Les Légions tchécoslovaques : un instrument de l’indépendance nationale

Créées durant la Première Guerre mondiale, les Légions tchécoslovaques ont joué un rôle clef dans la reconnaissance internationale de l'État tchécoslovaque.
Patrouille de la Légion tchécoslovaque en Russie pendant la Première Guerre mondiale - Anonyme | Domaine public
Patrouille de la Légion tchécoslovaque en Russie pendant la Première Guerre mondiale – Anonyme | Domaine public

Sommaire

Lors de la Première Guerre mondiale, les Légions tchécoslovaques se sont imposées comme un symbole de la lutte pour l’indépendance. Bien qu’elles aient joué un rôle militaire notable, leur impact fut avant tout politique : elles contribuèrent à faire reconnaître sur la scène internationale l’existence future de la Tchécoslovaquie.

Composées de volontaires issus des communautés tchèques et slovaques présentes en Russie, en France et en Italie, ces légions incarnaient la volonté de s’affranchir du joug austro-hongrois. Leur engagement s’inscrit dans un processus de « Réveil national » amorcé dès le XVIIIe siècle, en réaction aux politiques de centralisation et de germanisation de l’empereur Joseph II.

Ce mouvement, d’abord porté par la valorisation de la langue tchèque, évolua vers des revendications politiques concrètes, notamment à travers le programme d’autonomie de 1848. Comme le souligne l’historien Antoine Marès, la guerre mondiale donna une nouvelle impulsion à cette quête d’indépendance en accélérant les revendications indépendantistes.

Les premières unités de volontaires

Dès août 1914, deux unités tchécoslovaques se formèrent au sein des armées de l’Entente, marquant les prémices d’un engagement militaire en faveur de l’indépendance. La Compagnie Nazdar, créée au sein du 1er régiment de la Légion étrangère française, combattit sur le front occidental. Engagée dans la bataille d’Arras au printemps 1915, elle subit de lourdes pertes, ce qui mena à sa dissolution.

Serment de la Compagnie Nazdar (1914) - Anonyme | Domaine public
Serment de la Compagnie Nazdar (1914) – Anonyme | Domaine public

La Česká družina fut, quant à elle, intégrée au sein de la IIIe armée russe. Ses hommes furent principalement affectés à des missions de reconnaissance sur le front et derrière les lignes austro-hongroises. Les prisonniers de guerre tchèques et slovaques capturés dans le secteur de la IIIe armée pouvaient rejoindre ses rangs, à condition de s’être rendus volontairement et d’exprimer clairement leur désir d’intégrer les unités de volontaires. 

Ces formations constituèrent le socle des futures Légions tchécoslovaques et témoignèrent d’une mobilisation en faveur de la rupture avec l’Empire austro-hongrois. Toutefois, une partie importante des Tchèques et des Slovaques demeurait loyale à la monarchie, espérant encore une transformation fédérale de l’Empire.

En France : le Conseil national tchécoslovaque et l’organisation d’une armée tchécoslovaque 

Fondé en 1916, à Paris, le Conseil national tchécoslovaque, par Tomáš Garrigue Masaryk, Edvard Beneš et Milan Rastislav Štefánik, avait pour objectif de rallier les puissances de l’Entente à la cause tchécoslovaque et d’organiser les efforts militaires et diplomatiques en faveur de la création d’un État indépendant. Afin d’appuyer son projet politique, le Conseil chercha à se doter d’un outil militaire. 

Le décret du 16 décembre 1917 rendit possible la création d’une armée « indépendante », prêtant serment à la « nation tchécoslovaque », mais placée sous commandement militaire français. Cette armée fut composée de prisonniers venus du front serbes, ainsi que d’hommes issus des communautés tchèques et slovaques de Roumanie, de Russie et des États-Unis. En 1918, un deuxième décret prévoyait le transfert du commandement à un état-major tchécoslovaques rattaché au Conseil national tchécoslovaque, faisant de ce dernier le représentant de la nation tchécoslovaque auprès de l’Entente. 

En 1918, deux régiments furent créés et formèrent la brigade tchécoslovaque en France : 

  • Le 21e régiment de chasseurs, constitué en janvier à Cognac. 
  • Le 22e régiment, constitué en mai à Jarnac.

