Code de la Nationalité dans le droit civil, signifiant par là que la nationalité est un élément d’individualisation au même titre que l’état civil. Elle supprime le double droit du sol pour les ressortissants de pays anciennement sous tutelle ou souveraineté française.

Le délai pour acquérir la nationalité après le mariage est avancé à deux ans, et elle institue pour les jeunes étrangers nés en France et y résidant l’obligation d’effectuer une démarche administrative, dite « manifestation de volonté », pour demander la nationalité entre 16 et 21 ans. La réforme vise à redonner du sens au droit à la nationalité en modifiant certains moyens d’acquisition.

La Loi Debré, mise en place le 24 avril 1997, permet la confiscation du passeport des étrangers en situation irrégulière et autorise la mémorisation des empreintes digitales de ceux qui demandent un titre de séjour.

L’assouplissement de la loi du 22 juillet

La loi est de nouveau réformée en 1998 avec la loi du 16 mars. La manifestation de volonté est supprimée, et la souscription post-mariage est ramenée à un an. Elle facilite la naturalisation des réfugiés statutaires et instaure la délivrance d’un « titre d’identité républicain » à l’enfant mineur né en France de parents étrangers titulaires d’un titre de séjour. Cela lui permet de justifier de son identité et d’avoir le droit de libre circulation dans l’espace Schengen. Par la suite, la loi du 29 décembre 1999 permet aux légionnaires étrangers blessés au combat de devenir français de plein droit. Ce mode d’acquisition, proposé par le ministre de la Défense de l’époque, Alain Richard, est nommé « Français par sang versé » et a été voté à l’unanimité.

Les années 2000 : Assimilation et lutte contre l’immigration irrégulière

Au début des années 2000, la population française comprend environ 7% d’immigrés, et une nouvelle vague d’immigration se profile, motivée par l’émergence de conflits armés dans le monde, comme la seconde Guerre du Golfe, et par les écarts de niveau de vie entre les pays riches et ceux du tiers monde.

La problématique de l’immigration irrégulière

La mondialisation facilite la mobilité, avec de plus en plus d’étudiants, de travailleurs et de leurs familles qui se déplacent en Europe.

Pour renforcer l’adhésion aux valeurs et aux règles du droit républicain, une loi est passée le 26 novembre 2003. Elle renforce les conditions d’acquisition de la nationalité en exigeant une connaissance des droits et devoirs du citoyen français comme critère. La naturalisation après mariage est fixée à 2 ans si le couple vit sur le territoire depuis au moins un an, sinon elle est de 3 ans. Une connaissance minimale de la langue française devient également un critère de sélection.

En 2006, la loi est renforcée, la durée minimum de vie commune est portée à 4 ans pour les couples vivant sur le territoire depuis au moins 3 ans.

Le renforcement de la loi du 26 novembre

À partir de 2011, face à l’immigration, à l’intégration et à la lutte contre l’immigration clandestine, les lois de 2003 et de 2006 sont encore renforcées. L’accent est mis sur l’assimilation linguistique et culturelle, avec une exigence accrue du niveau de connaissance de la langue et une connaissance suffisante de l’histoire, de la culture et de la société française, ainsi qu’une adhésion aux principes et valeurs républicains.

Et l’Union européenne dans tout ça?

La signature du traité de Maastricht en 1992 marque la naissance de l’Union européenne et du statut juridique de « citoyen européen« , accordant certains droits politiques proches de ceux conférés par une nationalité.

Les États membres sont tenus d’accorder une partie des droits de leur nationalité aux ressortissants des autres pays membres, incluant le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales et le droit de libre circulation.

La situation actuelle

En 2022, le nombre d’immigrés en France atteint 7 millions, soit 10,3% de la population, avec 2,5 millions ayant acquis la nationalité française.

La majorité d’entre eux viennent de l’Afrique. Les pays de naissances qui reviennent le plus fréquemment sont l’Algérie (12,5%), le Maroc (11,9%), le Portugal (8,2%), la Tunisie (4,7%), l’Italie (4%), l’Espagne (3,5%) et la Turquie (3,3%). La moitié des immigrés sur le territoire sont de ces sept origines, soit 48% de la totalité d’immigrés.

Diagramme de l'INSEE, chiffres officiels de la décomposition de de la population vivant en France selon le lieu de naissance et la nationalité - Insee 10/07/23
Diagramme de l’INSEE, chiffres officiels de la décomposition de de la population vivant en France selon le lieu de naissance et la nationalité – Insee 10/07/23

Le recul du nombre d’immigrés en provenance de l’Union européenne est attribué à l’ancienneté de leur immigration et aux avantages instaurés par la libre circulation au sein de l’Union. Les naturalisés originaires d’Asie représentent désormais moins de 15% de la population immigrée.

Ceux venant des pays du sud-est asiatique, notamment de l’ancienne Indochine, sont en nette diminution, en lien avec la baisse du flux des réfugiés. L’éventail des origines s’est élargi au cours des 15 dernières années, sans pour autant modifier l’équilibre général des nationalités les plus représentées. Le nombre de nationalités est passé de 120 au début des années 1990 à plus de 170 en 2006.

Le point sur la nationalité française

De l’époque féodale à l’époque contemporaine, la question du droit à la nationalité a évolué, influencée par les événements et les réalités de chaque période. Le droit du sol (jus soli) et le droit du sang (jus sanguinis) existent depuis le Moyen Âge. Leur importance et leur application ont varié au fil du temps.

La Révolution de 1789 et l’avènement de la République ont marqué un tournant dans l’institutionnalisation de ces droits avec l’introduction du principe de citoyenneté, signifiant que la nationalité française implique l’adhésion à certaines valeurs.

En 1804, le Code Civil, établi par Napoléon Bonaparte, a formalisé la nationalité comme principe juridique. Les vagues d’immigration consécutives à la Révolution industrielle, aux différentes guerres et aux périodes de reconstruction ont conduit à faciliter l’obtention de la nationalité française pour des raisons démographiques, militaires ou d’intégration. Les répercussions de la guerre du Kippour ont engendré une montée du nationalisme et de la xénophobie, renforçant les règles d’acquisition de la nationalité.

L’intégration à l’Union Européenne a conféré un nouveau niveau de citoyenneté, la citoyenneté européenne, accordant certains avantages aux ressortissants des pays membres, comme le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales et le droit de libre circulation.

Aujourd’hui, la France reste une terre d’accueil, notamment pour les réfugiés de guerres, les réfugiés politiques et désormais pour les réfugiés climatiques. Toutefois, le droit à la nationalité reste un sujet de débat brûlant, l’immigration étant le thème le plus sensible dans l’espace public européen, notamment avec la montée des gouvernements de droite. La question de l’avenir du droit du sol dans une Europe aux tendances nationalistes reste ouverte, signe que le débat sur la nationalité et l’immigration est loin d’être résolu.

Quelques liens et sources utiles

Qu’est-ce que le droit du sol ?, Histoire Immigration

Historique du droit de la nationalité française, Gouvernement français

L’essentiel sur… les immigrés et les étrangers, INSEE

Lazare Bonchamp, Révolution industrielle en France et dans le monde, Histoire pour tous, 2020

Comment devient-on Français ?, Histoire Immigration

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