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Le Haut-Karabakh : de l’indépendance à l’exode

Le Haut-Karabakh a été successivement sous domination arménienne, perse, russe, soviétique, et désormais azérie...
Chouchi dans le Haut-Karabagh (en 1920) après le massacre (1905) de sa population arménienne - Sfrandzi I Domaine public
Chouchi dans le Haut-Karabagh (en 1920) après le massacre (1905) de sa population arménienne – Sfrandzi I Domaine public

Dans cette enclave montagneuse de 4400 kilomètres carrés qu’est le Haut-Karabakh, on comptait encore 120 000 habitants au début septembre 2023. Un mois plus tard, ils n’étaient plus que 20 000. 80% d’une population à 99% d’origine et de langue arménienne s’est donc exilée pour échapper à l’Azerbaïdjan, qui a finalement pris le contrôle de cette République autoproclamée après un siècle de lutte plus ou moins directe.

Le Haut-Karabakh a donc été successivement sous domination arménienne, perse, russe, soviétique, et désormais azérie. Il faut dire qu’un territoire qui voisine à l’ouest avec l’Arménie et la Turquie, à l’est avec l’Azerbaïdjan et au nord avec la Russie ne peut susciter que les convoitises, d’autant plus que le Caucase n’est pas réputé pour être un théâtre tranquille. Des alliances aux rivalités et de l’indépendance à l’asservissement, voici la tumultueuse histoire du Haut-Karabakh.

Origines historiques du conflit au Haut-Karabakh (1917-1994)

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il faut remonter au début du XXème siècle pour voir apparaître les racines caucasiennes d’un conflit atteignant son paroxysme lors de l’éclatement de l’Union soviétique.

Le Haut-Karabakh, territoire en lutte de l’Empire russe à l’URSS

C’est en 1813 que le Haut-Karabakh a officiellement été rattaché dans une relative indifférence au puissant empire russe, alors à son apogée. Un an plus tôt, même la Grande Armée de Napoléon Ier avait connu la défaite lors de la campagne de Russie face aux troupes du tsar Alexandre Ier, semblant alors consacrer l’invincibilité de l’Empire russe.

Seulement, en octobre 1917, la révolution bolchevique vient mettre fin à l’empire des tsars, et chambouler toute l’organisation territoriale sur près de 22 millions de kilomètres carrés. Dans ce contexte d’effondrement, la Transcaucasie (Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie) proclame son indépendance en février 1918 pour mettre fin à la désorganisation ambiante dans la région. Mais en mars, le traité de Brest-Litovsk conduit à la cessation par la Russie d’une grande partie de la Transcaucasie à l’Empire ottoman, dirigé par le mouvement nationaliste et réformateur des Jeunes Turcs.

La vision de la Transcaucasie comme État bat donc rapidement de l’aile, d’autant plus que l’Azerbaïdjan et la Géorgie sont opposés à l’Arménie sur la question turque, le génocide arménien de 1915 restant toujours au travers de la gorge d’Erevan. C’est pourquoi Géorgie, Azerbaïdjan et Arménie préfèrent déclarer leur indépendance en juillet 1918, et se doter d’une armée et de pouvoirs légaux.

La situation ne convainc cependant pas longtemps, puisque l’Empire ottoman finit lui aussi par tomber en octobre 1918, lançant ainsi les débats autour de la situation du Haut-Karabakh. La conférence de la paix de Paris en 1919 voit notamment l’Azerbaïdjan et l’Arménie demander aux puissances alliées le contrôle de cette zone. Finalement, les autorités militaires britanniques, qui occupaient alors le Haut-Karabakh, décident de céder temporairement le territoire à l’Azerbaïdjan, jugé plus à même de lutter contre les Jeunes Turcs en cas d’attaque contre les Indes. Évidemment, la décision n’a pas satisfait l’Arménie, qui s’est attaquée à plusieurs reprises entre 1919 et 1920 à Bakou pour récupérer 4000 kilomètres carrés qu’elle jugeait lui être dus.