Le 30 juin 1918, à Darney, en Lorraine, les deux régiments prêtèrent serment. En présence d’Edvard Beneš, Raymond Poincaré, le président français, reconnut officiellement le droit à l’indépendance de la Tchécoslovaquie, remettant aux légionnaires leur drapeau national. Dès le 8 juillet, ces unités furent intégrées à la 53ᵉ division d’infanterie et engagées sur le front alsacien.

En Italie : la Legione ceca

En Italie, la création d’une Légion tchécoslovaque se heurta initialement à la prudence du gouvernement italien vis-à-vis de l’Autriche-Hongrie. Si, dès le 17 janvier 1917, un Corps de Volontaires tchécoslovaques fut créé dans le camp de prisonniers de guerre Santa Maria Capua Vetere, ce n’est qu’après la défaite des Italiens à Caporetto en octobre 1917 que ces unités furent progressivement intégrées aux formations italiennes. 

Le Congrès des peuples opprimés d’Autriche-Hongrie, tenu à Rome du 8 au 12 avril 1918, réunit des délégations tchèque, slovaque, yougoslave, serbe et roumaine, qui revendiquèrent leur indépendance.  Le 21 avril, une convention signée entre l’Italie et le Conseil national tchécoslovaque reconnaissait ce dernier comme gouvernement de fait du futur Etat, et permettait à Štefánik de mettre sur pied la Légion tchécoslovaque en Italie. 

Engagée aux côtés des Italiens, des Anglais, des Français, et des Américains, cette légion infligea une défaite décisive aux Autrichiens lors de la bataille de Vittorio Veneto en octobre 1918, contribuant ainsi à la signature de l’armistice de Villa Giusti avec l’Autriche, le 3 novembre 1918.

En Russie : de la Première Guerre mondiale à la guerre civile

En 1915, les colonies tchèques de Petrograd et Moscou fondèrent l’Union des Tchèques et des Slovaques de Russie, avec pour objectif la création d’une armée tchèque autonome destinée à lutter contre les Empires centraux. Malgré certaines réticences du gouvernement russe, des prisonniers de guerre furent libérés afin d’incorporer la Česká Družina, qui fut transformée le 13 janvier 1916 en un régiment : le 1ᵉʳ régiment de fusiliers Saint-Venceslas

Toutefois, la Légion tchécoslovaque en Russie ne fut pas exclusivement composée de volontaires : un certain nombre de prisonniers de guerre furent enrôlés de force. Principalement chargés de missions de reconnaissance, ces hommes opéraient sous commandement russe, et recevaient ainsi leurs ordres en russe. 

Un 2ᵉ régiment de fusiliers fut créé peu après, et, le 21 avril 1916, une nouvelle autorisation permit la libération d’autres prisonniers slaves, placés sous la garantie de l’Union des Tchèques et Slovaques.

À la fin de l’année 1916, ces régiments furent réunis au sein d’une brigade tchécoslovaque, qui s’illustra en juillet 1917 lors de la bataille de Zborov. Cette victoire symbolique contribua fortement à renforcer la légitimité du mouvement indépendantiste tchécoslovaque, en consolidant la position du Conseil national tchécoslovaque auprès des Alliés.

Membres de la Légion tchécoslovaque en Russie (le 6e régiment de fusiliers "Hanácký") - Alois Rocman | Domain public
Membres de la Légion tchécoslovaque en Russie (le 6e régiment de fusiliers « Hanácký ») – Alois Rocman | Domain public

Cependant, la situation bascula après la prise de pouvoir par Lénine, et la signature du traité de Brest-Litovsk le 3 mars 1918, qui mit fin aux combats entre la Russie bolchevique et les Empires centraux. Désormais, les Légionnaires tchécoslovaques ne pouvaient plus compter sur le soutien russe pour poursuivre la lutte contre l’Empire austro-hongrois.

Dès lors, ils décidèrent de rallier le front occidental afin de poursuivre le combat aux côtés de l’Entente, d’autant plus que, dès le 7 février 1918, un arrêté signé par Georges Clemenceau et Edvard Beneš avait proclamé le « corps tchécoslovaque en Russie » comme partie intégrante de l’Armée française.

