Alors que l’Europe est animée par une série de guerres et d’affrontements, la République de Venise voit ses îles, notamment Corfou, être menacées par un Empire ottoman en pleine expansion. Le siège de Corfou relève à la fois de la diplomatie de l’époque mais également des confrontations pour l’hégémonie.
Corfou, un conflit porté par une Europe en guerre
Au XVe siècle, deux puissances moyennes sont présentes en Méditerranée et tentent de s’imposer face à l’autre : l’Empire ottoman avec le corsaire Barberousse et la République de Venise.
L’affirmation de Venise par les possessions
La fin du XVe siècle est marquée par une montée en puissance des Grands États d’Europe : l’Empire ottoman, la France et l’Espagne catholique.
Dans ce contexte, Vienne n’occupe qu’une place secondaire ; et se distingue par sa neutralité, notamment dans les conflits entre les Habsbourg et les Valois, avec la paix de Bologne. Pourtant, un domaine permet à Venise de se démarquer : ses possessions appelées le Stato da Mare, qui correspond aux territoires ultramarins de la République, dont fait partie Corfou.
Ce territoire forme un ensemble avec le Dogado, qui englobe Venise et ses alentours, le Nord-Est de l’Italie. Parmi le Stato da Mare, une île en particulier attire l’attention en mer ionienne, celle de Corfou. La domination vénitienne sur ce territoire se fait à partir de 1386 lorsque quelques notables demandent une protection au dirigeant de la République de Venise. C’est en 1401, lorsque Venise verse 30 000 ducats au roi de Naples que la possession de l’île par Venise est officialisée.
Dans les années 1520, Venise souhaite maintenir et renforcer ses possessions dans l’Adriatique et le Levant. C’est dans cette optique que la République décide de verser de l’argent à ses territoires.
Un pouvoir ottoman en quête de succès face aux puissances chrétiennes
Les années 1520 sont marquées par un contexte de forte opposition entre l’Empire ottoman et la chrétienté, cette dernière étant surtout appuyée par Charles Quint, qui s’était engagé à combattre les Ottomans. Les conflits se déroulent principalement en Méditerranée et en Europe continentale, lieux de déploiement des puissances.
Néanmoins, à la fin des années 1520, Charles Quint, fervent défenseur du catholicisme, est affaibli par les oppositions des princes allemands et des protestants. Cette situation permet à l’Empire ottoman de prendre l’avantage, surtout après l’officialisation de son alliance avec le roi de France. En 1529, alors que Quint lance une expédition vers Chypre, Barberousse évince l’Espagne de la forteresse du Penon d’Alger.
En 1534, le corsaire turc s’empare de Tunis, mais se retrouve rapidement à affronter le roi des Habsbourgeois qui lance une campagne l’année suivante. Désormais, dans une quête de puissance, l’Empire ottoman décide de diversifier ses cibles et de s’attaquer aux alliés de l’Espagne, notamment Venise, pour s’affirmer.
Une diplomatie vénéto-ottomane déjà existante
La diplomatie est un élément important des relations entre les deux pays. En effet, grâce à ses possessions et ses dépendances en Méditerranée orientale, la République de Venise est en contact direct avec l’Empire ottoman.
Les relations entre Venise et l’Empire ottoman ne sont ni inexistantes ni foncièrement mauvaises. Au Moyen Âge, les deux construisent des relations économiques avec des échanges de marchandises et de pratiques. Venise dispose même d’un bailat, c’est-à-dire d’un consulat vénitien à Constantinople.
Toutefois, la diplomatie est parfois nécessaire lors de situations tendues. C’est le cas lors de la Quatrième croisade (1202-1204) durant laquelle Venise participe au sac de la capitale byzantine et grâce à laquelle elle peut par la suite revendiquer une part de l’Empire byzantin.
C’est au XVe siècle que les relations se tendent fortement avec le déclenchement de deux guerres vénéto-ottomanes, la première de 1463 à 1479 et la deuxième de 1499 à 1503. Cependant, ces deux guerres n’empêchent pas pour autant le commerce entre les deux pays et les échanges économiques qui continuent à prospérer.
Le siège de Corfou, attaquer une possession au centre de tout
Après l’officialisation de l’alliance franco-ottomane, des campagnes maritimes communes aux deux pays sont évoquées. Parmi ces campagnes, les Français et les Ottomans préparent une opération navale conjointe contre Naples, qui dépendait de l’Espagne, pendant l’été 1537.
