La quête, toujours plus grande, de territoires par l’Empire romain est connue comme en témoigne la culture populaire avec les albums d’Astérix et Obélix. Cependant, le destin de la descendance des monarques destitués au cours de ces conquêtes est bien moins connu. Intéressons-nous à la descendance de la reine la plus connue de l’époque : Cléopâtre VII.
Cléopâtre : au-delà d’une reine, une mère
La descendance de Cléopâtre
La figure de Cléopâtre VII représente pour beaucoup la fin de la dynastie des Lagides.
Le sort de sa progéniture perd alors de l’intérêt. Pourtant, ils marquent la romanisation de l’Égypte et ne connaissent pas un destin banal.
La célèbre reine d’Égypte a, en effet, eu trois enfants avec deux hommes différents, mais pas des moindre : Jules César et Marc Antoine.
Elle a eu avec le premier un fils, Césarion, et avec le second des jumeaux, Alexandre Hélios et Cléopâtre Séléné, et un garçon : Ptolémée Philadelphe.
Sculpture de Jules César – NICOLAS COUSTOU | Domaine public
Une descendance héritière du trône d’Egypte
Ces enfants de parenté illustre sont élevés dans le but de succéder à leur mère pour régner à leur tour sur l’Egypte. D’ailleurs, Césarion est intronisé du vivant de sa mère. Pour cela, ils ont également reçu une éducation soignée ainsi qu’un apprentissage assidu des us et coutumes égyptiennes. Malgré leur jeune âge, ils sont déjà très puissants et particulièrement protégés, car ils sont une richesse du royaume.
L’Egypte : un enjeu pour Rome
À la mort de César, Marc-Antoine, Octave et Lépide forment le deuxième triumvirat.
Cependant, ce dernier se fragilise avec la disparition de Lépide. À partir de ce moment, Octave cherche à déstabiliser Marc-Antoine pour récupérer l’ensemble du pouvoir. L’Égypte devient un argument en faveur d’Octave puisqu’il accuse Marc-Antoine de « se royaliser ».
Il s’agit d’un argument puissant, car il fait référence à une période haït des Romains : la royauté. De plus, prendre le pouvoir sur l’Égypte permettrait à Octave d’effacer la trace d’un enfant légitime de César : Césarion.
L’enjeu, que représente l’Égypte, se concrétise dans la bataille d’Actium où les troupes égyptiennes se battent derrière Marc-Antoine et Cléopâtre contre les troupes romaines. La victoire obtenue par ces dernières précipite la chute de l’empire égyptien.
Conquête de l’Égypte et conséquences pour les héritiers du trône
Défaite de Marc-Antoine et mort de leurs parents
La bataille d’Actium signe la fin de la rivalité entre Marc-Antoine et Auguste avec la défaite du premier.
Celle-ci est suivie par les successifs suicides de Marc-Antoine et Cléopâtre ce qui laisse les enfants du couple orphelins.
Cette défaite majeure et la mort des deux amants entraînent des conséquences importantes pour les Égyptiens.
La principale est que l’Égypte passe aux mains de Rome et devient une de ses provinces. De plus, Octave met en place dans les mêmes temps une série de mesures pour signifier ce changement comme la destruction de toutes les statues de Marc-Antoine en Égypte pour démontrer que son rival appartient au passé.
Les Alexandrins sont également fortement taxés pour payer les troupes d’Auguste mobilisées pendant ces combats. Il fait, dans le même temps, exécuter Césarion qui pouvait prétendre à sa position en tant que fils légitime de César.
« Le bel enfant, chéri pour son amabilité, prince des princes, roi de la Haute et Basse-Égypte, souverain des deux pays, autocrate, fils du Soleil, maître des diadèmes, César, éternellement vivant et chéri de Pthah et d’Isis »
Titre pris par Auguste en Egypte à la suite de sa conquête
Utilisation des enfants de Cléopâtre par Auguste
Les enfants de Cléopâtre, héritiers du pouvoir lagide, sont donc dans ce cadre, une prise de choix et un outil pour signifier la puissance d’Auguste.
Ce dernier les emmène ainsi avec lui jusqu’à Rome où il les intègre à sa famille selon la tradition romaine. Cependant, il les utilise pour témoigner de sa puissance sur l’Égypte comme en témoigne le défilé dans Rome réalisé en 29 avant J.- C. pour le triomphe d’Auguste. Les deux garçons, Alexandre Hélios et Ptolémée Philadelphe, meurent assez rapidement, a priori de cause naturelle, puisque leurs traces disparaissent des sources officielles peu après leur entrée dans la famille d’Octave.
