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Archives et Révolution française : structuration ou destruction ?

En montrant l'apport de la Révolution française pour les archives, l'intérêt ici est de revenir sur le sort réservé aux archives à ce moment : sont-elles plutôt conservées ou bien détruites ?
Troisième fête de la Fédération au Champ-de-Mars. Le peuple danse autour de l'arbre généalogique | Collection personnelle
Troisième fête de la Fédération au Champ-de-Mars. Le peuple danse autour de l’arbre généalogique | Collection personnelle

Avec la Révolution française et les nombreux bouleversements qu’elle provoque, la question des archives se pose rapidement. D’un côté, que faire, de cette masse de documents héritée de l’Ancien Régime ? De l’autre, quelle politique de conservation adopter pour les documents désormais produits ?

Se posent ainsi à la fois les questions de la conservation, des moyens de la conservation, ou bien de la destruction.

Une politique pour les archives avec la Révolution française

La situation des archives en France, et même au-delà, en Europe, avant la Révolution française, est assez disparate. Certaines structures existent, comme des archives d’État avec le cas de Simancas en Espagne. Ce bâtiment pose quelques jalons à un fonctionnement d’un service d’archives avec un règlement en 1588. Celui-ci impose par exemple des règles pour classer les archives, des entrées de documents via une obligation pour les serviteurs de l’État de donner leurs documents…

Un héritage de l’Ancien Régime

En France, les archives sont parfois utilisées, comme avec les feudistes, qui travaillent sur les documents seigneuriaux, notamment pour faire valoir leurs droits des aristocrates. Au niveau national, quelques initiatives voient le jour, comme une centralisation des documents de la Marine ou de la Guerre, mais sans un réel prolongement derrière.

Vue des Archives générales de Simancas | Domaine public
Vue des Archives générales de Simancas | Domaine public

D’un autre côté, des religieux recopient eux aussi des documents pour différentes raisons, par exemple à des fins historiques. C’est le cas de Dom Fonteneau, bénédictin du XVIIIe qui envisageait de faire une Histoire de l’Aquitaine, et qui a recopié ses sources, soit environ 7 000 documents, dont les originaux sont perdus pour certains.

Vers les Archives nationales

Une idée importante de la Révolution française est tout d’abord le désir profond de pouvoir prouver l’infamie que constituait l’Ancien Régime.

Plusieurs grandes étapes sont alors à retenir, d’abord avec une décision du 29 juillet 1789 qui prend l’initiative d’archiver les documents relatifs à l’Assemblée, avec Armand-Gaston Camus à sa tête. Figure importante des archives durant la période révolutionnaire et même au-delà, il est nommé, garde des Archives générales le 23 juillet 1800, place à laquelle il reste jusqu’à sa mort en 1804

Ensuite, une autre grande étape consiste en la création des Archives nationales avec un décret du 12 septembre 1790, qui en 16 articles, fondent les conditions de l’archivage : les documents conservés, les missions de l’archiviste, les conditions de l’archivage ou d’accès… De façon, certes modeste au départ, cette loi montre bien les préoccupations grandissantes autour de la question des archives et de leur centralisation, qu’elles soient actuelles ou anciennes.

Article Premier

Les Archives nationales sont le dépôt de tous les actes qui établissent la Constitution du Royaume, son Droit public, ses Lois & sa distribution en Départements.        

Article XI

Les Archives seront ouvertes pour répondre aux demandes du public, trois jours de la semaine, depuis neuf heures du matin jusqu’à deux heures, & depuis cinq heures après midi jusqu’à neuf heures ; mais on ne pourra rentrer dans les salles & cabinets de dépôt que pendant le jour, jamais il n’y sera porté ni feu ni lumière.

Décret de septembre 1790

Une loi sur les archives : le 7 messidor an II

Avec l’avènement de la République le 21 septembre 1792, la politique en faveur des archives suit son cours et une loi joue un rôle central, qui est celle du 7 messidor an II, autrement dit du 25 juin 1794.

Cette loi est d’abord remarquable par sa longévité, car elle est abrogée seulement avec la loi du 3 janvier 1979. Jean Favier, directeur des Archives de France de 1975 à 1994, considère que « le décret de messidor an II était resté et allait demeurer jusqu’en 1979 la charte fondamentale. »

Cette loi permet de poser des bases pour l’archivage en France au travers de quelques grands principes.