Une attaque ottomane de circonstances
Or, les choses ne se déroulent pas comme prévu : l’attaque envers Naples est abandonnée, mais les Ottomans et Soliman Ier veulent continuer à s’imposer en Méditerranée. Soliman Ier décide donc en contrepartie de s’attaquer à la République de Venise avec laquelle les relations se sont détériorées, et que la Porte accuse de proximité avec Charles Quint.
L’Empire ottoman prend possession de Venise : l’île de Corfou. Pour l’expansion de l’Empire, ces territoires représentent les dernières terres chrétiennes avant le monde musulman, alors que l’île est fortifiée. En juillet 1537, alors que quelques mois plus tôt, en mai, Barberousse dirigeait près de deux cents navires pour une attaque, les choses se gâtent. Les Vénitiens prennent en chasse deux galères ottomanes qui menaçaient Corfou et qui amenaient dans la ville le drogman, c’est-à-dire l’interprète, envoyé par Soliman. Cela fait office de casus belli contre Venise.
Une campagne de Corfou peu brillante
Dans l’historiographie ottomane, la campagne de Corfou occupe une place prépondérante, car elle se plaçait directement dans la suite des conquêtes en Afrique du Nord menées par Barberousse.
Durant l’été 1537, débute donc le premier grand siège ottoman contre la ville de Corfou, mené par une alliance entre le corsaire turc et des galères françaises de François Ier.
L’île oppose une forte résistance face au siège, amplifiée par les forteresses financées par la république quelques années auparavant.
Toutefois, la forteresse n’est pas suffisante pour protéger tous les civiles, et a pour conséquence de nombreuses pertes, environ 20 000 civiles vendus comme esclaves aux Turcs. Malgré un siège qui fait des victimes du côté de Venise, les Ottomans ne sont pas non plus en position de force.
Avec l’approche de l’hiver et les complications que cela apporte, l’Empire est obligé d’abandonné les opérations. La campagne se révèle donc peu brillante, principalement à cause d’un manque d’organisation des troupes qui n’ont donc pas pu faire tomber le siège avant l’hiver.
Une conflit qui se prolonge au-delà de Corfou
Malgré l’échec du siège, les combats ottomans contre la République ne sont pas terminés, et Barberousse décide d’occuper une partie des îles égéennes de Venise. C’est cette occupation qui fait basculer Venise définitivement dans le camp de l’empereur.
S’ensuit alors la troisième guerre vénéto-turque de 1537 à 1540, marquée par l’affrontement de l’Empire ottoman de Soliman le Magnifique, appuyé par la France, contre la République de Venise, aidée à partir de 1538 par une alliance créée par le pape Paul III, la “Sainte Ligue”.
Le 28 septembre 1538, le succès naval de l’Empire ottoman à Préveza dans le golfe d’Arta entraîne la fuite des flottes de Venise et d’Espagne.
Les négociations entre la République et la Porte s’enchaînent avec pour objectif de préserver les avantages commerciaux. Un traité est conclu le 2 octobre 1540, permettant ainsi la paix entre Venise et les Ottomans.
Après les différends avec l’Empire ottoman, les Vénitiens décident de créer de nouvelles forteresses et de renforcer leurs défenses, notamment à la suite de l’attaque de Corfou. Pour cela, la République de Venise décide de créer une nouvelle magistrature pour superviser les chantiers de la République, afin d’être capable de se défendre en cas de nouveaux conflits, sans être contrainte d’accepter de nouveaux traités.
Quelques sources et liens utiles
FOUCAULT Jules-Albert de, « Le siège de Corfou vu par Nicandre de Corcyre », Bulletin de l’Association Guillaume Budé, vol. 1, no 1
GUENA Pauline, « Intérêts marchands et construction de la diplomatie vénéto-ottomane au début du xvie siècle : la banqueroute de Nicolò Giustinian, baile à Constantinople », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, 24.2, Centre d’études médiévales Saint-Germain d’Auxerre, 2020
POUMAREDE Géraud, « Venise et la défense de ses territoires d’outre-mer, XVIe-XVIIe siècles », Dix-septième siècle, vol. 229, no 4, Presses Universitaires de France, Paris cedex 14, 2005, p. 613‑626
VATIN Nicolas, « Études ottomanes (XVe-XVIIIe siècles) », Annuaire de l’École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques. Résumés des conférences et travaux, no 151, Publications de l’École Pratique des Hautes Études, 2020
VEINSTEIN Gilles, « Chapitre I. La conquête ottomane en Europe », in L’Europe et l’islam, Paris : Odile Jacob, 2009, p. 129‑159