Avril 1920 est un tournant dans ce conflit puisque la Russie, qui cherche alors à s’étendre, prend le contrôle de l’Azerbaïdjan. L’Arménie connait le même destin en novembre. La question du contrôle du Haut-Karabakh revient donc sur la table, et c’est le commissaire aux nationalités de la Russie soviétique, un certain Joseph Staline, qui est chargé de trancher sur la question. Le 4 juillet 1921, il décide de rattacher le Haut-Karabakh à l’Azerbaïdjan. L’objectif était alors de brosser dans le sens du poil Bakou, afin que le pays devienne un modèle soviétique, susceptible d’attirer la Turquie, devenue proche de l’Azerbaïdjan, dans le camp communiste.

L’URSS voit finalement le jour le 30 décembre 1922. Pour limiter les tensions entre Arménie, Azerbaïdjan et population du Haut-Karabakh. Il est décidé en 1923 de faire de ce dernier une région autonome au sein même de la désormais république fédérale d’Azerbaïdjan. Un parti gagnant, puisque les tensions se sont apaisées pendant plus de soixante ans.

Période post-soviétique et vent de liberté

Le point de bascule intervient en 1985, avec le début de la perestroïka. Série de réformes sociales et économiques menées par le président soviétique Mikhaïl Gorbatchev, la perestroïka est clairement une période d’ouverture politique, qui a fait souffler un vent de liberté sur une URSS jusque-là tenue d’une main de fer par les communistes. Dans ce contexte libéral, le Haut-Karabakh en profite pour s’autoproclamer en février 1988 « République socialiste soviétique ». Par cela, l’objectif n’était pas de faire sécession avec l’URSS, mais avec l’Azerbaïdjan. Mais Bakou s’oppose sans surprise à cette décision, ce qui entraîne inévitablement une rébellion de la part de la population du Haut-Karabakh, ce qui entérine le début d’une guerre dans la région.

Cette inarrêtable violence dans la Caucase combinée à une multitude de mouvements indépendantistes dans les républiques soviétiques baltes et occidentales finit par faire exploser l’URSS au début des années 1990.

L’Azerbaïdjan déclare ainsi son indépendance durant l’été 1991, et Bakou abolit le statut d’autonomie du Haut-Karabakh en espérant y rétablir l’ordre. C’était cependant sans compter la colère noire de cette population majoritairement arménienne, qui décide elle aussi de déclarer le 2 septembre son indépendance, confirmée à 99% par référendum le 10 décembre. Si cette dernière n’a pas été officiellement reconnue par l’Arménie, il n’empêche que le soutien économique, politique et militaire d’Erevan au Haut-Karabakh ne laisse que peu de doutes quant à son positionnement dans ce conflit.

À partir de cet événement, la guerre s’aggrave, et l’Azerbaïdjan livre un combat farouche contre le Haut-Karabakh et l’Arménie. Mais malgré sa supériorité numérique, Bakou est finalement contraint de s’incliner en 1994. En cause, des problèmes économiques et politiques internes, le désavantage stratégique du terrain, et surtout, l’approvisionnement en armes des forces arméniennes par Moscou.

Il faut dire qu’entre la chrétienté et la présence d’une diaspora arménienne en Russie, Erevan avait beaucoup d’attaches avec Moscou, dont les relations étaient bien plus limitées avec l’Azerbaïdjan turcophone et musulman.

Plus solides sur le long terme, les forces arméniennes ont donc pris le contrôle sur une grande partie du Haut-Karabakh, ainsi que sur sept districts azéris. Bakou a ainsi perdu 15% de son territoire, soit 14 000 kilomètres, ce qui a contraint 700 000 Azerbaïdjanais à se déplacer. En ce qui concerne le bilan humain, il se chiffre à 30 000 morts, dont 80% d’origine azérie.

Carte de la guerre au Haut-Karabakh / Armenicum / CC-BY-SA 3.0 Deed
Carte de la guerre au Haut-Karabakh Armenicum [pseudo Wikipédia] | Creative Commons BY-SA 3.0 Deed

La victoire est donc sans appel pour le Haut-Karabakh et l’Arménie, mais il ne faut pas oublier que la vengeance est un plat qui se mange froid…

Guerre au Haut-Karabakh et redéfinition de l’échiquier géopolitique

C’est sans réelle surprise qu’un acte 2 a eu lieu au Haut-Karabakh à partir de 2020. Mais en 25 ans, les réalités ont changé et le statut des belligérants aussi, ce qui a provoqué une explosion géopolitique dont sont loin d’être connues aujourd’hui toutes les conséquences.

