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Grandeur et décadence d’Alphonse de Châteaubriant

Châteaubriant est aujourd'hui largement oublié, alors qu'il était une figure littéraire à l'époque. Retour sur les raisons de ce déclin.
Portrait d'Alphonse de Châteaubriant vers 1910 | Domaine public
Portrait d’Alphonse de Châteaubriant vers 1910 | Domaine public

Chateaubriand ou Châteaubriant ? Phonétiquement, il est vain de s’essayer à repérer une syllabe discriminante et pourtant quelle différence ! Le premier, François René, était écrivain, figure du romantisme, royaliste légitimiste et libéral du XIXe siècle, auteur des Mémoires d’outre-tombe, monument de la littérature française. Le second, aussi écrivain, dont ses contemporains n’ont pas manqué de parler en des termes élogieux, la postérité l’a effacée. Ce sont les raisons de cette disparition que l’on retrace ici pour comprendre la déchéance d’un grand écrivain de son siècle.

Succès littéraires et déboires intellectuels

De la naissance au premier conflit mondial

Tout d’abord, il est vain de retracer l’arbre généalogique en espérant trouver un lien de parenté avec Chateaubriand. Les ancêtres d’Alphonse de Châteaubriant ont simplement acquis la seigneurie de Châteaubriant au XVIIe siècle, permettant alors à la famille de porter ce nom. Né en 1877 dans l’ouest, il y passe toute son enfance ce qui joue un rôle essentiel dans son œuvre. Dans de nombreuses œuvres, il prend ce décor familial comme cadre.

En 1906, sa rencontre avec Romain Rolland, écrivain reconnu, le bouleverse. C’est le début d’une longue amitié qui ne prend fin qu’avec la mort de Romain Rolland en 1944. La correspondance des deux hommes témoigne de l’amitié qu’ils se portent toute la vie et de l’admiration sans bornes que Châteaubriant a pour Rolland. En témoigne, une lettre de 1909 :

Je suis sorti de chez vous, l’autre jour, tout débordant de bonheur. Maintenant, je ne souffre plus, il y a un homme dans ma vie, j’ajoute : un frère. Que celui-là me donne la main, de temps en temps, et cela suffira. Je ne serai plus jamais seul. Votre ami.

Lettre de Alphonse de Châteaubriant à Romain Rolland

Acteur de la Première Guerre mondiale, il en revient particulièrement affecté et devient un fervent pacifiste. Opposé aux nationalismes, il n’aspire alors qu’à la paix entre les nations européennes. C’est d’ailleurs au niveau européen que réside le seul moyen de garantir la paix. Cependant, il porte un regard pessimiste sur le monde qui l’entoure et sur les hommes, en témoigne une lettre prophétique de 1918, où il affirme que « Tout prépare la guerre. Dans vingt ans, nous aurons la guerre. » Son engagement dans les années suivantes est cohérent, comme lorsqu’il signe la Déclaration d’indépendance de l’esprit, publiée par le journal socialiste L’Humanité.

Le succès littéraire

Néanmoins, ce n’est pas la politique qui passionne Châteaubriant mais les lettres. S’il a déjà connu un succès avec Monsieur des Lourdines en 1911, qui obtient le prix Goncourt, c’est avec La Brière que sa réputation est actée en 1923. Avec plus de 600 000 exemplaires, l’ouvrage est un des plus grands succès de l’entre-deux-guerres. Il reçoit même le prix de l’Académie française et est adapté en film. Plus qu’une simple histoire, c’est le portrait d’un territoire, d’une géographie, le tout décrit avec un certain romantisme. Ces nombreuses descriptions de la nature, des paysages de l’ouest, en font, pour certains, un écrivain régionaliste. Que cela soit vrai ou non, il n’en demeure pas moins un des grands écrivains de l’entre-deux-guerres.