Pour ce faire, les Légionnaires entreprirent une longue traversée de la Russie, quittant l’Ukraine pour rejoindre la Sibérie. Toutefois, Léon Trotski exigea le désarmement des combattants tchécoslovaques. La crise fut temporairement résolue par l’accord de Penza (25 mars 1918), qui autorisait le déplacement des Légions vers l’est, sous la condition de ne conserver qu’un armement réduit, suffisant uniquement pour leur défense face aux attaques des contre-révolutionnaires, et dans la perspective de leur embarquement à Vladivostok. En parallèle, les Alliés confièrent aux Légionnaires la mission de sécuriser la ligne du Transsibérien et d’installer un réseau de centres de résistance pour contrer une possible avancée allemande vers l’Est.

Cependant, après la signature de l’armistice le 11 novembre 1918, les troupes tchécoslovaques perdirent leur principale raison de combattre en Russie. Désireux de regagner l’Europe, les légionnaires durent néanmoins répondre aux exigences françaises : Paris souhaitait les maintenir en Sibérie pour pallier un éventuel effondrement de l’Armée rouge et pour protéger les intérêts alliés. Finalement, les premiers contingents furent évacués de Vladivostok en janvier 1919.

La naissance de la Tchécoslovaquie et la mémoire de la Première Guerre mondiale

La création de la Tchécoslovaquie, proclamée le 28 octobre 1918, s’inscrit directement dans le prolongement des actions militaires et diplomatiques menées par les Légions tchécoslovaques au cours de la Première Guerre mondiale. En s’engageant aux côtés de l’Entente, ces unités ont contribué à renforcer la crédibilité du projet national tchécoslovaque auprès des puissances alliées, en particulier la France, le Royaume-Uni et les États-Unis. Le rôle des Légions fut ainsi déterminant pour asseoir la reconnaissance internationale du futur État, incarné par le Conseil national tchécoslovaque de Tomáš G. Masaryk, Edvard Beneš et Milan R. Štefánik. 

Dans l’entre-deux-guerres, la mémoire des Légionnaires devint un pilier du récit national, valorisant leur sacrifice et leur engagement en faveur de l’indépendance. La Première République tchécoslovaque a ainsi souvent été qualifié de « République légionnaire »

Cette mémoire héroïque, portée par une abondante production commémorative (monuments, cérémonies, publications), joua un rôle essentiel dans la construction d’une identité nationale tchécoslovaque. En particulier, la bataille de Zborov est au cœur des commémorations, le 2 juillet, étant à partir de 1928 la fête de l’Armée tchécoslovaque. Toutefois, cette mise en récit fut également marquée par une certaine simplification du passé, marginalisant les positions loyalistes des Tchèques et Slovaques restés fidèles à la monarchie des Habsbourg.

La Première Guerre mondiale fut ainsi intégrée dans la mémoire collective comme une « guerre de libération nationale », ce qui souleva la question de la gestion de cette mémoire, en raison de la difficulté à concilier la création d’un nouvel État tchécoslovaque avec le souvenir d’une majorité de soldats tchèques et slovaques tombés au combat sous l’uniforme austro-hongrois.

Quelques liens et sources utiles

Boisserie, Etienne. Les Tchèques dans l’Autriche-Hongrie en guerre (1914-1918) : « Nous ne croyons plus aucune promesse ». Les Tchèques dans l’Autriche-Hongrie en guerre (1914-1918) : « Nous ne croyons plus aucune promesse ». Histoire(s). Paris : Eur’Orbem Éditions, 2017

Kšiňan, Michal, et Juraj Babják. « La mémoire de la Grande Guerre en ex-Tchécoslovaquie ». Matériaux pour l’histoire de notre temps, nᵒ 1 (2014) : 15‑24

Marès, Antoine. Histoire des Tchèques et des Slovaques. Collection Tempus 99. Paris : Perrin, 2005.

Marès, Antoine. « Nationalismes tchèque et slovaque. Fonctions et contenus, 1850-1920 ». Matériaux pour l’histoire de notre temps, no 43 (1996) : 21‑25

Snider-Giovannone, Marie-Noëlle. « Les Forces alliées et associées en Extrême-Orient, 1918-1920. Les soldats austro-hongrois ». Thèse Histoire moderne et contemporaine, Université de Poitiers, 2015.

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