Il ne reste donc plus que Cléopâtre Séléné qui est confiée à la charge d’Octavie, la sœur d’Octave et ancienne épouse de Marc-Antoine.
Mariage de Cléopâtre Séléné et destin des autres enfants
Dès ses douze ans, Auguste et Octavie décident de marier la jeune fille.
Ils choisissent Juba, le fils du roi de Numidie. Ce dernier a été vaincu comme Cléopâtre par Auguste et son fils a été élevé comme Cléopâtre Séléné par la famille d’Auguste dans le but de l’assimiler aux coutumes romaines.
Sur la décision d’Auguste, le couple est envoyé en Numidie pour la gouverner sous protectorat romain. En 25 avant J.-C., Auguste fait unifier la Numidie et la Mauritanie en une seule province romaine gouvernée par Juba, qui devient le roi Juba II, et Cléopâtre Séléné.
Malgré ce mariage, Cléopâtre ne va pas oublier ces origines et continue d’honorer la mémoire de sa mère. C’est également le cas du peuple égyptien qui peine à oublier les rites et usages si longtemps pratiqués.
Que reste-t-il de l’Égypte lagide ?
Le souvenir de sa mère
Cléopâtre Séléné garde, même après avoir été élevée par Octave, un souvenir très vivace de l’Égypte qui l’a vu naître et de sa mère. Cette mémoire se vérifie par les décisions prises par Cléopâtre Séléné à la suite de son mariage.
Par exemple, elle fait battre sur la monnaie numide le titre de « Reine Cléopâtre » qui était le titre de sa mère ainsi que les symboles égyptiens du crocodile, de la vache Hathor et de l’oiseau Ibis. Un autre détail prouve la volonté acharnée de Cléopâtre Séléné de perpétuer la mémoire de ses origines réside dans le fait qu’elle nomme leur fils Ptolémée (le nom de ses ancêtres).
Influence égyptienne en Mauritanie
De plus, l’origine égyptienne, voire hellénistique de Cléopâtre Séléné, se ressent implicitement par la ressemblance de la capitale du royaume de Juba et Cléopâtre, Julia Césarée, avec Alexandrie.
En effet, Juba y fait construire un musée qui porte le nom gréco-égyptien d’Isaeon ainsi qu’une bibliothèque qui rappelle la prestigieuse bibliothèque égyptienne d’Alexandrie. De plus, les plans de la cité reprennent les codes de l’urbanisme hellénistique.
Que deviennent les territoires égyptiens et la culture locale ?
L’Égypte lagide, disparue avec la mort de sa souveraine, devient une province romaine. Toutefois, elle reste une province particulière car aucun sénateur romain ne peut se rendre en Égypte et aucun Égyptien ne peut être sénateur.
Auguste confie l’administration de cette province à Caius Cornelius Gallus : un chevalier. Ce dernier porte d’ailleurs le titre de « préfet d’Égypte et d’Alexandrie ». D’un point de vue administratif, les structures lagides sont maintenues tout comme le personnel administratif. Au niveau de la culture, la romanisation reste très limitée face au fort ancrage de la culture hellénistique.
Cléopâtre Séléné meurt aux environs de 4 avant J.-C. et demeure une des personnes qui ont œuvré à la naissance du mythe de la fabuleuse et conquérante reine Cléopâtre : sa mère. Ainsi contrairement à nos a priori sur le sujet, l’esprit égyptien ne s’est pas romanisé rapidement mais il s’est conservé durablement grâce au peuple égyptien. Cela peut peut-être expliquer la fascination moderne pour ce monde égyptien bien conservé grâce au souvenir de cet âge d’or passé.
Quelques liens et sources utiles
Clavé, Yannick, et Éric Teyssier. « Fiche 28. L’Égypte : une province spécifique », Petit Atlas historique de l’Antiquité romaine. Sous la direction de Clavé Yannick, Teyssier Éric. Armand Colin, 2019, pp. 130-133.
Schmidt, Joël. « La postérité de Cléopâtre », Cléopâtre. sous la direction de Schmidt Joël. Gallimard, 2008, pp. 275-299.
Mélèze-Modrzejewski, Joseph. « L’Égypte », Claude Lepelley éd., Rome et l’intégration de l’Empire – Tome 2. 44 av. J.-C. – 260 ap. J.-C. Presses Universitaires de France, 1998, pp. 435-493.