S’ensuivent d’autres ouvrages, avec un succès moindre, mais qui confirment malgré tout sa renommée. En 1927, dans La Meute, il s’inspire d’une histoire vraie et de la vie de Gaspard de Châteaubriant, son grand-père. En 1933, dans La Réponse du Seigneur, il développe longuement sa vision de la contemplation et dans laquelle on observe comment Alphonse de Châteaubriant verse de plus en plus dans le mysticisme. Malgré son talent et sa notoriété, la publication d’un ouvrage particulièrement controversé lui vaut les foudres de ses pairs et des critiques, prélude à sa déchéance.

La chute ou la publication de La Gerbe des forces

Après un premier voyage en Allemagne en 1935 et un second en 1937, Alphonse de Châteaubriant revient métamorphosé. Son désir de voir le christianisme renaître, de lutter contre l’individualisme, de lutter contre le communisme… Il retrouve tout cela dans le national-socialisme et voit Hitler et son projet comme une opportunité. Ainsi, pendant de longues et pénibles pages, il fait l’éloge de l’Allemagne régénérée et d’Hitler :

Les Allemands, chez qui le pas cadencé correspond à un style de vie, à un sentiment métaphysique, à un rythme d’âme… Chacun en sa conscience remplie d’universelle discipline, touche aux fonds éternels.

Ses yeux sont du bleu profond des eaux de son lac de Könignsee.

Il est exaltant de se trouver près de lui quand il parle. Oui, Hitler est bon. Regardez-le au milieu des enfants, regardez-le penché sur la tombe de ceux qu’il aimait, il est immensément bon.

La Gerbe des forces, Alphonse de Châteaubriant
Édition de La Réponse du Seigneur de 1933 | Collection personnelle
Édition de La Réponse du Seigneur de 1933 | Collection personnelle

Son adhésion au national-socialisme fait scandale en France. Lui qui était promis à un avenir radieux est rattrapé par cette publication. Pressenti pour l’Académie française, même les profils les plus tendancieux ne lui pardonnent pas cette publication. Plus comique encore, de futurs collaborateurs condamnent son œuvre. C’est le cas de Robert Brasillach, étoile de la littérature de l’entre-deux-guerres, membre de l’Action française. Il est alors fermement anti-allemand comme une partie de l’extrême-droite française d’alors, et qui se scinde au moment de la collaboration : une partie décide de servir Vichy quand l’autre part en résistance. Robert Brasillach écrit alors ceci :

Puérilité : c’est le seul mot décent, le seul mot juste que l’on puisse employer pour ce libre, où l’on voit l’auteur s’agenouiller de page en page, avec un respect religieux, devant tout ce que représentent l’Allemagne et l’Hitlérisme.

Action française du 8 juillet 1937, Robert Brasillach

Avec la guerre et l’invasion du territoire par les Allemands, il préfère néanmoins fuir et retourne dans l’ouest le temps de l’invasion. Une fois le régime de Vichy installé, il revient à Paris et compte jouer un rôle dans la collaboration en affirmant son soutien au régime de Vichy.

Le déshonneur ou la collaboration

Châteaubriant, directeur de La Gerbe

D’abord, le déshonneur passe par la création de La Gerbe en juillet 1940. Journal collaborationniste qui a pour directeur Alphonse de Châteaubriant et qui aurait été fondé sur demande de l’ambassadeur d’Allemagne à Paris. Le journal présente un contenu à la fois porté sur la culture (littérature, théâtre…) sans oublier les chroniques collaborationnistes de certains. Plus étonnant, on y trouve parfois des articles philosémites qui côtoient des écrits antisémites. La Gerbe connaît un certain succès, en atteignant près de 150 000 exemplaires, bien qu’elle soit derrière Je suis partout, journal antisémite et collaborationniste dont Robert Brasillach est un important contributeur.