D’abord, c’est l’idée de centralisation, comme l’article premier selon lequel « Les archives établies auprès de la représentation nationale sont un dépôt central pour toute la République. »

Buste Armand-Gaston Camus par Honoré Icard | Domaine public
Buste Armand-Gaston Camus – Honoré Icard | Domaine public

Un autre grand principe est la possibilité de consulter les archives pour tout le monde, que l’on nomme la publicité des archives. C’est l’article 37 qui insiste sur ce point en rappelant que « Tout citoyen pourra demander dans tous les dépôts, aux jours et heures qui seront fixés, communication des pièces qu’ils renferment : elle leur sera donnée sans frais et sans déplacement, et avec les précautions convenables de surveillance. »

L’intérêt ici est de se démarquer de l’Ancien Régime, qui cultivait plutôt le secret en ce qui concerne les archives. La jeune République se veut, elle, totalement transparente sur la question des archives.

L’objectif d’une telle loi est donc de pouvoir fonder durablement la politique d’archivage en France, ce qui participe aussi, à terme, à la création d’une mémoire nationale, autour de la République et à travers les documents que l’on veut garder ou bien supprimer.

Les archives : victimes de la Révolution ?

La Révolution française, avec son lot de changements politiques, apporte aussi un lot de violences. Au niveau patrimonial, celui-ci se repère à travers la notion de vandalisme, que l’abbé Grégoire popularise.

Vers une « Terreur archivistique » ?

Il propose plusieurs rapports sur les dégâts causés par le vandalisme, mais étonnamment, dans ces rapports on remarque une absence : les archives ne sont quasiment pas citées.

L’abbé Grégoire condamne certes la violence envers les manuscrits ou livres des bibliothèques, mais pas spécifiquement des archives. Sont-elles alors épargnées ? Plusieurs moments débouchent sur des destructions plus ou moins importantes. Certaines seront d’abord illégales, instinctives, commises par des foules. C’est le cas du sac de l’hôtel de ville de Strasbourg du 21 juillet 1789, moment où la population s’attaque à l’hôtel de ville et où plusieurs archives sont défenestrées et détruites.

Autrement, des révoltes paysannes éclatent dans divers lieux et les archives sont parfois visées : le 27 juillet 1789 à Pont-de-Veyle, le 12 août 1789 à l’abbaye de Saint-Sulpice… Néanmoins, il serait caricatural de voir dans les destructions d’archives à la Révolution française le seul fruit des foules.

À titre d’exemple, Serge Bianchi estime qu’environ 4 000 chartriers sont détruits entre la « grande peur » de 1789 et la loi du 17 juillet 1793 par les révoltes de ce genre.

Une destruction institutionnalisée

L’Assemblée nationale elle-même semble avoir discuté de cette question, comme le montre un décret de l’Assemblée du 19 juin 1792, qui, constatant l’existence, dans les dépôts publics, de titres généalogiques de la noblesse, affirme dans le décret « qu’il serait dispendieux de conserver et qu’il est utile d’anéantir, décrète qu’il y a urgence ».

Condorcet, qui discoure à l’assemblée, propose notamment de se débarrasser de ces documents symboliques de l’ancienne domination de la noblesse en se justifiant ainsi : « il faut envelopper ces dépôts dans une destruction commune : vous ne ferez pas garder, aux dépens de la nation, ce ridicule espoir qui semble menacer l’égalité »

Le sac de l'Hôtel de ville de Strasbourg le 21 juillet 1789 | Domaine public
Le sac de l’Hôtel de ville de Strasbourg le 21 juillet 1789 | Domaine public

Un décret, daté du 12 mai 1792, ciblait lui les titres du cabinet du Saint-Esprit. Néanmoins, ces lois sont assez exceptionnelles dans cet esprit. Il n’y a pas une politique précise qui est mise en place pour cette question et la question de leur réception est à observer. Par exemple, à la Bibliothèque nationale, les documents généalogiques sont préservés et ne connaissent pas cette destruction.

Différente est encore l’utilisation des archives à des fins matérielles. Ainsi, une loi datée du 5 janvier 1793 demande à ce que les diplômes, chartes, en bref les documents sur parchemins, soient envoyés aux arsenaux dans l’optique de les utiliser pour faire des sacs de poudre. Par leur solidité, ces parchemins ont un intérêt militaire et économique, et puis, étant donné que l’objectif est de protéger la République, il n’est plus utile de devoir conserver des documents qui n’ont plus d’utilité juridique.