La montée en puissance de l’Azerbaïdjan

Pourtant, de 1994 à 2020, la situation au Haut-Karabakh n’a pas vraiment évolué. Les tensions étaient toujours très fortes, mais le soutien plus ou moins direct de l’Arménie et de la Russie au Haut-Karabakh suffisait à dissuader l’Azerbaïdjan d’entamer une quelconque manœuvre. Il y eut bien en avril 2016 la Guerre des Quatre Jours, qui a vu Bakou s’emparer d’un millier d’hectares de terres, mais cela n’a pas eu d’impact stratégique dans les lignes.

Il faut attendre l’automne 2020 pour voir une véritable reprise de la guerre au Haut-Karabakh. Bakou relance les hostilités, et commence à mener un combat acharné contre les forces arméniennes. Mais cette fois-ci, le pays ne répète pas les mêmes erreurs qu’entre 1988 et 1994. Puisque l’isolement azéri avait été fatal dans ce conflit la première fois, l’Azerbaïdjan a cette fois-ci fait en sorte d’assurer ses arrières en obtenant le soutien de la Turquie, qui lui a fourni nombre de drones et de mercenaires syriens pour mener sa guerre.

Il faut dire qu’au-delà des points communs religieux et langagiers, Ankara avait beaucoup d’intérêt pour les ressources pétrolières azéries et les coopérations bilatérales qui pouvaient s’en suivre. Toujours d’un point de vue économique, Bakou avait aussi prévu de quoi tenir militairement sur le long terme. En 2020, on estimait en effet le budget de défense azéri à 2 238 millions de dollars, contre 634 millions pour l’Arménie. Des revenus trois fois plus importants qui, combinés à la supériorité numérique, donnait toutes les cartes à Bakou pour s’imposer.

Sans surprise, au bout de 44 jours de combats, l’Azerbaïdjan écrase les forces arméniennes, forcées de concéder de larges parties de territoire dans et autour du Haut-Karabakh. Bakou récupère aussi les sept districts qu’elle avait perdus en 1994. Mais malgré le succès de l’opération, cette victoire a clairement un goût d’inachevé pour l’Azerbaïdjan. En effet, le pays n’a pas repris le contrôle du Haut-Karabakh, et n’a pas non plus obtenu la capitulation des forces arméniennes. 2000 soldats russes ont d’ailleurs été missionnés pour veiller au maintien du cessez-le-feu, ce qui empêche Bakou de terminer directement le travail.

La situation n’a ainsi pas évolué durant plus de deux ans, l’Azerbaïdjan étant incapable de faire évoluer les choses en sa faveur. Puis la guerre en Ukraine est arrivée en 2022, et avec elle, la focalisation des regards sur Kiev et Moscou.

Dans ce contexte, Bakou accélère, et décide de fermer en décembre 2022 le corridor de Latchine, situé dans une zone conquise en 2020, et dans laquelle elle avait, lors du cessez-le-feu, promis de garantir la libre-circulation. Si les raisons officiellement invoquées sont sécuritaires, l’Azerbaïdjan ne pouvait ignorer qu’il fermait surtout le seul lien terrestre entre l’Arménie et le Haut-Karabakh.

Par cela, Bakou démarre alors un blocus du Haut-Karabakh, qui limite drastiquement l’approvisionnement de la population en nourriture, en médicaments, en pétrole ou encore en électricité. Ce blocus déjà intenable s’est accentué à partir de la mi-juin 2023, provoquant plus que jamais une crise humanitaire dans la région.

L’objectif était assez clair : pousser la population à fuir d’elle-même le Haut-Karabakh, afin d’ensuite pouvoir prendre le contrôle de toute l’enclave. Cela s’inscrit dans la continuité du « Grand Retour », un plan gouvernemental d’un 1,3 milliard de dollars visant à repeupler à terme le Haut-Karabakh avec une population entièrement azérie.

Le début d’un « nettoyage ethnique » pour l’Arménie, qui ne se doute alors pas qu’elle est très loin d’être sortie de son cauchemar.