Mais si Châteaubriant en est le directeur, le journal est assez peu homogène dans son contenu et n’illustre pas totalement sa pensée. Évidemment, il se retrouve dans certains points comme la lutte contre le communisme ou la défense de l’Europe. Mais en vérité, la présence d’articles philosémites peut ne pas étonner, car Châteaubriant n’a jamais exprimé d’hostilité envers les juifs dans ses écrits. Son comportement tranche avec les autres collaborateurs, qui avaient un avis sur la question et le faisaient savoir. Son soutien au régime de Vichy est alors d’autant plus difficile à cerner. La Gerbe, en conséquence, est parfois mal perçue par d’autres collaborationnistes, comme Lucien Rebatet, important contributeur de Je suis partout et qui n’hésite pas à attaquer La Gerbe et son directeur. Dans ses mémoires, il parle de la popularité de Je suis partout et affirme ceci :

Nous bénéficiions de la médiocrité des concurrents. Le plus honorable, La Gerbe, parue dès le mois de juillet 1940, portait le handicap paralysant de son propre fondateur, Alphonse de Châteaubriant, le gentilhomme de la Brière, prix Goncourt 1911, célèbre pour des romans régionalistes dont je n’ai jamais lu une ligne, le genre m’assommant. […] Sa Gerbe reflétait à la fois ses mœurs brouillonnes et son esprit d’illuminé. Les rubriques changeaient chaque mois de titulaire, chaque fois plus incompétent. […] Avec cette Gerbe à peu près illisible, qui ne pouvait se maintenir qu’avec quelques subsides allemands – certains « Doktoren » appréciaient son sérieux, sa religiosité – nous possédions l’organe bien pensant et académisant de la collaboration.

Mémoire d’un fasciste, Tome II 1941-1947, Lucien Rebatet

Le Groupe Collaboration

Mais sa collaboration ne s’arrête pas à la direction d’un journal et à quelques articles, il pousse le vice plus loin en devenant directeur du Groupe Collaboration en 1941. Ce groupe se considère comme le descendant du Comité France-Allemagne, structure d’avant-guerre qui essayait de promouvoir la discussion intellectuelle, scientifique et culturelle avec l’Allemagne dans un but de paix.

Dans les faits, cette filiation est seulement là pour légitimer le Groupe Collaboration, car le Comité n’avait pas d’affinité pour le national-socialisme et est dissout en 1939 (ce qui n’empêche évidemment pas certains membres de rejoindre ensuite le Groupe Collaboration). Dans ses activités néanmoins, il y a une certaine logique, une continuité. L’objectif de cette structure est plus culturel que politique, et donne des conférences, organise des expositions…

Fuite et disparition d’Alphonse de Châteaubriant

Avec la défaite de l’Allemagne, la fin du régime de Vichy, et la libération de la France, se pose la question du sort réservé aux collaborateurs, et ici plus encore, des intellectuels et écrivains. Châteaubriant quitte la France, direction Baden-Baden puis Sigmaringen où se trouve la fine fleur de la collaboration française, de Lucien Rebatet à Marcel Déat, en passant par Louis-Ferdinand Céline, dont l’antisémitisme n’est plus à prouver. Ce  dernier brosse d’ailleurs un amusant portrait de Châteaubriant :

Alphonse de Châteaubriant !… le larbin le précède… le voici ! il boite !… il entre… notre dernière rencontre, à Baden-Baden, il boitait moins, je crois… à l’Hôtel Brenner… il avait le même chien, un vraiment très bel épagneul… il était habillé pareil, lui… en personnage de son roman… depuis son film Monsieur des Lourdines… il change plus de costume… le personnage… ample cape brune, souliers pour la chasse… oh ! mais ! oh si !… le feutre tyrolien est nouveau !… la petite plume ! d’une main l’épagneul en laisse, l’autre main, un piolet !… où il allait comme ça, Alphonse ?… il nous le dit tout de suite… je vous oubliais : sa barbouse !… depuis Baden-Baden, ce qu’il avait pris comme barbe !… une barbe de druide !… elle était que barbe mondaine là-bas, maintenant drue, grise, hirsute… envahissante !… vous lui voyiez plus la figure… plus que les yeux…