Une destruction symbolique

Plus haut a été évoquée le cas du décret du 19 juin 1792 concernant la destruction des titres généalogiques. Cette décision prend tout son sens quand elle est contextualisée : deux ans auparavant, la noblesse héréditaire était supprimée. Il y a donc une certaine continuité qui est recherchée à travers la destruction des archives.

Un autre décret, daté du 17 juillet 1793, met un terme aux privilèges féodaux et cherche, lui aussi, la symbolique. Dans son article VI, il demande que ceux qui détiennent des titres matériels viennent les déposer « dans les trois mois de la publication du présent décret, au greffe des municipalités des lieux. »

Tout cela afin que « Ceux qui seront déposés avant le 10 août prochain, seront brûlés ledit jour en présence du Conseil général de la commune & des citoyens ; le surplus sera brûlé à l’expiration des trois mois. » Plus loin, on apprend même que ceux qui se refusent à apporter leurs titres, ou bien qui les cachent, sont condamnés « à cinq années de fers ».

C’est donc la portée symbolique de ces documents qui intéresse avant tout, et l’intérêt d’une cérémonie comme celle d’un feu autour de documents représentants le régime défait permet de fraterniser, de constituer la Révolution.

Ces destructions, difficiles à sourcer parfois et assez diverses d’une région à l’autre, ne sont donc pas à exagérer et ne doivent pas nous faire tomber dans le fantasme historiographique qu’est le « vandalisme révolutionnaire » et que des historiens ont eu tendance à exagérer par le passé. Néanmoins, ces agissements existent et l’historienne Annie Jourdan affirme que « Pour conserver, il faut détruire ; plus la républicanisation s’installe, plus la conservation l’emporte », ce qui montre bien les liens entre les destructions et les conservations.

Quelles suites pour les archives ?

La loi du 7 messidor an II vu précédemment est considérée malgré tout comme une loi de compromis. Elle souhaite organiser une conservation des documents anciens, ce qui comprend donc ceux de l’Ancien Régime, notamment pour servir à l’histoire : ce sont des preuves, et les brûler reviendrait à rendre impossible la preuve de l’infamie du régime précédent.

Décret de l’Assemblée du 19 juin 1792 | Domaine public
Décret de l’Assemblée nationale du 19 juin 1792 | Domaine public

Néanmoins, en tant que texte de compromis, certains documents sont définitivement refusés : les « titres purement féodaux » sont ainsi voués à être anéantis.

Ce qui permet de juger de la conservation d’un document, c’est surtout l’utilité au savoir, ce que ces documents peuvent apporter intellectuellement. Le reste des documents seront ensuite divisés en trois ensembles : administratif, domanial et judiciaire.

Pourtant, l’idéal de centralisation est rapidement rattrapé par la réalité : il n’y a pas la place et les moyens pour cela : reste alors l’opportunité départementale. C’est ce sur quoi insiste la loi du 5 brumaire an V, ou 26 octobre 1796, qui fonde l’obligation d’un service départemental. L’idée était déjà dans les esprits depuis 1790, et pour preuve, c’est à la fin de cette même année que le dépôt de Seine-et-Oise est créé. Ces services, de l’échelon national au municipal s’organisent ensuite progressivement au XIXe siècle, puis jusqu’à nos jours.

Ainsi, on voit que la Révolution française a joué un rôle assez important pour les archives. En permettant une ouverture de ces documents au public, en évoquant l’idée de centralisation, puis finalement de dispersion sur le territoire avec les archives départementales, on a pu assister à une libération progressive des archives.

En d’autres termes « la Révolution française a fait des archives et de leur politique une pièce maîtresse de la construction d’un État moderne et de l’élaboration de la citoyenneté démocratique » comme le précise l’historien Vincent Duclert.

Quelques liens et sources utiles

GALLAND Bruno, Les archives, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 2020.

PÉQUIGNOT Stéphane et POTIN Yann (dir.), Les conflits d’archives. France, Espagne, Méditérranée, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2022.

DÉSIRÉ DIT GOSSET Gilles (dir.), Une expérience du chaos : destructions, spoliations et sauvetages d’archives, 1789-1945, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017.

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