Chaos technique et futur incertain à l’échelle régionale

Le 19 septembre 2023, une opération militaire est lancée en Azerbaïdjan. En cause, le fait que quatre policiers et deux civils azéris aient été retrouvés morts dans l’explosion d’une mine située sur le site d’un tunnel en construction contrôlé par Bakou au Haut-Karabakh. Pour l’Azerbaïdjan, les « saboteurs » sont incontestablement des séparatistes arméniens, qu’ils assimilent à des terroristes, justifiant alors à leurs yeux une intervention « antiterroriste » contre le Haut-Karabakh.

Avec 200 morts et 400 blessés arméniens en moins d’une journée, la puissance de feu azérie ne laisse aucune chance à la population locale, d’autant plus que l’Arménie n’a cette fois-ci pas volé à leur secours.

Incapables de se défendre, les forces armées du Haut-Karabakh sont contraintes de déposer les armes contre l’Azerbaïdjan dès le 20 septembre, et d’accepter d’entamer des négociations quant à la réintégration de leur territoire au sein de l’Azerbaïdjan.

Un cessez-le-feu débute le 21 septembre, marquant ainsi le début du retrait des forces armées arméniennes, ainsi que du désarmement de l’armée du Haut-Karabakh. La négociation des droits et de la sécurité des habitants est aussi censée être au programme, mais comme 100 000 des 120 000 habitants de l’enclave montagneuse ont préféré fuir plutôt que de rester, il est clair que cette mesure n’est pas une priorité absolue.

La victoire totale de l’Azerbaïdjan est donc incontestable, et semble avoir été très facile, trop facile. Pourquoi donc l’Arménie et la Russie ne sont-ils pas intervenus au Haut-Karabakh, comme ils avaient pu le faire dans le passé ?

Concernant Erevan, il faut savoir que la majorité de la population arménienne est très en colère contre son Premier ministre, Nikol Pachinian, qu’elle accuse d’avoir été complice de ce « nettoyage ethnique » en faisant preuve d’inaction.

Il faut dire qu’en reconnaissant au cours de l’année 2023 le Haut-Karabakh comme partie intégrante de l’Azerbaïdjan, Nikol Pachinian n’avait clairement pas cherché à prendre la décision la plus populaire, en témoigne sa cote de popularité aujourd’hui aux alentours de 15%. Mais la volonté d’assurer à tout prix la sécurité nationale et l’intégrité territoriale de l’Arménie vis-à-vis des tensions régionales a finalement primé pour le Premier ministre sur tout le reste.

Aussi, en affirmant en septembre 2023 ne pas être « allié de la Russie », Nikol Pachinian avait aussi mis fin à toute que chance que Moscou intervienne en faveur du Haut-Karabakh.

Plus globalement, la politique pro-occidentale menée depuis 2018 par le Premier ministre arménien a brisé la relation de confiance historiquement entretenue par la Russie et l’Arménie. Entre l’envoi par Erevan d’aide humanitaire en Ukraine et l’organisation d’exercices militaires conjoints avec les États-Unis, il devient de suite plus compréhensible que Moscou ne soit pas intervenue en opposition au blocus ou à l’intervention militaire, malgré, pour rappel, la présence de 2000 soldats de maintien de la paix au Haut-Karabakh.

D’un point de vue géopolitique, la Russie n’avait pas non plus intérêt à enflammer le Caucase alors qu’elle est déjà bien occupée avec la guerre en Ukraine. Cela aurait d’ailleurs probablement froissé la Turquie, alliée de l’Azerbaïdjan, qui est un partenaire très important, notamment en mer Noire.

La situation est donc très mal embarquée pour les Arméniens du Haut-Karabakh, mais au vu de la vitesse à laquelle se forment les amitiés et les inimitiés dans la région, il ne serait pas surprenant que la pièce ait un jour un acte 3…

Quelques liens et sources utiles :

Eric Dénécé et Tigrane Yégavian, Haut-Karabakh : le livre noir, Ellipses, 2022

Torossian Sévag, Le Haut-Karabakh arménien : Un État virtuel ?, Éditions L’Harmattan, 2005

Ramiz Mehdiyev, Le Haut-Karabakh : l’histoire à la lumière des sources, Éditions L’Harmattan, 2016

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