D’un château l’autre, Louis-Ferdinand Céline

En parallèle, le Comité national des écrivains, né sous la résistance et qui s’officialise à la Libération, dresse une liste d’auteurs qu’il convient de juger pour leurs actions. On trouve aussi bien Pierre Drieu la Rochelle que Charles Maurras, mais surtout Alphonse de Châteaubriant. S’ensuit alors des condamnations, notamment à mort, comme Robert Brasillach, qui, en attendant sa sentence en prison, écrit les Poèmes de Fresnes, qui demeure une de ses œuvres les plus connues aujourd’hui. Drieu la Rochelle préfère le suicide, à l’image de son personnage, Gilles, dans Le Feu follet. En bref, beaucoup sont traqués et condamnés.

Journal La Gerbe du 26 février 1942 | Domaine public
Journal La Gerbe du 26 février 1942 | Domaine public

Châteaubriant, proscrit en Allemagne, continue sa cavale et arrive en Autriche, où il termine ses jours dans le Tyrol. En 1948 se tient son procès, à l’issu duquel il est condamné à mort par contumace et à l’indignité nationale et l’ordre de son arrestation est donné. Mais Alphonse de Châteaubriant n’existe plus.

Désormais, il est Alfred Wolf, identité d’un homme mort qu’il a réussi à avoir avec la complicité de la veuve du défunt. Seuls certains de ses amis savent qui il est, comme Jean Cocteau, qui n’hésite pas à lui rendre visite. Il vit jusqu’en 1951, où il est alors emporté par la maladie, et est inhumé dans les terres autrichiennes.

En bref, le comportement d’Alphonse de Châteaubriant laisse circonspect. Comment cet homme, pacifiste après la Première Guerre mondiale, qui avait même défendu Dreyfus, a pu se retrouver acteur de la collaboration ? Il n’est pas le seul, et des travaux, comme ceux de Simon Epstein avec Les Dreyfusards sous l’Occupation montre l’ambiguïté de nombreux comportements. Célébré en son temps, pour son talent littéraire, il n’est aujourd’hui plus édité, à quelques exceptions près. Le plus dramatique étant que l’ouvrage qui a été le plus réédité ces dernières années est La Gerbe des forces, apologie du national-socialisme dénué de tout style littéraire, et non pas La Brière, Les Pas ont chanté ou Monsieur des Lourdines, qui constituent véritablement son identité littéraire.

Avec la collaboration, de nombreux écrivains, célèbres dans l’entre-deux-guerres, ont cessé de compter. Brasillach en est un, Châteaubriant en est un autre. D’autres n’ont pas eu ce traitement, comme Drieu la Rochelle ou Céline, qui connaît d’ailleurs un grand succès avec la redécouverte des manuscrits perdus. Alors, faut-il lire Alphonse de Châteaubriant ? Si beaucoup s’accommodent du style saccadé et argotique de Céline en ignorant sciemment son antisémitisme et son activité pendant la collaboration, il n’est pas honteux de se saisir d’un livre de Châteaubriant et d’y découvrir des paysages aujourd’hui menacés.

Quelques sources et liens utiles

BOUCLIER Thierry, Châteaubriant, Grez-sur-Loing, Pardès, coll. « Qui suis-je ? », 2019.

CHÂTEAUBRIANT Alphonse de, Les pas ont chanté, Paris, Bernard Grasset, 1938.

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Une réponse

  1. Encore un très bon article !
    Un parcours qui m’était totalement inconnu mais qui par certains aspects me fait penser à celui d’un autre écrivain que j’apprécie, le norvégien Knut Hamsun au parcours aussi litigieux et aux ouvrages cependant passionnants. Mais ceci n’est qu’un avis personnel.
    Bravo pour le travail et continuez ainsi !

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